Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Jean-Noël Brouté,
, la cinquantaine, est infographiste. Passionné par l'aéropostale, il se rêve en Jean Mermoz quand il prend son scooter. Et pourtant, lui‐même n'a jamais piloté d'avion...
Un jour, Michel tombe en arrêt devant des photos de kayak : on dirait le fuselage d'un avion. C'est le coup de foudre. En cachette de sa femme, il achète un kayak à monter soi‐même et tout le matériel qui va avec. Michel pagaie des heures sur son toit, rêve de grandes traversées en solitaire mais ne se décide pas à le mettre à l'eau. Rachelle découvre tout son attirail et le pousse alors à larguer les amarres.
Michel part enfin sur une jolie rivière inconnue. Il fait une première escale et découvre une guinguette installée le long de la rive. C'est ainsi qu'il fait la connaissance de la patronne Laetitia , et de leurs clients ‐ dont la principale occupation est de bricoler sous les arbres et boire de l'absinthe.
Michel sympathise avec tout ce petit monde, installe sa tente pour une nuit près de la buvette et, le lendemain, a finalement beaucoup de mal à quitter les lieux...
Peu familier de l'univers du cinéaste, je me suis laissé porter par cette dernière réalisation, comme dans un joli conte. Un univers particulier dans lequel les rencontres offrent quelques joyeux moments de détente grâce à des dialogues soignés, divertissants, sans prétention, parfois attendrissants.
Rien n'est réellement défini. Le temps ne semble plus compter et seul ce lâcher prise prend de l'importance.
Pour mieux se moquer du principal protagoniste, légèrement fantasque, un rien désabusé, Bruno Podalydès endosse le rôle.
Sandrine Kiberlain dans le rôle de l'épouse est parfaite, comme à son habitude.
La savoureuse Agnès Jaoui déploie tous ses talents. Denis Podalydès, Jean-Noël Brouté, Vimala Pons et Michel Vuillermoz, tous parfaitement à l'aise, complètent un beau casting.
Un autre point fort, la bande son qui accompagne parfaitement le propos.
Comme un avion est une sympathique flânerie flanquée d'une jolie poésie.
Nous sommes nés au même moment
‐ lui avec Versailles Rive-Gauche et moi avec Comment font les gens ?, de Pascale Bailly ‐, et j'ai le sentiment que nos chemins n'ont cessé, depuis, d'évoluer en parallèle. Nous avons tous les deux travaillé avec Alain Resnais, par exemple. Cela a‐t‐il joué dans le fait qu'il me propose son film ? Bruno a tout de même choisi trois actrices qui ont tourné avec lui ! Pour avoir apprécié son travail sur Vous n'avez encore rien vu et aimer son cinéma, je pressentais que cela collerait entre nous.
C'est un peu comme lorsque nous voyons des gens dans notre entourage se passionner pour des choses qui nous sont étrangères. Leur concentration et leur sérieux nous paraissent hallucinants et ça nous égaie. C'est d'autant plus drôle dans le film qu'on sent bien à quel point le couple est motivé par ce voyage : tout est hyper précis dans leur tête mais ‐et c'est que j'aime énormément‐ tout s'effectue aussi de façon très anodine.
Il est à peine parti sur la rivière qu'il la rappelle parce qu'il se retrouve coincé par une branche et elle trouve cela parfaitement naturel. Rachel n'est jamais dépassée par les événements, cet homme ne l'agace jamais. Il lui propose de faire une sieste ? Elle accepte. Tout est simple entre eux.
Alors qu'il part sincèrement s'aérer l'esprit et profiter de la nature durant une semaine, elle se doute que le voyage sera à multiples facettes. Il a quand même embarqué son ukulélé... Mais elle n'a pas peur. Ni lui ni elle ne vivent au pays de Oui‐Oui. Ils se baratinent un peu mais qui ne le fait pas ? En même temps, aucun d'eux ne cherche à faire du mal à l'autre. J'adore ce moment où ils se quittent sur la berge et où Michel se dit à lui‐même :
" Cette femme est lumineuse". Ce sont des phrases comme celles‐là, d'une vérité aussi forte, qui donnent envie de faire un film.
Derrière son apparente simplicité Comme un avion aborde des thèmes essentiels : le rapport à l'amour, au temps, à la liberté, à la modernité aussi. Quand Michel et Rachel regardent tous les deux la télévision, tout en étant chacun dans sa bulle‐ lui dans son projet de kayak, et elle, plongée dans une série ‐, on est au coeur du couple d'aujourd'hui.
