genre: court-métrage, expérimental, trash, hardcore (interdiction non précisée)
année: 2011
durée: 29 minutes
l'histoire : Le cinéaste québécois Pierre-Luc Vaillancourt, membre de l'Institut pour la Coordination et la Propagation des Cinéma Exploratoires (ICPCE), tente de transposer à l'écran, le récit du philosophe Georges Bataille : "Le Mort". Au menu, super 8, messages subliminaux et hardcore crépusculaire. Bienvenue dans e monde destroy de La Nuit Obscure !
La critique :
Pas évidente cette chronique... Tout d'abord, je vais tenter d'éclaircir votre lanterne sur deux points essentiels. Premièrement, l'Institut pour la Coordination et la Propagation des Cinéma Exploratoires (ICPCE) est un club underground basé à Montréal. L'ICPCE se présente comme un cercle de réflexion (terme politiquement correct pour ne pas dire secte) qui appartient à un courant de pensées sinon sataniste, tout du moins franchement transgressif, et à des années lumière du cinéma commercial.
ICPCE réalise lui-même ses oeuvres en compilant des courts-métrages expérimentaux venus du monde entier, qu'ils soient récents ou très anciens. L'essentiel est que ces essais correspondent à "l'éthique" du mouvement en présentant un côté nihiliste, blasphématoire ou subversif (ou les trois à la fois). Les premiers films de l'ICPCE furent L'Erotisme (2006), Incarnation (2007) et A Rebours (2008), dont j'avais parlé sur Naveton Cinéma (http://navetoncinema.canalblog.com/) en octobre 2013. Comme le temps passe vite !
En 2011, l'ICPCE s'attelle à un nouveau projet : Contre-Oeil. Un titre étrange auquel j'essaierai d'apporter tout à l'heure un semblant d'explication. Pour le coup, nos amis canadiens changent leur façon de procéder et décident de réaliser eux-mêmes quelques courts-métrages avec leur style inimitable. Contre-Oeil devient alors une méga compilation (4h28 !) de 23 films expérimentaux dont certains feraient passer l'incroyable et énigmatique Begotten pour un blockbuster grand public.
Mais contrairement à ce qui se passait dans Incarnation ou A Rebours, aucun film de cette compilation ne présente un caractère de violence, qu'elle soit physique ou psychologique. Aucun. Sauf La Nuit Obscure. Car le film de Pierre-Luc Vaillancourt va loin, très loin dans l'obscénité et la dépravation. Et pourtant, ce film est fascinant. Normal, c'est du Georges Bataille remixé à la sauce ICPCE.
Mais qui est ce Georges Bataille ? Bon, il est temps de vous préciser le deuxième point de cette chronique (qui n'est décidément pas évidente !). Notre fameux Bataille fut écrivain, philosophe et (très gros) polémiste français. Décédé en 1962, ce type hyper sulfureux était copain comme cochon avec Picasso et Albert Camus. Dans son récit, La Mort, notre cher Georges écrit (source Wikipédia) : "L'érotisme est perversité au sens étymologique du terme : il tourne le vice en vertu, devinant ce qui était défendu est en fait délicieux. Et plus le tabou est ressenti comme pesant, plus sa transgression sera délicieuse".
Sade n'aurait pas dit mieux, mais le réalisateur, Pierre-Luc Vaillancourt, va essayer, lui, de faire pire. Vraiment, La Nuit Obscure porte bien son nom. Attention, SPOILERS ! Le contexte est spécial car le film est en super 8, en noir et blanc et totalement muet.
Une forêt laisse deviner un soleil incandescent. Mais la pellicule du film est tellement vieillie que l'image saute sans cesse, le tout accompagné de très forts bruits métalliques. L'action se porte alors sur un homme obèse qui malaxe violemment les seins d'une femme avec qui il fait l'amour. Rupture d'image et noir total. Les fonds sonores se font assourdissants. On retrouve nos deux protagonistes en compagnie de deux amis, un homme et une femme... Dans une pièce seulement éclairée par deux ampoules à la lumière aveuglante; la quatuor semble discuter autour d'une table en finissant un repas.
L'image devient très sombre, floue, tremblante. On retrouve les quatre personnages lors d'une orgie. L'homme obèse se fait masturber par son ami (je n'ai pas oublié de "e" à ami), tandis que les deux femmes lui urinent et lui défèquent sur le corps.
Dans cette orgie, on force également une femme à se saouler pendant qu'un homme lui lèche le sexe. Puis viennent quelques coïts réalisés dans une obscurité quasi totale (mais on voit quand même que les actes ne sont pas simulés). A nouveau, rupture d'image et de son. Nous retrouvons l'homme obèse marchant dans une forêt en compagnie d'une femme nue. Visiblement ivres, ils montent dans une chambre. Le film devient de plus en plus flou et saccadé.
Nouvelle coupure d'image. L'homme gît au sol aux côtés de la femme, morte également, qui se retrouve avec des seringues plantées dans le crâne. Le final se déroule à l'extérieur. Face au coucher de soleil nébuleux, des hommes transportent des pylônes métalliques, tandis que des incrustations furtives sur la pellicule font apparaître des crucifix inversés. L'homme obèse (qui a dû ressusciter entre temps ?) revient pour les derniers plans où il devient fou furieux. Il hurlera sa douleur et son désespoir en implorant le ciel.
Si ce n'est pas un film de grand malade, ça aussi... Mais difficile de savoir où veut en venir le réalisateur. C'est d'ailleurs toute la difficulté lorsqu'on tente d'analyser ce genre de film expérimental. Déchiffrer le vrai du faux. Déceler un message derrière tel ou tel plan, telle ou telle scène. L'adaptation d'un texte tel que Le Mort de Bataille relève d'un défi XXL. Vaillancourt l'a transposé à la manière de l'ICPCE. C'est-à-dire avec un style cht'arbé, mélangeant sans vergogne du grand cinéma et un total amateurisme.
Le tout, bien sûr, filmé dans les plus profonds caniveaux de l'underground. Et le plus fort, c'est que ça marche. Contre-Oeil (la compilation dont est extrait ce court-métrage) est un hommage direct à Histoires de l'Oeil, essai que Georges Bataille a écrit en 1926. Le philosophe, féru de tauromachie, comparait le rituel de la corrida à une vision de la confrontation des forces, et y associait le thème du morbido-sexuel (Merci Wikipédia).
Tout le monde a bien suivi ? Avec Bataille, on a droit à un personnage hybride, sorte de mix bien secoué entre Sade, Freud et Gainsbourg. Bref, un très très intéressant. La Nuit Obscure, c'est du trash, mais un trash travaillé, pas du purement gratuit. Et puis, pourquoi cette appellation "Obscure" ? Le réalisateur aurait très bien pu appeler son film "La Nuit Noire". Je pense (ce n'est que mon humble avis) que le terme choisi a peut-être un rapport avec l'obscurité de l'existence humaine.
Une existence vide de sens, qui se déroule dans une nuit perpétuelle de doute et de chaos, et où l'homme tente de survivre au hasard de sa destinée. Film noir au propre comme au figuré, bercé par sa musique hypnotique, La Nuit Obscure nous plonge au coeur d'un érotisme brutal et primitif. Totalement surréaliste, cette oeuvre affiche sans concession la décadence sensuelle de l'homme perdu dans un tourbillon de luxure, et finalement, dans l'abime de sa propre vie.
Note: 16/20