genre: drame (interdit aux - 16 ans)
année: 1993
durée: 2h08
l'histoire : 1659. A la cour de Florence, devant le prince Cosmino, on donne un spectacle théâtral sur la légende de l'enfant de Mâcon. Un gosse quasi divin qui aurait existé du temps de la France moyenâgeuse et qui aurait eu des pouvoirs miraculeux. Mais la représentation ne va pas du tout se dérouler comme prévu...
La critique :
Avec The Baby Of Mâcon, Cinéma Choc vous présente un film monumental. Une oeuvre flamboyante, grandiose et terriblement violente. Un film qui redonne au cinéma ses plus grandes lettres de noblesse et qui peut se positionner en bonne place aux côtés de chefs d'oeuvre tels que The Devils de Ken Russell ou de Salo de Pasolini. Oui, à ce point. La preuve dans la chronique qui va suivre. Mais avant de parler de l'oeuvre proprement dite, quelques mots sur son créateur, Peter Greenway.
Quasiment inconnu du grand public, snobé par les critiques, Sir Greenway n'a jamais mélangé ses torchons avec les serviettes de ses confrères du cinéma anglais. Lui fait son propre cinéma. Un cinéma d'auteur (ses détracteurs diront même élitiste), indépendant, loin du circuit industriel. Cela ne l'a pas empêché d'avoir dans ses films l'immense Helen Mirren, Ralph Fiennes, Tim Roth ou même Richard Bohringer (!).
Avant de devenir une référence du septième art britannique, Greenway était un "artiste" jusqu'au bout des ongles puisqu'il fut un plasitcien unanimement reconnu. Au début des années 1980, il se met à la réalisation avec des films tels que Meurtre dans un jardin ou Le ventre de l'architecte. Son style empreint d'une certaine noirceur mêlé à cette british touch toujours bien décalée, donnent à ses oeuvres un cachet très particulier et facilement reconnaissable.
En 1993, il s'attelle au tournage de The Baby Of Mâcon et dans son délire, Greenway entraîne avec lui des acteurs très confirmés : Julia Ormond, Ralph Fiennes, Philip Stone et Jonathan Lacey. Ce film reste à ce jour le plus violent, le plus démesuré, bref le plus fou du réalisateur. The Baby of Mâcon est une oeuvre génialement mécanique qui fonctionnerait dans son scénario, tel un Rubik's Cube. En gros, le spectateur a tous les éléments en main, mais le plus difficile pour lui est de les assembler de façon logique et cohérente.
Greenway, sadiquement malicieux, tente d'égarer son public en brouillant à loisir les situations. The Baby of Mâcon est un film sur une pièce de théâtre (et non du théâtre filmé), mais la pièce de théâtre cesse d'être d'en être une à la fin du film. Besoin d'une aspirine ? Bon, je vais essayer d'éclaircir ce pitch pour le moins nébuleux. Attention, SPOILERS ! L'action se déroule à la cour de Florence vers 1650. Devant le prince Cosmino et ses invités, on donne une représentation théâtrale sur la légende de l'enfant de Mâcon. Voici l'histoire de la pièce : vers 1200, la ville de Mâcon est frappée de famine et de stérilité.
Pourtant, une vieille femme difforme met au monde un bébé. Un enfant si beau, si pur, que chacun veut le voir et le toucher. La vieille femme importente est vite mise à l'écart et chaque femme de la ville tente de s'approprier la maternité du nouveau-né. Or, l'enfant a une soeur (Julia Ormond) d'une vingtaine d'années. Celle-ci, qui voit immédiatement le profit qu'elle pourrait tirer de la situation, proclamme être elle-même la mère de l'enfant, alors qu'elle est encore vierge.