Oui, c'est comme si l'on prenait la rivière avec lui. On est constamment à l'extérieur, dans le soleil, dans un cadre un peu champêtre, y compris lorsqu'on est à côté de Paris. Très peu decinéastes savent filmer la nature. André Téchiné ‐ avec qui je suis en train de tourner Quand on a 17 ans ‐ sait le faire comme personne. Bruno la montre d'une façon peut‐être un peu plus estivale. J'éprouve, en tous cas, la même bouffée d'oxygène qu'en regardant "
Les Roseaux sauvages".
Bruno est aussi quelqu'un de double. Il peut se montrer très adroit dans certains domaines ‐ il fait de la magie, par exemple ‐, mais il a un côté un peu gauche qui rend d'ailleurs ses personnages comiques et il en joue dans sa manière de mettre de scène. Même si elles sont très réfléchies, il aime que les choses n'aient pas l'air d'être contrôlées. On peut très bien penser, par exemple, que lorsque Michel enroule Laetitia dans le drap, c'est le fruit d'une maladresse. Bruno adore ces situations qui se déclenchent parce que rien ne se passe comme cela devrait ; des trucs de la vie.
Rachel pourrait être une femme aimante et banale. Elle est au contraire malicieuse et piquante, le quotidien ne l'entame pas.
Je ne m'arrête pas à ce que je lis. J'essaie de leur donner du relief, Je cherche ce qui va faire d'eux de vraies personnes et à les rendre, précisément, plus déjantés. On n'est jamais seulement une femme compréhensive et lisse dans la vraie vie, on n'est jamais nette. Je voyais Rachel comme ces épouses qui, même lorsqu'elles ne parlent pas, continuent à observer leur mari pour voir ce qui se trame derrière. Je voulais qu'elle soit un peu ironique, comme une mère peut l'être avec un ado. Elle est peu dubitative. Elle n'est pas dupe, quoi ! C'est souvent en observant le metteur en scène qu'on trouve des réponses - ils n'écrivent pas ce qu'ils écrivent par hasard. Sur
Les Femmes du 6e étage, j'avais remarqué que Philippe Le Guay sautillait tout le temps. J'ai pensé que sa mère, dont Suzanne, mon personnage s'inspirait, devait le faire aussi : plus j'avançais dans cette direction et plus je le sentais heureux. "C'est incroyable", me disait‐il. J'étais sur la bonne voie.
Beaucoup de choses se dessinent en amont; dès l'étape des costumes. Je souhaitais que cette fille ait de la fantaisie alors que Bruno l'imaginait peut‐être un peu plus stricte. Il n'avait pas donné de métier à Rachel et s'était étonné que je ne lui pose pas la question. Je m'en fichais ! J'avais décidé qu'elle était orthophoniste, très féminine, plutôt coquette ; très saine. Ce n'est pas parce qu'elle a des rendez‐vous
‐ et donc une clientèle ‐ qu'elle devait obligatoirement porter un blazer et trimballer une mallette. Cet aspect réglé, nous avons construit notre Rachel ensemble, dans le plaisir du jeu.
Comment qualifieriez‐vous Comme un avion ? Diriez‐vous que c'est le film de la maturité ?
Vous retrouvez Bruno Podalydès et Vimala Pons juste après avoir tourné avec eux le premier long métrage de Baya Kasmi...
Coïncidence un peu truquée. Bruno et moi ne nous connaissions pas avant de tourner
Comme un avion . Nous n'avions aucune scène ensemble sur le film de Baya et je ne me souviens pas l'avoir croisé sur le plateau. En revanche, je soupçonne Vimala et Baya d'avoir fait ma pub. J'ai senti son regard fixé sur moi un soir de fête de fin de tournage. Le lendemain, il m'offrait de tourner avec lui.
"Comment j'ai pu attendre aussi longtemps ?", lui dit‐elle. C'est joli. C'est comme un voyage initiatique. C'est un vrai voyage de découvrir le corps de l'autre, savoir comment on aime être touché, ce qui nous fait plaisir ou pas ; c'est compliqué. J'ai aimé la poésie qui se dégage de ces scènes. On filme souvent si mal l'amour au cinéma, il faut de l'imagination et de la sensualité pour le faire et il me semble qu'il y en a beaucoup dans ce film.
De la scène du drap à celle des post‐it, Michel et elle font effectivement preuve de pas mal
d'inventivité.
Bruno, qui trouvait la première trop
"cliché", a failli l'enlever. Je l'en ai empêché. Si ça, c'est un cliché, alors vive les clichés ! L'autre est tellement mignonne : c'est une idée toute simple mais qu'on n'a vue nulle part.
Entre nous, nous l'appelions la scène de la turlute, et j'avoue qu'à la lecture, j'étais un peu dubitative. Bruno, qui est vraiment à l'écoute de ses comédiens, était prêt à l'enlever. Au fil
du tournage, j'ai été tellement séduite par tout ce qui se passait sur le plateau que c'est moi
qui ai fini par insister :"Ah, non, on la fait !".
