Les Chiens de Paille - 1971 (Bienvenue dans la communauté de Cornuailles !)

Par Olivier Walmacq

genre: thriller (interdit aux - 16 ans)
année: 1971
durée: 1h53

l'histoire : David, jeune mathématicien, fuit l'Amérique et son atmosphère orageuse. Il émigre en Cornouailles où il est confronté dès son arrivée à l'agressivité des autochtones. Atteint dans ses convictions, il aura lui aussi recours a une violence qu'il combat. 

La critique :

Dans les années 1970, le cinéma américain est totalement bouleversé par une nouvelle génération de réalisateurs. La Guerre du Vietnam va laisser des traces indélébiles dans les esprits. Le premier à cerner cette douleur profondément enfouie dans la psyché de l'Oncle Sam se nomme Francis Ford Coppola, avec Apocalypse Now en 1979.
Néanmoins, la Guerre du Vietnam n'est finalement qu'un symptôme d'un mal-être, d'une décadence de la société occidentale et plus particulièrement, d'un monde capitaliste de plus en plus individualiste, égotiste et élitiste. D'un côté, il y a la bourgeoisie triomphante qui détient le capital. De l'autre, il y a cette classe populaire et ouvrière qui tente de subsister.

Enfin, il existe une troisième catégorie : les pauvres, les oubliés et les opprimés, donc l'armée de réserve du capitalisme et la génération perdante de la mondialisation à venir. La révolte gronde. La société est malade et génère de nouvelles formes de violence. Ce qui inspire évidemment le cinéma américain. Au début des années 1970, trois films vont marquer les esprits : Orange Mécanique (1971) de Stanley Kubrick, Déliverance (1970) de John Boorman, et Les Chiens de Paille (1971) de Sam Peckinpah.
En l'occurrence, Sam Peckinpah est un réalisateur à part entière dans le cinéma américain. Il possède la particularité de détester la violence. C'est justement parce qu'il abhorre ces comportements malsains qu'il effectue, dans la plupart de ses films, une analyse sociopathique.

En résumé, pour Sam Peckinpah, si l'homme en est arrivé à un tel avilissement, souvent à la limite de nos plus bas instints primitifs, la cause est à rechercher dans les travers de notre société capitaliste et consumériste. Avec Orange Mécanique et Déliverance, Les Chiens de Paille fait partie d'une sorte de trilogie infernale sur l'ultraviolence. En effet, au moment de sa sortie, Straw Dogs (c'est le titre original du film) déclenche le scandale et la polémique.
Beaucoup de critiques y voient un film malsain, sadique et mysogine. Les arguments reposent essentiellement sur la séquence de viol, scène centrale du film. Mais pas seulement. Les Chiens de Paille est même considéré par certains comme une oeuvre fasciste, prônant la Loi du Talion et la vengeance comme un moyen de rédemption.

En vérité, Sam Peckinpah dénonce exactement l'inverse, mais j'y renviendrai... En l'état, et vous l'avez compris, Les Chiens de Paille est un thriller beaucoup plus complexe qu'il paraît. Le long-métrage est aussi l'adaptation d'un roman de Gordon Williams, The Siege of Trencher's Farm, publié en 1969. Les Chiens de Paille constitue aujourd'hui un classique du noble Septième Art.
Par la suite, il va inspirer de nombreux cinéastes, entre autres, Alexandre Aja, traumatisé à jamais par ce thriller d'une violence inouïe. Cependant, ne vous y trompez pas : la violence de Straw Dogs ne se situe pas vraiment dans sa forme, mais davantage dans le fond, et plus précisément dans les failles de ses différents protagonistes. Un peu à l'image de l'affiche du film, qui montre (en gros plan) les lunettes cassées de son personnage principal, David Summer.

Au moment de sa sortie, Les Chiens de Paille suscite (encore une fois) la controverse. Aux Etats-Unis, le studio décide de censurer la séquence de viol afin d'éviter une classification "X". Au Royaume-Uni, en 1971, le film écope carrément d'une interdiction aux moins de 18 ans. En France, le film est "seulement" interdit aux moins de 16 ans. Cependant, ne vous attendez pas à un film gore, dans la tonalité des productions actuelles, loin de là. Sam Peckinpah est égal à lui-même.
La violence est ici sous-jacente, complexe, éthérée et finalement indicible. A l'origine, c'est Sam Peckinpah qui devait réaliser Déliverance. Mais suite à des dissensions avec la Warner, le cinéaste se tourne vers les écrits de l'anthropologue Robert Ardrey.

