Rencontre : William Friedkin, réalisateur de «Le convoi de la peur»

Cette master-class avec William Friedkin a commencé avec la projection de la version restaurée du « Convoi de la peur », « Sorcerer » en version originale. Après cette très belle projection, William Friedkin est venu discuter avec le public de façon très décontractée et amicale. Avant de commencer le débat à travers les diverses questions du public, il a fait une petite présentation de son ressentit sur le film et sur l’événement de cette projection.

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William Friedkin, réalisateur de « Le convoi de la peur »

William Friedkin : J’aimerais vous remercier de votre présence, surtout vous qui êtes si jeunes, sauf vous (en montrant une personne d’une cinquantaine d’année au premier rang et en riant), car à Paris on a énormément de choses à faire le soir. Merci d’être là. Combien d’entre vous me suivent sur Twitter ou Facebook ? (des mains et des sourires se lèvent dans l’audience). Moi j’adore ça, d’ailleurs je réponds très souvent sur le web, car je trouve formidable toutes ces personnes qui s’intéressent à ce qui se passe. Donc pour moi c’est un bonheur et un honneur d’être ici, avec vous, ce soir et de présenter ce film dans l’une des villes les plus importantes du monde. Et je tenais tout particulièrement à remercier Manuel Chiche, qui va ressortir « Sorcerer » partout en France à partir du 15 juillet.

Je trouvais que l’idée centrale du film, et du roman, était un thème qui m’était extrêmement proche. Je voulais rencontrer Henri-Georges Clouzot, parce que je trouvais que son film est un chef d’œuvre. Je l’ai rencontré avant de faire le film et je lui ai dis : « Votre film est un chef d’œuvre et je ne veux pas en faire un remake ». C’est un peu comme « Hamlet ». Des millions de versions théâtrales ont été faites autour de « Hamlet », mais il ne s’agit pas de remake, mais de nouvelles versions, une vision originale. Chose que j’ai voulu faire avec « Le salaire de la peur ». J’estime que son sujet est éternel. Cette idée que quarte personnes, qui sont de parfait étranger et qui ne s’aiment même pas entre eux, doivent, en quelques sortes, coopérer s’ils ne veulent pas exploser.

Je trouvais, qu’à l’époque et encore plus aujourd’hui, que c’était un thème important et contemporain. C’est un peu comme la situation dans le monde d’aujourd’hui, où chaque nation menace, en quelque sorte, une autre nation des États-Unis. Si l’on ne s’entend pas, si on ne coopère pas : on va tous exploser.

(Petite remarque pour le discours qui va suivre : lorsque « Sorcerer » (« Le convoi de la peur », en France) est sorti, celui-ci n’a pas eu un grand succès. La ressortie, de ce dernier, est plus plébiscitée et attendue auprès des médias et du public, qui ne l’a été lors de sa sortie originale.)

W.F. : C’est vrai que lorsque je pense à la réédition et à la ressortie de ce film, je ne peux que penser à Van Gogh. Il a fait plus de trois mille tableaux, peintures, aquarelles, dessins et il n’a pas réussi à en vendre un seul, ou peut être un seulement. Pourtant des dizaines d’années plus tard, qui peut acheter un Van Gogh à part un milliardaire ? Pourquoi, me suis-je dit, quelle est la différence ? Est-ce que cela veut dire que les sensibilités d’aujourd’hui sont radicalement différentes ? Car le tableau, lui, reste le même. Donc comment on passe d’un rejet, à une acceptation absolue ? Rassurez-vous, c’est la dernière fois que vous entendrez mon nom relié à celui de Van Gogh. Mais c’est vrai que je trouve qu’il y a la même chose là-dedans, au sens artistique du thème.

Je me souviens que lorsque « Sorcerer » est ressortit en DVD et Blu-Ray, des gens, comme Manuel Chiche, y ont cru. Mon film va être revu partout dans le monde, une forme de deuxième vie soudaine de rédemption. C’est une chose extraordinaire. Van Gogh n’a jamais vu le jour où son œuvre a été acceptée par le public. Si vous croyez en une forme de seconde vie, de réincarnation ou de quelque chose après la mort – ou peut être vous êtes tous ici cartésien (rires) – je me dit que Van Gogh est actuellement en train de sourire et vie à travers son œuvre. « Sorcerer » est vraiment le film auquel je tiens et j’y pense de cette manière.

J’ai fais une quinzaine de films en presque cinquante ans de carrière, mais c’est le seul dont je me sens infiniment proche. Il fait écho à ma propre attitude vis à vis de la vie, faite d’espoir, d’illusion, de tout ce qui fait notre quotidien. Je voudrais citer Sylvester Stallone, qui est un de mes amis, et m’a dit une jour : « Chaque jour de ma vie, je crois que quelqu’un va frapper à ma porte et dire voilà, c’est fini. Ta carrière, ta famille, tes tableaux … Hop, on enlève tout ! » Voilà, malgré le succès, qu’elle était sa peur existentielle. Et il m’a dit que pour lui « Sorcerer » évoquait tout cela. C’est bien l’un des sujet de mon film : la mort qui arrive.

