Elephant Man ("Vous n'êtes pas l'homme-éléphant, Monsieur Merrick... Vous êtes Roméo...")

genre: drame
année: 1980
durée: 2h05

l'histoire : Londres, 1884. Le chirurgien Frederick Treves découvre un homme complètement défiguré et difforme, devenu une attraction de foire. John Merrick, " le monstre ", doit son nom de Elephant Man au terrible accident que subit sa mère. Alors enceinte de quelques mois, elle est renversée par un éléphant. Impressionné par de telles difformités, le Dr. Treves achète Merrick, l'arrachant ainsi à la violence de son propriétaire, et à l'humiliation quotidienne d'être mis en spectacle. Le chirurgien pense alors que " le monstre " est un idiot congénital. Il découvre rapidement en Merrick un homme meurtri, intelligent et doté d'une grande sensibilité

La critique :

Pour une raison assez curieuse et énigmatique, le film Elephant Man, réalisé par David Lynch en 1980, est souvent répertorié dans le registre épouvante ou fantastique. Pourtant, l'histoire de John Merrick, alias "Elephant Man", est authentique. En réalité, Elephant Man est une version romancée de la vie de John Merrick (de son vrai nom Joseph Merrick).
Le long-métrage est aussi l'adaptation de deux livres, The Elephant Man and other Reminiscences de Sir Frederick Treves, et The Elephant Man, a study of human dignity d'Ashley Montagu. Au niveau de la distribution, le film réunit John Hurt, Anthony Hopkins, Anne Bancroft, John Gielgud, Wendy Hiller et Freddie Jones. 

Pour l'anecdote, le maquillage de John Hurt (qui interprète "l'homme-éléphant") est le résultat d'un moulage post-mortem effectué sur la tête de John Merrick. Bien que nommé huit fois aux Oscars, Elephant Man ne remportera aucune récompense. Néanmoins, il sera salué par les critiques et la presse cinéma. A juste titre, Elephant Man est aujourd'hui considéré comme un film culte et comme un classique du noble Septième Art. Le film reste avant tout un hommage appuyé à Freaks, la monstrueuse parade, réalisé par Tod Browning en 1932. Pourtant, Elephant Man est aussi le film qui va permettre à David Lynch d'asseoir sa notoriété sur la planète Hollywood.
A l'époque, David Lynch est surtout un réalisateur connu auprès du milieu artistique et d'une certaine intelligentsia élitiste. 

Certes, son précédent film, Eraserhead, a profondément marqué certains cinéastes, mais sans toucher réellement le grand public. Pour réaliser Elephant Man, David Lynch dispose de moyens conséquents. Certains fans redoutent un peu un film consensuel, larmoyant et mélodramatique comme Hollywood sait en produire à la pelle. En l'occurrence, Elephant Man se détache complètement de la tonalité étrange et fantasmagorique d'Eraserhead.
En vérité, David Lynch tente surtout d'analyser la vie misérable du vrai John Merrick. C'est surtout la psychologie de ce personnage vitupéré, brocardé et tancé par la société londonienne, qui l'intéresse. Mais pas seulement. 

Le réalisateur décrit également un milieu bourgeois et même aristocratique en opposition avec le prolétariat. Finalement, John Merrick va se retrouver, malgré lui, dans cet entrecroisement, ou plutôt dans cette lutte des classes, révélant ainsi toute la pusillanimité, l'intolérance et la duplicité d'une société dite civilisée. Attention, SPOILERS ! Londres, 1884.
Le chirurgien Frederick Treves découvre un homme complètement défiguré et difforme, devenu une attraction de foire. John Merrick, " le monstre ", doit son nom de Elephant Man au terrible accident que subit sa mère. Alors enceinte de quelques mois, elle est renversée par un éléphant. Impressionné par de telles difformités, le Docteur Treves achète Merrick, l'arrachant ainsi à la violence de son propriétaire, et à l'humiliation quotidienne d'être mis en spectacle. 

