À l’époque où il incarnait un célèbre super-héros, Riggan Thomson était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste plus grand-chose, et il tente aujourd’hui de monter une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue. Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille et ses proches, son passé, ses rêves et son ego… S’il s’en sort, le rideau a une chance de s’ouvrir...
Birdman – 25 Février 2015 – Réalisé par Alejandro González Iñárritu
Lors de la dernière cérémonie des Oscars mais aussi pendant tout le parcours de récompenses américain habituel, « Birdman » a souvent fait office d'élève modèle, d'outsider face à l'indéboulonnable Boyhood. Opposant bien bêtement la simplicité de Boyhood à la démonstration technique de Birdman. Un affrontement qui s'est soldé par une victoire du mexicain Inarritu aux Oscars avec pas moins de 4 récompenses dont la prestigieuse statuette du Meilleur Film. Un succès impromptu suivi d'un relatif succès en salles, on fait de Birdman l'un des événements de ce début d'année, prouvant si cela n'avait été déjà fait, que dans le cinéma, il y a de la place pour tout le monde.
Avant l'époque bénie que l'on vit pour certains (Moi compris), les adaptations de comics existaient déjà. Plus rares et marginales elles offraient aussi leurs lots de stars. Birdman fut l'un d'entre eux, enfin plus particulièrement Riggan Thomson, l'inconnu derrière ce masque d'oiseau. Car c'est bien là le revers de la médaille. Si Thomson à connu le succès avec Birdman, seul son personnage à survécu alors que lui est retombé dans l'anonymat. Mais Riggan Thomson va tout faire pour redevenir célèbre. Et son salut viendra de Broadway, de cette mythique artère de la ville de New-York, connu pour ses comédies musicales mais aussi pour ses Théâtres !!! Et c'est donc dans le Théatre St James au niveau de Times Square que Riggan embarque son meilleur pote dans l'aventure. Il s'approprie un texte de Raymond Carver, écrit la pièce et la met en scène. Sauf que sur le papier c'était plus simple, la société n'était pas tournée que sur l'éphémère, les acteurs avaient un peu moins d’ego, il s'entendait avec sa fille et surtout il n'avait pas Birdman dans la tête ! Cette héritage envahissant le trouble, l'agite, le stresse et surtout le rend complètement imprévisible et c'est dans un état proche de l'hystérie qu'il va mener sa pièce jusqu'à la première …
Malgré son budget modeste, « Birdman » a tout du grand film ! Voir même une peu trop ! Démesuré par l'ambition de son réalisateur, par la performance demandée à ses acteurs et par la profondeur de réflexion qu'on lui appose ! Birdman semble inaccessible, un brin cadenasser voir effrayant par ce qu'il dégage ou encore par cette contradiction constante qui émane du récit. J'étais sceptique au début, mais des que le tempo de la musique s'est fait ressentir et que la caméra d'Inarritu a commencé sa valse je n'ai pas décroché un seul instant.
Tourné en un seul (faux) plan séquence, Alejandro Gonzalez Inarritu marche dans les traces des plus grands. Un risque énorme car le plan-séquence est un art en soi. Cantonné souvent a n’être que « le coup d'éclat » d'un film, il peut être cependant partie prenante de l'intrigue et de facto un aboutissement visuel et narratif ! Récemment on a pu s'extasier devant le plan inaugural de « Gravity », 18 minutes suspendu dans l'espace réalisé par un immense Alfonso Cuaron, ou enfin (bien plus vieux) pour ne citer que le plus connu et qui est aussi un seul (faux) plan séquence « La Corde » d' Alfred Hitchcock ! Qui sont de vrais coups de maître quand ils sont maîtrisés et bien qu'ici la performance ne soit pas unique, Alejandro Inarritu repousse ses propres limites.
Minutieux et appliqué, la mise en scène de Birdman se justifie à chaque instant. Le travail qu'il a fallu de préparation et de répétition forcent le respect car la caméra ne se contente pas de suivre les personnages et de changer de direction, elle danse littéralement dans le champ ! Montant, descendant, virant de gauche a droite, sautant un interprète ou tournant tout autour de lui, la caméra nous entraîne dans un ballet de 2 heures qui ne se pose que rarement. Et c'est essentiel pour rentrer dans la routine de Riggan. On vit l'histoire comme lui, en continu, sans pause, avec des hauts et des bas, bien aidé par le tempo et la musique d'Antonio Sanchez qui fait partie aussi du film. Et si on ajoute le travail de l'immense Emmanuel Lubezki, oscarisé ici une deuxième fois d'affilés, il harmonise le travail de mise en scène, ainsi que l'image à l'écran a mi-chemin entre le rêve et la réalité. Une incertitude qui reflète le dilemme qui ronge la psyché de Riggan Thomson.