C’est à vous de parler. Si vous n’aimez pas ce film, vous pouvez me dire : « Mais comment vous avez fait une telle merde ? » Comme ça, je me marrerais avant d’aller me coucher.

Pouvez-vous nous donner plus de détails sur la soirée où vous avez projeter « L’exorciste » et rencontré Henri-Georges Clouzot ?

W.F. : Il était super content. Il a organisé une grosse fête avec ses copains. Je l’ai rencontré en 1974, soit environ deux ans avant le tournage de « Sorcerer ». À l’époque, il était souffrant, se déplaçait avec difficulté et il ne lui restait que quelques années à vivre. Je lui ai expliqué ma vision et il a compris ce que je voulais faire et dire, même si, c’est vrai, il n’a pas trouvé cela formidable. Il savait que lorsque son film est sorti au État Unis, il était devenu un film culte qui n’avait pas était vu par le grand public. Il était seulement projeté dans des salles d’art et d’essais dans des grandes villes.

Je lui ai dit combien j’avais été extraordinairement inspiré par son film, et que je voulais lui offrir un pourcentage des recettes du film. Et bien sur, je mettrais son nom au générique, chose que vous avez vu. Malheureusement, il est mort avant sa sortie.

Je me suis posé la question de comment j’aurais réagi si quelqu’un voulait refaire un de mes films. Je crois que je me sentirais comme un père qui donne son fils au vaste monde, se mari et mène une nouvelle vie. Mais, en revanche, j’aimerais que le film soit respectueux de mon travail, de mon premier film, tout en gardant une patte originale. Bon, je ne ferais pas une grosse fête pour fêter ça, contrairement à Clouzot. En revoyant « Sorcerer », qui reste à mes yeux mon chef d’œuvre, il n’a pas endommagé ou cicatrisé « Le salaire de la peur ».

Apparemment, il y a eu une sorte de suite à « French Connection », intitulé « The Connection » (« La French » de Cédric Jimenez avec Jean Dujardin et Gilles Lellouche). J’ignore si vous l’avez vu, mais moi jamais. En tout cas, ça ne me pose pas de problème en soit.

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Bruno Cremer et Roy Scheider dans « Le convoi de la peur »

Comment Bruno Cremer s’est retrouvé au casting de « Sorcerer » ?

W.F. : J’avais un ami, Alain Resnais, si vous ne savez pas qui est Alain Resnais dehors ! (rires) Alain Resnais m’a parlé de Bruno Cremer et il m’a présenté son directeur de casting. J’avais vu Hamidou Benmassoud dans un film, que je vous conseille, « La vie, l’amour, la mort ». Je n’ai pas fais d’audition, ce n’est pas mon truc. Je ne les auditionne pas, je les rencontre, et selon les impressions qu’ils me donnent, je leurs donne le rôle ou non.

Durant le tournage, vous avez la réputation d’être un « dark wizard director » ( un sombre sorcier réalisateur) …

W.F. : … Un quoi ?

Dark wizard director.

W.F. : En ce qui concerne l’atmosphère, à votre avis, comment était-elle ? Est-ce que c’était drôle ? Pas du tout, c’était très tendu. Pour moi, le métier de réalisateur ce n’est pas sensé être drôle. Qui vous a dit ça ? Je veux des noms ? (rires)

Non, je ne peux pas … (rires)

W.F. : Allez dis moi … Qui a dit ça ? Un « wizard » ? J’espère que vous n’écrivez pas vos blogs comme ça, sans vérifier vos sources. Qui sont ces « ils ont dit » ? Je plaisante mais je prends cela comme un compliment.

L’atmosphère du tournage était comme vous le voyez dans le film. très tendue. Tous ce que vous venez de voir, on l’a créé manuellement. À l’époque, il n’y avait pas d’effets spéciaux sur ordinateur, d’objectif spécial. Aujourd’hui, on est tous en train de voler dans l’espace avec un masque, une cape, qui sauvent les gros problèmes du monde … Superman, les Avengers, Iron Man, Batman, … Tout cela, c’est pareil, c’est ce qui résume ce qu’est devenu le cinéma américain.

« Sorcerer » fait parti des derniers films, sorti aux États-Unis, sans effets numériques. Et chaque image de ces paysages très pauvres est vraie, et montrait une menace pour nous. Beaucoup sur le tournage sont tombés malades, j’ai moi-même attrapé la malaria, j’ai perdu vingt-cinq/trente kilos. J’étais beaucoup plus mince que maintenant. C’était une expérience incroyable et traumatisante pour toute l’équipe.