Ce sera sa source principale d'inspiration pour le scénario du film. La thèse de Robert Ardrey repose essentiellement sur le retour à nos instincts sauvages et primitifs, dans une situation bien précise, et plus particulièrement dans une petite communauté se situant au beau milieu de nulle part. Au niveau de la distribution, Les Chiens de Paille réunit Dustin Hoffman, Susan George, Peter Vaughan, T.P. McKenna, Jim Norton et Ken Hutchison. Dustin Hoffman n'était pas forcément le premier choix de Sam Peckinpah.
Il faut dire que l'acteur ne réunit pas vraiment les conditions pour tenir un tel rôle au cinéma : un physique frêle et limite ingrat, une tronche d'intello sur le retour (il joue le rôle d'un mathématicien) et enfin, un caractère qui refuse (en apparence) le recours à la violence.

Pourtant, Dustin Hoffman livre ici une composition de folie. C'est à mon avis sa plus grande performance au cinéma, avec Little Big Man, dans un tout autre style. Attention, SPOILERS ! David, jeune mathématicien américain, vient habiter avec sa femme dans l'arrière-pays anglais pour se concentrer sur ses recherches. Il engage de jeunes ouvriers du village pour réparer la ferme, qui finissent par tourmenter le couple non violent. Cela s'intensifie lorsqu'ils attaquent la ferme après que David a pris la défense d'Henry Niles, l'idiot du village, accusé de meurtre.
David met toute son intelligence au service de sa survie ; retranché dans la ferme, il élabore des pièges qui font de lui l’égal de ses assaillants. Ses convictions non violentes et sa répugnance à tuer sont dissipées par les actes qu’il commet.

Certes, Les Chiens de Paille pourrait s'apparenter à un film mysogine. Premier constat, la seule femme du film, Amy Summer, est violée par quelques pecnos du coin, puis violentée par son mari. Ensuite, en dehors de son rôle de victime qui subit le courroux et la sauvagerie masculine, cette jeune femme apparaît presque comme un personnage assez secondaire du film.
Le vrai héros de ce thriller, c'est David Summer. C'est lui le personnage central du scénario. Néanmoins, la qualification de "héros" est vraiment à mettre entre guillemets. Dans Straw Dogs, il existe trois catégories d'hommes : le petit bourgeois qui exècre la violence (tout du moins, en apparence...), les campagnards xénophobes et le bénêt du village, pédophile et criminel.

En résumé, il n'y a aucun personnage humain à sauver dans Straw Dogs. La seule qui fait preuve encore d'humanité, donc Amy Summer, est tout simplement balayée, violée, rossée, tancée, ridiculisée et annihilée. Finalement, elle existe à peine dans le film. Elle symbolise tout juste un appât sexuel pour des campagnards perfides, barbares, cruels et retranchés dans leur petite communauté.
Bien triste portrait de l'humanité. Néanmoins, le personnage le plus complexe du film, c'est bien David Summer. Son portrait constitue un véritable cas de psychanalyse. En effet, dans un premier temps, ce petit homme à lunettes, qui abhorre toute forme de violence, apparaît comme un être sociable, limite débonnaire et d'une grande pusillinamité.

Pourtant, cette couardise, symbolisée par ces mêmes lunettes, va littéralement se briser pour révéler un autre visage, celui d'un homme prêt à prendre les armes et à exterminer ceux qui tentent de brûler son domicile. A ses yeux, sa femme n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est de sauver le nigaud pédophile et criminel du village, quitte à sacrifier éventuellement son épouse.
Sam Peckinpah se joue de cette situation rocambolesque, grotesque et même ubuesque. Devenu une sorte de tyran totalement psychopathe sous la pression de ses nouveaux assaillants, David Summer se transforme en véritable chasseur criminel. Finalement, David Summer n'est que le reflet de l'homme moderne, se cachant derrière ses petites lunettes pour mieux dissimuler ses instincts les plus refoulés.
Pour Sam Peckinpah, ce ne sont pas les campagnards qui sont les pires rebuts de notre société moderne, mais David Summer lui-même. En l'occurrence, sa femme subit à la fois la violence de ses agresseurs et celle de son mari. Les Chiens de Paille n'est donc pas un film mysogine, mais au contraire, une oeuvre complexe et éprouvante sur notre propre couardise, cachant (encore une fois) nos instincts les plus primitifs. Finalement, c'est David Summer le véritable animal du film.
Bref, Les Chiens de Paille reste un thriller polémique, choc, mais passionnant à décortiquer et à analyser.

Note : 18/20

 Alice In Oliver