Le chirurgien pense alors que " le monstre " est un idiot congénital. Il découvre rapidement en Merrick un homme meurtri, intelligent et doté d'une grande sensibilité. Certes, Elephant Man est probablement le ou l'un des films les plus accessibles dans la filmographie de David Lynch. Pourtant, le style léché, clinique et parfois chirurgical du cinéaste est immédiatement identifiable, déjà par son aspect en noir et blanc, cette imagerie lugubre teintée par de nombreuses clartés vespérales ; ensuite par de nombreux éléments oniriques cornaquant le spectateur dans la psyché du personnage principal.
Dans un premier temps, David Lynch choisit de conserver un certain mystère sur le fameux et terrible homme-éléphant. Ce n'est pas un hasard si ce nigaud (il est décrit ainsi dans la première partie du film) est exposé comme un phénomène de foire, et plus précisément dans les fêtes foraines.

C'est là que le Docteur Frederick Treves apparaît et intervient pour la première fois. Alors que l'homme-éléphant est exploité et rudoyé par un propriétaire véreux et alcoolique (Bytes), le médecin chirurgien décide lui aussi de l'exhiber à son tour. En effet, pour ce médecin réputé de la société londonienne, l'homme-éléphant constitue un véritable objet de curiosité, non seulement scientifique, mais également humaine. Comment une telle difformité est-elle possible ?
Bien qu'exposé devant la communauté et l'intelligentsia de l'époque, personne n'a de réponse sur la maladie dont souffre John Merrick. Pire encore, celui-ci serait un idiot congénital. Pourtant, contre toute attente, John Merrick dévoile son vrai visage, celui d'un homme sensible, qui sait lire et écrire. 

Désormais, pour le Docteur Treves, il faut à tout prix protéger cet homme de la couardise et de l'intolérance extérieure. Le médecin se découvre alors une fibre humaniste. Paradoxalement, son comportement l'amène lui aussi à s'interroger. "Suis-je bon ou suis-je mauvais ?" se demande le Docteur Treves. Certes, d'un côté, il protège John Merrick de son ancien propriétaire et de tous ces hommes mercantiles qui voudraient l'exploiter dans un esprit de lucre. De l'autre, John Merrick devient la nouvelle attraction de l'hôpital tenu et dirigé par Frederick Treves lui-même. 
Désormais, toute la bourgeoisie londonienne se déplace pour voir "l'homme-éléphant". Encore une fois, John Merrick fait partie de ces enfants rejetés par la société toute entière. Il se trouve à cet entrecroisement entre une bourgeoisie pseudo humaniste et la classe des prolétaires.

Cette opposition ou cette dissension est largement soulignée dans le film. L'histoire de John Merrick est ici traitée avec beaucoup de pudeur et de justesse. Tout comme Freaks, la monstrueuse parade, le long-métrage interroge lui aussi sur notre voyeurisme. Au risque de me répéter, il existe une véritable opposition entre le John Merrick exploité et exhibé dans les fêtes foraines et un John Merrick cette fois-ci reconnu par une société qui l'a toujours vilipendé et ostracisé.
Lorsque l'esclave devient un phénomène de foire auprès de l'intelligentsia et de la bourgeoisie dominante... Sur ce dernier point, David Lynch ne fait preuve d'aucun angélisme. Au contraire, il souligne toute la papelardise d'une société bien-pensante. Même entre les mains du Docteur Treves, John Merrick reste toujours exposé à la cruauté des hommes.
C'est par exemple le cas lorsqu'il est kidnappé et récupéré par son ancien propriétaire. Bref, un tel film mériterait sans doute un meilleur niveau d'analyse. En l'état, David Lynch a le mérite de réaliser un drame à part entière qui s'écarte des productions conventionnelles. Fidèle à son style, Lynch réalise un long-métrage souvent fascinant, parfois hypnotique (notamment lors des séquences oniriques), qui a bien mérité son statut de classique du cinéma.

Note: 18/20

 Alice In Oliver