Par la suite, William Friedkin, tel un petit clown, prend la casquette d’un spectateur. Il commence à faire une fausse mise aux enchères de la casquette, pour seulement quatre ou cinq euros pour faire son prochain film. Puis, l’air joyeux et amusé avec sa nouvelle casquette, il continu les questions avec le public.

006William Friedkin arborant la casquette d’un spectateur

De tous les films hollywoodiens des années 70-80, il y a deux films qui pourraient se comparer à « Sorcerer », sans effets spéciaux : « Apocalypse Now » et « Fitzcarraldo ». Que pensez vous de ces films ?

W.F. : C’est vrai que je n’avais pas vu, à cette époque, « Fitzcarraldo », et j’avais vu « Apocalypse Now », qui a été fait par Coppola, un de mes amis. Ce n’était pas des références pour moi, lorsque j’ai tourné « Sorcerer ». Mais il y avait en commun la difficulté du tournage.

En 2003, lorsque vous avez tourné « Traqué » (« The Hunted », en version originale), vous êtes revenu à la nature sauvage. Est-ce que c’était la même approche, ou pas du tout ?

W.F. : « The Hunted », c’était surtout par rapport à l’histoire et les personnages. J’aime beaucoup les deux acteurs que j’ai pris, Tommy Lee Jones et Benicio Del Toro. Ils travaillaient tous les deux de façon très différente. J’ai fais deux films avec Tommy Lee Jones, qui est un professionnel extraordinaire. Quand il accepte un rôle, il ne va pas chercher le passé du personnage. Pour le diriger, il suffit de lui dire : « Tu ouvres la porte, tu entres dans la pièce, tu prends le micro, … ». Il répète toutes les actions à faire, il les fait en une prise et c’est dans la boite. Benico Del Toro c’est une autre histoire…  Tu lui dit : « Tu ouvres la porte, tu entres dans la pièce et tu prends le microphone. », il va te dire : « Attends, pourquoi je dois marcher comme ça et pas ramper sur le sol ? ». Il lui faut une longue explication pour lui expliquer pourquoi il doit marcher et pas ramper sur le sol. Après, c’est : « Pourquoi je dois prendre le microphone alors que je peux parler sans ? ». Alors, il faut lui dire que c’est dans le script, et lui demande pourquoi … Et après, c’est des questions sur « Comment était mon personnage avec son oncle quand il avait douze ans ? ». Alors j’explose et je lui dis : « Qu’est-ce que j’en ai à faire de ses rapport avec son oncle quand il avait douze ans ? Pourquoi veux-tu que j’avance des conneries qui ne sont pas dans le script ? » Alors, j’invente n’importe quoi.

William Friedkin fait une imitation de Benicio Del Toro, comme une personne qui réfléchit longuement, et dit : « Ok je suis prêt ».

W.F. : Deux très bons acteurs, mais qui ont deux processus différents. L’une des plus grandes actrices avec qui j’ai pu travailler, c’est Linda Blair, quand elle avait douze ans dans « L’exorciste ». Je lui disais : « Dans la scène de ce matin, tu prends ce crucifix pleins de sang et tu vas te l’enfoncer dans le vagin. », elle me disait : « ok. ». Imaginez si j’avais dû faire cette scène avec Benicio Del Toro, il se serait écrié : « Pourquoi ? ». (rires) Il est vrai que Linda Blair avait encore une forme d’innocence de l’enfant, qu’elle était à cette époque là. Elle n’avait jamais compris l’implication de son personnage, qu’elle était le démon. C’était comme un jeu, d’une grande confiance. Sa mère était là tous les jours sur le tournage. Des années plus tard, Linda Blair a revu le film et m’a dit : « Comment tu m’as fait faire tous cela ? ». (rires)

Quelles ont été vos influences pour les scènes psychédélique sur « Sorcerer » ?

W.F. : Simplement le lieu. « Sorcerer » a été tourné sur la terre sacrée des Navajos au Mexique. C’est exactement à quoi ressemblent ces paysages, à la fois surréalistes et presque lunaires. C’est, en fait, un paysage mental. Pour moi, à ce point du film, le personnage joué par Roy Scheider, a complètement perdu le sens du réel. Il est, en quelque sorte, devenu fou. Il est prêt à mourir, et bientôt c’est ce qu’il va se passer. J’ai trouvé ces paysages parfaits pour ces moment là. Jamais aucun film ne fut tourné sur ces terres sacrées.

Comment vous avez choisi la bande-originale du film ?

