Critique d'Alcina de Haendel joué au Festival d'Art lyrique d'Aix-en-Provence (du 2 au 20 juillet 2015), une magnifique ode à la musique.
Alcina de Haendel ouvre la nouvelle édition du Festival d'Art lyrique d'Aix-en-Provence. Avec des chanteurs talentueux (Patricia Petitbon qui interprète le rôle de titre et Philippe Jaroussky qui joue Ruggiero), cette production mise en scène par Katie Miller et dirigée par Andrea Marco, deux habitués du festival, promet beaucoup. Nous avons eu l'honneur d'assister à la générale. Un véritable enchantement !
Le charme d'Alcina opère t-il toujours?
Alcina est une magicienne qui attire les hommes sur son île pour les transformer en bêtes sauvages empaillées, en rochers ou en plantes pour figer leurs traits à jamais. Ruggiero, son amant actuel semble avoir succombé à ses charmes jusqu'à ce que survienne Bradamante, sa fiancée, déguisée en soldat, qui va instiller le doute dans l'esprit de Ruggiero, le faire revenir à la raison en quelque sorte. Pourtant malgré son passé sulfureux, Alcina semble être réellement tombée amoureuse de Ruggiero et va tenter par tous les moyens en son pouvoir de retenir Ruggiero. Mais le charme et les maléfices d'Alcina suffiront-ils à le détourner de son amour pour Bradamante et du projet qu'il va mener avec elle afin de redonner vie aux hommes ensorcelés par Alcina?
Une mise en scène aux effets visuels saisissants
La mise en scène de Katie Miller se déploie sur deux niveaux : le rez-de-chaussée où se joue l'essentiel de l'action d' Alcina et un étage où se trouve le laboratoire grâce auquel Alcina transforme les hommes en bêtes sauvages empaillées et autres objets inanimés. L'articulation simultanée de ces deux lieux donne un effet visuel superbe qui captive le spectateur comme au cinéma où, parfois, l'image du film se partage en deux scènes concomitantes. Dualité des scènes, dualité des personnages et principalement d'Alcina dont on ne sait trop si elle aime vraiment Ruggiero ou si, perfidement, elle le charme pour mieux en figer l'amour. De plus, le dispositif scénique est complété par deux salles plus sombres sur chacun des côtés de la scène où, en traversant par la porte la cloison qui les sépare de la scène principale, les personnages changent d'aspect, vieillissent, et principalement Alcina et son adjointe... Ceci permet également de souligner la dualité entre leurs vies au grand jour et leurs côtés sombres, secrets quand elles regagnent ces pièces plus obscures. Transformation, le maître-mot de cet opéra est remarquablement mis en lumière par ce dispositif qui ouvre de riches perspectives de réflexion au spectateur ébahi par la qualité esthétique et visuelle de tout le dispositif conçu.
Une musique enchanteresse
La musique scintillante de Haendel est servie à merveille par Andrea Marcon qui dirige avec précision et maîtrise le Freiburger Barockorchester. On y retrouve l'intimité des petits ensembles où dominent largement les cordes avec de superbes ornements de théorbe ou de cor qui accompagnent certains morceaux. Beaucoup d'allant dans les mouvements rapides et de la couleur dans ceux plus lents, une qualité musicale qui se maintient jusqu'au bout et cette touche baroque qui émeut chaque fois que l'interprétation se hisse à sa hauteur. Et que dire des chanteurs qui eux aussi se sont mis au diapason de l'orchestre et de la mise en scène avec principalement Philippe Jaroussky (bien que tous les chanteurs soient excellents) qui joue le rôle de Ruggiero avec une virtuosité unique, merveilleux dans les doutes qui l'envahissent sur la réalité de l'amour d'Alcina et sur ceux qui s'emparent à nouveau de lui quand Bradamante, sa fiancée, se découvre à lui dans une scène magnifique. Alcina est chantée par Patricia Petitbon qui lui offre toute sa palette vocale, avec des sons sortis du tréfonds de son âme, pour évoquer son amour réel pour Ruggiero. Aussi bien dans Di cor mio que dans le bouleversant Numi! Che intendo, sa voix donne toute l'intensité émotionnelle qui fait que le drame qu'elle traverse traverse en même temps les spectateurs bouleversés par tant de talent dramatique.
Oui il s'agit vraiment d'un spectacle merveilleux qui renoue avec les grandes productions qui ont jalonné l'histoire de ce grand festival. Une production qui restera dans les annales et dans la mémoire de ceux qui auront eu la chance de pouvoir y assister. " La musique creuse le ciel " disait Baudelaire et Alcina en est une des plus belles étoiles!
Renseignements: http://www.festival-aix.com/
Diffusion sur France Musique le 6 juillet à 20h et sur Arte le 10 juillet à 22h15.
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