C'est un peu comme des vacances très privilégiées. Je suis là pour jouer, je m'en fais une joie, et respecte évidemment les choix du réalisateur ou de la réalisatrice
‐ c'est lui ‐ ou elle ‐ le capitaine. Je suis solidaire.
Je connaissais le cinéma de Bruno et me sentais une complicité artistique avec lui. Elle s'est confirmée sur le plateau. C'était la première fois que je tournais avec un metteur en scène qui joue dans son film comme je le fais moi‐même dans les miens.
Comme un avion m'a fait comprendre ce que des comédiens pouvaient ressentir avec moi. J'ai adoré l'expérience qui était d'autant plus particulière que nous avions beaucoup de scènes ensemble.
Ne nous connaissant pas, il a fallu un petit temps d'apprivoisement, puis, très vite, la sensation de compréhension mutuelle que nous éprouvions tous les deux nous a permis de chercher ensemble. Bruno me demandait souvent mon avis : ‐
"J'ai peur de le faire trop comme ci". Je l'encourageais : ‐ " Pourquoi n'essaies‐tu pas ça ?, tu n'auras pas de frustrations." La réalisatrice que je suis sait combien il est important d'avoir du choix au montage. Bruno m'a souvent écoutée. Ce qui ne l'empêchait pas de savoir très exactement ce qu'il voulait. Pour la scène des post‐it que nous évoquions plus haut, j'ai essayé un truc de charme qui ne lui plaisait pas du tout. "Ah non, sois simple !", m'a‐t‐il dit. J'ai très bien compris, c'était clair.
Sur le film de Bruno, j'ai commencé par me sentir perdue, j'avais la sensation de mouliner dans le vide. Je pensais : " Mais ils sont fous ? Ils n'ont pas de pendule ? ". J'étais persuadée qu'on n'y arriverait pas. Et puis, un jour, j'ai décidé de me laisser porter par ce rythme, d'écarter mes peurs et de déposer mes armes. À partir de là, le tournage est devenu merveilleux. Je suis rentrée dans un autre espace‐temps. J'ai eu l'impression de faire l'école buissonnière, il y a longtemps que je n'avais pas autant ri sur un plateau.
Un nombre incalculable, et cela participe à cette sensation de non temps que l'on ressentait. Comme toute l'équipe suit, qu'on est tous dans un grand plaisir, c'est extrêmement agréable. Moi qui ne vais jamais au combo d'habitude, j'y courais avec lui - se dirigeant lui-même, Bruno avait besoin de se voir à l'écran. J'ai retrouvé cette sensation que j'éprouvais sur les films d'Alain Resnais : l'impression de faire le film ensemble, avec un maître à bord incontestable, mais sans jamais se sentir forcé, volé ou abusé. Bruno Podalydès et lui ont beaucoup en commun : cette façon de résister au temps, une bonne éducation
‐ et le très grand non conformisme qui va avec ‐, une indicible gentillesse, comme s'ils n'exprimaient que des énergies positives. Ces deux‐là ont dû s'entendre terriblement.
Avant et durant le tournage, Bruno a souvent évoqué
Le Déjeuner sur l'herbe et Partie de campagne, de Jean Renoir. Il voulait un film lumineux. Claire Mathon, la chef op, a tenu le pari : j'ai trouvé son oeil très précis et d'autant plus remarquable que le numérique peut rendre les films horriblement cliniques. Elle a su garder la magie et la beauté. Sur ce film particulièrement, il était important de rendre la féérie du lieu et de ce voyage. Lorsqu'on tourne en extérieurs, comme c'était le cas, on prie souvent les dieux de la météo mais, quelquefois, ils ne nous exaucent pas. Or, bien qu'il ait plu énormément l'été où nous avons tourné, le soleil est apparu chaque fois qu'on en avait besoin. Nous étions bénis des dieux.
Nous nous sommes connus en 2011 sur le tournage de
J'aurais pu être une pute, de Baya Kasmi (je tombais dans ses bras dans un magasin de bricolage et le suivais jusqu'à chez lui, un sécateur à la main). On a retravaillé ensemble sur Vous n'avez encore rien vu d'Alain Resnais ‐ j'étais Eurydice dans la pièce mise en scène par Bruno à l'intérieur du film, puis nous nous sommes retrouvés sur Adieu Berthe et avons à nouveau tourné ensemble dans Je suis à vous tout de suite, le premier long de Baya Kasmi qui sortira en septembre.