Sa virginité constatée par tous les habitants du village, la naissance de cet enfant est aussitôt considérée comme miraculeuse, et l'enfant de Mâcon devient pour tous une sorte de Dieu vivant. De partout, on vient pour le toucher, l'admirer et lui implorer grâce et bienveillance, moyennant finances, bien évidemment, à sa soi-disante mère. Mais l'évêque et son fils (Ralph Fiennes) soupçonnent fortement la supercherie. Pour ne pas être démasquée, la jeune femme tente de séduire le fils de l'évêque.
Alors qu'ils font l'amour dans une étable, l'enfant "divin" ordonne à un boeuf d'attaquer le jeune homme qui meurt (pour de vrai), encorné par l'animal. Désespéré et folle de rage, la femme tue alors son enfant de ses propres mains. Le prince Cosmino monte alors une scène et demande à ce que l'actrice jouant le rôle de l'infanticide soit sévérement châtiée. Là, nous ne sommes plus dans la pièce mais dans la réalité. Le prince fait alors monter les 208 gardes de sa cour afin qu'ils violent la jeune femme, chacun leur tour.
A chaque fois qu'un garde termine se triste besogne, on fait tomber une quille sur un échiquier géant. La victime succombera réellement aux assauts répétés des soldats et c'est donc un vrai cadavre qui sera présenté à la foule. L'église s'appropriera alors l'enfant "divin". Profitant de la crédulité du peuple, elle vendra la salive du marmot, son urine, ses cheveux et finira même par le découper en morceaux afin d'en tarifer un petit bout à chaque habitant de la ville. Au final, cette pièce de théâtre aurait fait trois morts avec la bénédiction de la cour du prince Cosmino et son parterre d'invités.
Cela faisait très longtemps que je voulais chroniquer ce film. Mais un manque évident de courage m'en avait dissuadé jusqu'à présent. Car s'attaquer à une oeuvre pareille n'est pas une sinécure tant le scénario est alambiqué et la mise en scène propice à perdre le spectateur. Greenway fait tout pour nous déstabiliser d'entrée : l'action du film se déroule en Italie et à la période de la Renaissance, alors que la pièce de théâtre se passe en France et au Moyen-Âge.
Les unités de temps et de lieu sont donc habilement complexifiées. Ce n'est pas tout puisqu'au fur et à mesure de l'action, le réalisateur se plaît à mélanger la réalité (le public qui assiste au spectacle) avec la fiction (la représentation sur scène). Dans The Baby of Mâcon, Greenway invente le concept du théâtre intéractif en faisant participer (et de quelle manière !) le public au déroulement de l'histoire. A l'occasion de ce film, le réalisateur fait évoluer son style vers une violence graphique ultra esthétisante et son propos vers la noirceur la plus absolue. Pour le cinéaste, le destin de l'homme ne peut être que sanglant et désespéré et sa cause, perdue d'avance. Il traite cette vision morbide avec une maestria sidérante et tire à boulets rouges sur les dogmes bien établis. Et tout le monde en prend pour son grade.
En premier lieu, Greenway s'attaque aux fondements mêmes de la religions catholique (la virginité supposée de Marie), la cupidité de l'Eglisee et des hommes qui la régissent, la noblesse fallacieuse qui se croit au-dessus des lois...
Le cinéaste appuie là où ça fait mal en dénonçant en bloc la corruption, la crédulité et la soumission d'un être humain toujours plus faible et pitoyable à ses yeux. Toutes les misères du monde et toute sa laideur aussi. Il faudrait beaucoup plus que ces quelques lignes pour analyser en profondeur une oeuvre aussi complexe. En tout cas, un bon conseil : si vous avez décidé de tenter l'expérience, ne vous laissez pas anesthésier par la première heure du film où il ne se passe presque rien.
Ce serait extrêmement dommage de louper la deuxième heure qui, elle, mérite tous les superlatifs. Pour conclure, je dirai que The Baby of Mâcon reste une oeuvre indispensable pour tout cinéphile qui se respecte et demeure certainement LE film essentiel des années 1990. Mais ce n'est que mon humble avis...
Note: 19/20
Inthemoodforgore