Poussiéreuse relique.
Vingt ans plus tôt, sur une île perdue au large du Costa Rica, John Hammond, vieux fossile et rêveur inconscient, dépensait sans compter afin de monter son cirque de puce, une ménagerie d’animaux du Mésozoïque génétiquement recomposés. Mais ces dinos, en mettant sens dessus dessous l’infrastructure qui les retenaient en cage, non sans avoir croqué au passage technicien informatique bien portant et comptable gourmand, ont verrouillé l’avenir du parc et les espoirs de cet entrepreneur se rêvant maître de la piste. Néanmoins, la compagnie actionnaire, alors dirigé par un arrogant neveu peu loyal, ne voit pas cela du même oeil, souhaitant expatrier le projet de son oncle fatigué sur les côtes californiennes pour un show King Kong. Mais, là encore, le T-Rex a fait qu’une bouchée de ce fantasme megalo. Depuis, hormis une maigre randonnée pédestre en compagnie du Professeur Grant au prise avec un couple argenté et à son aversion pour les hominiens de moins de dix ans, silence radio. Sans cesse repoussé, le quatrième volet devient une arlésienne. On murmure de faire revenir le casting original, de transformer les dinosaures en arme de guerre façon Dino Riders. Finalement, le parc rouvrira bel et bien ses portes sous la direction de Colin Trevorrow, un jeune réalisateur tout juste sorti de l’œuf. Le nouveau guide promet un truc dément, capable de dépoussiérer nos vieux souvenirs de gosse. On salive, on trépigne, et on s’empresse de prendre ses billets et d’embarquer dans le monorail qui nous fera revivre la magie des origines. On sautille, on se bouscule, on se cherche une place dans la foule admirative. La mélodie immortel papillonne en arrière-plan, faisant grimper l’impatience de la découverte. On attend, fébrilement, que le rideau se lève sur ce monde retrouvé. Finalement, le jeune Gray pousse ses persiennes et laisse enfin le nouveau panorama éclore à l’image et le thème l’embrasser. Cet instant-là se devait d’être flamboyant, féérique. Il devait être le chainon qui lierait définitivement, à nos yeux, cette séquelle à l’ancienne trilogie. Mais rien. La flamme reste muette. Le frisson demeure silencieux. Le pétard est mouillé. Alors, on se dit que, peut-être, tout cela est pour appuyer le fait que le monde a changé, que la féérie du parc s’est érodé sur la pierre d’un capitalisme sans âme brassant des milliers de touristes. Malheureusement, là ne se trouvera pas la réponse à cette question. Peu à peu, la crainte se voit fondée : cette occasion manquée constitue la souche de cette nouvelle aventure. Cela dit, il est difficile de déposer son empreinte sur cette terre lorsqu’on se contente d’agiter les vieilles reliques du temps passé (le plan large avec les diplodocus, celui du rétroviseur, les lunettes à vision nocturne de Tim, la scène du fumigène, celle de la vitre du Monde Perdu) sans parvenir à leur apporter la lumière nécessaire pour les faire briller. L’enthousiasme se fane. Peu à peu, Jurassic World prend la forme d’un musée creux et poussiéreux, dévoré par une modernité de façade. Car il faut étonner, surprendre constamment le public, « booster l’effet Whaou ». Alors on crée un nouveau dino, croisement de lézard, de serpent, de sèche, de raptor, et d’on ne sait quoi d’autre encore. Le mélange, soumis au secret scientifique, donne naissance à une énorme bestiole particulièrement instable et éminemment intelligente. Comme la vie trouve toujours un chemin, cette machine à tuer recouvre bientôt sa liberté après avoir berné ses gardiens et le système de surveillance. Dans la jungle, la grosse bébête cherche sa place dans la chaîne alimentaire comme le spectateur, la sienne, dans cette gigantesque foire. La directrice économique du parc (Bryce Dallas Howard, tailleur blanc et talent haut) frissonne : plus que la chute des cours en bourse du parc, ce sont ses deux neveux, livrés à eux-mêmes dans leur gyrosphère, qui l’angoisse. De petits hamsters face au plus dangereux des prédateurs. La chasse à l’oie sauvage tourne ainsi à la mission de sauvetage dirigée par un dresseur de raptor un poil sarcastique luttant pour imposer son autorité paternelle sur ses bébés (Chris Pratt, aventurier jusqu’au bout des pompes). Mais cette psychologie filiale reste cependant à l’état embryonnaire. Pour combler le génome de personnages peu passionnants et hurlants de fonctionnalité (le geek rigolard, le patron indien bienveillant), le réalisateur nous appâte avec de nobles morceaux de bidoches, saignantes comme il faut et accommodé par les traits de violon de Michael Giacchino, mitonnant pour l’occasion un de ces jolis festins musicaux dont il a le secret – même s’il n’égale pas encore le maestro sur son terrain. Après un timide pogrom contre les touristes et un final en forme de choc des titans, le parc ferme déjà ses portes, et bien que la visite fut loin d’être désagréable, l’ensemble laisse sur nos exigeantes papilles un goût d’inachevé. En espérant que ce monde désormais perdu ne soit pas davantage pillé dans les années à venir. (2.5/5)
Jurassic World (États-Unis, 2015). Durée : 2h05. Réalisation : Colin Trevorrow. Scénario : Colin Trevorrow, Rick Jaffa, Amanda Silver, Derek Connolly. Image : John Schwartzman. Montage : Kevin Stitt. Musique : Michael Giacchino. Distribution : Chris Pratt (Owen), Bryce Dallas Howard (Claire), Vincent D’Onofrio (Hoskins), Ty Simpkins (Gray), Nick Robinson (Zach), Irrfan Khan (Simon Masrani), BD Wong (le docteur Henry Wu), Omar Sy (Barry).