Mais ma première rencontre avec Bruno remonte à bien plus loin. Vers 18 ans, j'ai passé le concours d'entrée d'une école de comédie. J'avais une scène de cinéma à jouer : en entrant dans une librairie, je suis tombée par hasard sur le scénario de
Dieu seul me voit ; je n'avais pas vu le film mais j'ai décidé de choisir un passage où Jeanne Balibar enregistre une annonce sur un répondeur. J'ai décroché le concours. Je ne connaissais rien du cinéma de Bruno, j'en suis devenue une inconditionnelle.
Elle me ressemble par plein d'aspects ‐ un peu comme si la vie se mélangeait à la fiction. C'est une fille entourée de mystère, à la fois mélancolique et joyeuse. On pourrait dire qu'elle entretient une relation platonique avec Michel mais ce serait une vision grossière. Leur relation n'est pas étiquetable et cela me plaît. Pour être franche, je n'ai vraiment découverte Mila qu'après avoir vu le film fini. Je ne me pose jamais de questions avant d'aborder un rôle. C'est le montage qui crée un personnage ; pas l'acteur. Quand j'arrive sur le plateau, je fais ce qu'on me demande, je suis dans une totale addiction au présent et je n'essaie surtout pas d'oublier la présence de l'équipe technique. Peut‐être ai‐je une vision un peu particulière de ce métier ? Par exemple, quand Bruno et moi nous nous retrouvons sous la pluie et que mon personnage se met à pleurer
‐ Mila pleure chaque fois qu'il pleut en souvenir de son premier amour ‐, je crois bien davantage à l'émotion qui naît du mouvement de la caméra qui recule qu'à celle qui pourrait naître de mon jeu. C'est le travelling arrière qui fait la scène.
J'avais déjà vécu ça avec Thomas Salvador sur
Vincent n'a pas d'écailles. C'est très particulier et très plaisant parce qu'au lieu d'être regardée de côté, on l'est frontalement. Le metteur en scène étant imprégné du film, fatalement, la mise en jeu coule de source. On peut vraiment s'adonner à ce qui me séduit le plus : jouer avec ce qui ne va pas ‐ ce minuscule interstice qui fait qu'une porte joue, s'y glisser. C'est ce que je préfère.
De
Liberté Oléron à Adieu Berthe, c'est amusant de regarder l'évolution de ses personnages. Cette fois, à l'image et hors image, il est vraiment la colonne vertébrale du film Mais ce qui me frappe le plus, c'est l'évolution de son jeu : long métrage après long métrage, il se simplifie. Il est à la fois plus léger et plus dense.
Sur
J'aurais pu être une pute , c'était la première fois que Bruno était comédien sur un autre film que le sien. Certaines choses lui ont plu, d'autres l'ont bloqué et je l'entends encore me dire : "Je comprends maintenant pourquoi certaines indications paraissent incompréhensibles, pourquoi il arrive qu'on puisse se bloquer, il faudra que je m'en souvienne quand je tournerai." C'était déjà un formidable directeur d'acteur, mais le fait qu'il joue de plus en plus chez les autres l'a rendu encore plus attentif : après une prise, il ne dit jamais "C'est bien" ou "Ce n'est pas bien" ou "Fais plutôt ça". Lui, c'est : "OK, cette prise, on l'a ; maintenant que tu as fait ça, on va essayer d'aller dans cette direction." Il n'est jamais question de refaire. Cela peut paraitre anecdotique, mais c'est capital. On ne perd jamais confiance : prise après prise ‐ et il en fait beaucoup ‐, il nous donne le sentiment de construire, sans jamais perdre son but de vue.
Très rarement. D'abord, Bruno est un formidable dialoguiste et, dans la mesure où le film parle de choses très tenues, il était important de respecter sa structure et de s'en tenir au texte. En recevant le scénario, j'avais été surprise par sa simplicité. Il y avait là quelque chose de l'ordre de la ligne droite, d'un dessin très épuré. Ce n'est qu'en jouant que j'ai réalisé combien cette simplicité devenait complexe Sur le papier, par exemple, la scène où Bruno me prend dans ses bras me paraissait assez maigre. Je pensais :
"C'est tout ? Ce n'est pas beaucoup !" Oui, sauf que tout est dit. Il y a, je trouve, énormément de sensualité dans ses mouvements de caméra.
En 2015, on vous verra également dans L'ombre des femmes, de Philippe Garrel ; vous venez de terminer le tournage de Elle, de Paul Verhoeven. À 29 ans, vous avez une filmographie impressionnante : Jacques Rivette, Christophe Honoré, Benoit Jacquot...
... Alain Resnais, Bruno Podalydès, Antonin Peretjatko, avec lequel je vais bientôt tourner la suite de
La fille du 14 juillet ... J'ai beaucoup de chance : tous ces cinéastes appartiennent à des générations différentes mais ont le même souci : ils font des films qui posent des questions, ce que j'appelle un cinéma qui n'est pas certain.