W.F. : Quand « L’exorciste » est sorti en Allemagne, j’ai fais le tour de plusieurs villes pour parler de mon film. Un ami de l’époque m’a parlé de ce trio de musiciens qui s’appelait Tangerine Dream. Ils allaient faire un concert dans une église abandonnée dans la forêt. Le concert commençait à minuit. Ils ont joué pendant plus de quatre heures avec comme seule lumière, leurs instruments électroniques. Cette musique, je l’a trouvais hypnotique, il y avait peu de parole, seules de longues notes. Après le concert, j’ai rencontré le leader et lui ai dis : « Je ne sais pas quel va être mon prochaine film, et quels sentiments il doit y avoir, mais je veux votre musique pour celui-ci. Je vous enverrais le scénario. Je ne vais pas vous demander d’écrire une musique par dessus le film, mais, au contraire, une musique qui va inspirer le film tout entier. ». Ils ont écrit des heures de musique, des impressions musicales de ce que je leurs avais dis. Mais ils n’ont jamais vu le film avant que celui-ci soit fini avec le son. Il y a d’ailleurs un album qui existe de cette musique. Récemment, ils ont enregistré, en live, avec pleins de musique que je n’ai pas utilisé pour « Sorcerer » mais qui avait été créée pour celui-ci.

8_killer_joe1« Killer Joe » de William Friedkin

Ma question porte sur la scène du poulet dans « Killer Joe ».

W.F. : Super, amenez le poulet fris maintenant. (rires)

Comment avez-vous eu l’idée de cette scène et comment l’avoir expliqué aux acteurs ?

W.F. : J’ai fais cette scène comme toutes les autres du film. Mes acteurs sont des adultes consentants. Ils savaient ce qui allait se passer car c’est dans le scénario. Donc, je leur est dit : « C’est bon, vous êtes prêt ? Faisons le ». C’est l’une des choses les plus immondes que l’on puisse faire dans le manque de respect envers une femme. Vraiment dégouttant et horrible. Mais c’était, pour moi, très important de montrer la folie meurtrière de Joe. À ce moment du film, il n’y avait pas de connotation sexuelle, mais une forme d’humiliation de cette femme, qui a trahi toute la famille.

Est-ce que certains d’entre vous font du tricot ? Une écharpe ? Un pull ?

Face à cette remarque l’audience est surprise, mais quelque mains amusées se lèvent.

W.F. : Je fais beaucoup de scènes de poursuite, et ce genre de scène, c’est un peu pareil à monter. C’est du tricot, point par point. Tout est une question de montage, ainsi qu’un travail sur le son. Un travail image par image, point par point. Le truc, pour moi, c’est de visualiser la scène complète, à chaque fois. Que le film soit bon, mauvais, avec de grands moyens ou non, je tourne et travaille de la même manière. Même quand j’écris, je visualise mon film sinon, je ne peux pas le faire. C’est comme, je le disais, tricoter. On visualise le résultat, crochet par crochet, avant de le faire. On voit le crochet et la laine et l’on sait quel va être le résultat lors du montage.

Ce qui est le plus important pour un cinéaste, c’est de communiquer avec le public. Pour cela, il est fondamental de communiquer avec les acteurs et l’équipe. Leur dire et leur donner vos idées mais aussi, écouter les leurs, et ainsi, la meilleure idée gagne. À chaque fois, j’essaie de trouver une équipe qui sera donné vie et corps à ma vision. Un peintre est face à son tableau, un écrivain est face à son papier ou son ordinateur, un compositeur est face à sa partition, le réalisateur est face à une équipe.

Ce qui m’intéresse, et ce qui vous intéresse, est cette communication. Car ce que nous partageons tous ici, en plus de notre humanité, c’est notre amour pour le cinéma. La meilleur façon pour que tous les gens du monde se comprennent, que l’on soit juif, catholique, musulman, chinois gay, hétéro, transgenre, … ça sera de tous se réunir dans une salle obscure et de regarder un film pour profiter et aimer la compagnie de l’autre.

Je voudrais vous rappeler que ma premier intention à faire du cinéma était pour sauver la vie d’un afro-américain qui allait passer à la chaise électrique (« The people vs. Paul Crump », qui mit en avant les défaillances de l’enquête policière et entraîna une réévaluation du dossier). Je voulais sauver une vie et c’est ce qui c’est passé. Ce film l’a sauvé, et j’ai pensé que ce film était le dernier jugement qui pouvait exister. C’est ainsi que j’ai commencé ma carrière de cinéaste. C’est là le grand pouvoir du cinéma, puis je suis parti à Hollywood … (rires). Tout ce qui les intéressent à Hollywood, c’était de faire de l’argent.

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Rencontre avec William Friedkin, après la projection de « Le convoi de la peur » au Club 13 à Paris, le 11 juin 2015.