« A thing is a thing, not what is said of that thing. »
Est ce que je dois me lancer dans une pièce au succès incertains ou écouter la voix de Birdman ? Replonger dans une industrie a l’enjeu artistique factice ou tenter de gagner le respect d'une profession qui souvent dénigra la mienne ? Ou encore retrouver la célébrité au dépend d'une vie affective déjà chaotique ? Un questionnement constant qui amène Riggan au bord du burn-out et qu'Inarritu traduit aussi dans sa mise en scène.
Et cela des le premier plan de Michael Keaton face a un miroir ou est filmé son reflet et en fond l'image de « Birdman ». Elle est matérialisée visuellement mais aussi par une voix off grave et sarcastique, qui ne cesse de le rabaisser et de le corrompre. Le réalisateur montre ainsi ce combat intérieure entre ce qu'il veut, ce que l'on veut pour lui et ce qu'il a a l'instant ! Une équation insoluble pour un acteur comme Riggan ! Car il n'est pas armé pour affronter le monde de maintenant qui veut tout et son contraire, qui passe d'un sujet a l'autre sans se retourner, adulant une star un jour et la descendant le jour qui suit ! Un monde qui feint d'avoir bonne conscience alors qu'il n'accepte pas le changement. Une hypocrisie ambiante qui nourrit l'égo des uns et qui détruit la vie des autres.
Une destruction qui fait tomber dans un certain anonymat les personnes qui subissent ça ! Ce qui rappelle bien évidemment (Dans une moindre mesure) le parcours de son interprète , Michael Keaton, le chevalier Noir de Tim Burton, qui a certainement connu les mêmes doutes que Riggan Thomson, jusqu'à avoir droit a cette renaissance tant attendu. La fin devint alors lourde de sens, « Birdman » n'est pas qu'un oiseau mais un phoenix, qui meurt sur scène avant de renaître et de prendre son envol.
« You're no actor, you're a celebrity »
Mais si je suis convaincu dans son ensemble par « Birdman » je ne peux pas en dire autant de ce qu'il essaye de dire en filigrane tout au long du film. Car si ce qu'il dit sur l'histoire de Riggan est judicieux, ce qu'il veut démontrer sur l'industrie du cinéma et de l'art me semble très confus et prétentieux. « Birdman » montre un acteur qui a réussi en tournant dans des blockbuster ou il joue un personnage de comic-book. Un passif qu'il ne nie pas mais qu'il aimerait qu'on laisse la ou il est ! Car il souhaite passer a autre chose. Et ce n'est pas honteux sauf quand Inarritu martèle le contraire et dénigre volontairement les blockbusters. Tout d'abord on rappelle à Riggan qu'il n'est pas du monde du théâtre, que cela soit par l'intermédiaire de Mike Shiner, ou encore par la délicieuse critique Tabitha Dickinson ! Mais elle appuie aussi sur son passé, sur ce qu'il est censé « représenter » et qu'elle déteste profondément. Tandis que la voix de « Birdman » l'encourage à revenir dans cette voie, a rester simplement a sa place. Il y dénigre aussi l'argent, le succès de ses films et bien sur le nivellement par le bas du cinéma.
Inarritu se pose ainsi en un défendeur de l'art ! Celui qu'il croit être le vrai mais qui est plus clivant qu'autre chose. Alors que tous les genres peuvent exister ensemble, se nourrir l'un l'autre et faire du théâtre comme du cinéma une activité accessible à tous ! Et même si Alejandro Gonzalez Inarritu tape juste par moment, surtout quand ils parlent de ce que veut le public (action+explosion)actuellement et des critiques qui condamnent sans vraiment analyser ce qu'ils voient. Ce ne sont que les propos de quelqu'un de cynique et prétentieux qui fait preuve d'une certaine ignorance et d'un manque d'ouverture vers un genre qu'il médit sans connaître !!!
Ce qui n'est pas le cas quand il s'agit de diriger son casting ! Inarritu survole son sujet et tire le meilleur de ses acteurs. Composé d'une vieille gloire, de talents confirmés et de jeunes pousses en devenir, c'est un savant mélange d'audace et d'expérience qu'il réunit à l'écran. Michael Keaton porte le film sur ses épaules avec la fougue d'un jeune de 20 ans. Totalement investi et convaincant, il renaît devant nos yeux ébahis pour se donner une seconde chance dans un milieu qui a changé. On trouve aussi un Edward Norton jubilatoire en comédien narcissique, qui multiplie les provocs avec l'aisance d'un acteur de cinéma. Naomi Watts joue son opposé, plus fragile et moins sure d'elle ! Qui montre la face cachée du métier, ou rien n'est simple et elle joue ça avec beaucoup de justesse. Dans le genre inattendu, c'est la performance de Zach Galifianakis, amaigri, loin de son rôle d'Alan Garner dans Very Bad Trip, il apporte à son rôle ce qu'il faut de folie pour coller a merveille a son personnage de producteur. Et on finit par la présence de la talentueuse Emma Stone, que j'apprécie pour la première fois malgré un personnage plutôt commun.
Quand les masques tombent, les personnes se révèlent et les égos chutent ! Brillante résurrection d'un acteur en or !