Tendance émergente de la fin des années 2000, le film d'horreur moderne trouve de plus en plus son public dans le sous-genre très porteur du found-footage. Prise de vue instable, basse qualité et plans-séquences amateurs, l'enregistrement trouvé déboule comme l'outil ultime de confrontation avec un réalisme si tangible qu'il en devient plus effrayant que la sempiternelle tagline " tiré d'une histoire vraie ". En dynamitant sa grammaire, c'est sans détours une déchirure partielle du contrat cinématographique qui nous est soumise ici. Démocratisation de l'image oblige, le metteur en scène renonce à son contrôle pratique et bombarde ses acteurs cameramen de leur propre vie domestique, poussant le voyeurisme du spectateur à son paroxysme. Tenter la capture du démon via l'objectif d'une caméra intrusive ( Paranormal Activity), mesurer un chaos mis à l'échelle de l'œil humain ( Cloverfield) ou encore forcer l'immersion par les sens d'un live télévisuel ( Rec ), les possibilités se révèlent nombreuses et riches à condition de ne pas reléguer la peur au hors-champ au point d'en annuler sa substance ( Le Projet Blair Witch). S'il rend compte en soi de la subjectivité de la terreur en empruntant largement à l'interactivité du jeu vidéo, le selfie éternisé ou l'enregistrement continu d'une expérience personnelle a su prouver par le passé qu'il remplissait le cahier des charges exigeant d'un film de cinéma. Son apport consistant à une manière originale d'appréhender nos personnages mais aussi à installer un miroir neuf. En établissant le social network comme moyen 2.0 de connexion avec l'au-delà, l'intention d' Unfriended est évidemment de causer cyber-harcèlement mais dans une approche grandement expérimentale. Ce qu'on présente ici comme un énième teen-movie horrifique opportuniste pourrait bien avoir des ambitions inattendues.
Première de la liste : toute l'action sera suivie sur la capture d'écran vidéo d'un ordinateur, passant d'un huis-clos paranormal de chambre à coucher à celui plus extrême, non moins intime, fixe et quadrillé sur une quinzaine de pouces. Le montage est celui de fenêtres modulables à souhait, la B.O est gérée par Spotify et les webcams respectives se substituent aux habituels champs/contrechamps sur un même plan. C'est donc la promesse d'un récit unique et qui s'amorce dans la plus pure tradition des détournements de logo. Celui d' Universal vient en effet s'imposer comme le tout premier plan narratif du film. Le globe terrestre introductif en manque de débit se voit déjà piraté par le sillage du spectre. Un spectre dernier cri qui laisse tomber les poncifs de la porte grinçante ou de la lévitation d'objets pour ne plus se manifester que par les codes de communications de sa proie adolescente. Un ordi agissant à sa tête, le Facebook d'une défunte de nouveau actif, un mystérieux utilisateur s'invitant à une conversation Skype... A priori, on pourrait facilement attribuer ces actions à un hacker plutôt doué sans forcément corroborer la thèse du surnaturel. Mais qu'est-ce qu'une possession si ce n'est le contrôle et l'usurpation d'identité ? Fût-ce-t-il dans un autre monde, celui du wide web. L'un des tours de force d' Unfriended réside dans sa proposition savoureuse de virtualisation du genre. Les règles de l'horreur sont transposées aux réseaux sociaux, fenêtre sur une société reconstituée en terrain de jeu pour ados. Branchés à leur matrice, le bureau informatique devient leur foyer où les moindres bugs rencontrés deviennent aussi flippants que des anomalies infligées dans une réalité. Gigantesque chimère où le pire cauchemar de voir son avatar détruit (image cultivée au fil du temps par divers réseaux sociaux) équivaut à une mort de l'identité de cette seconde vie. Et où la moindre translation du curseur a des conséquences qui risquent bien de faire saigner l'internaute dans son fauteuil en meurtrissant un corps encore jeune et vulnérable. C'est alors que Laura, le fantôme victime qui a définitivement perdu sa photo de profil (le monstre du Skype restant avec son image par défaut) entreprend de se venger en traquant celle intacte de ses anciens amis à travers un jeu sadique que Jigsway ne renierait pas. On se soupçonne les uns les autres de poignarder par son clavier dans un slasher nouvelle génération, les " pêchés " sont confessés tandis que les masques tombent au fur et à mesure qu'ils sont déconnectés de leur vie. Bénéficiant d'un casting honorable et d'une mise en scène inventive (notamment le freeze de l'image), on déplorera tout de même que le film n'offre que les balbutiements d'un concept inépuisable en tirant sur de grosses ficelles. Mais bien plus qu'un film-ordinateur, un thriller d'horreur épousant le cadre anxiogène de ses personnages pour mieux s'adapter à un discours utile : rendre compte qu'Internet constitue un formidable outil d'échange mais à manier avec précaution car l'arme a malheureusement déjà laissé des victimes derrière elle.
Titre Original: UNFRIENDED
Réalisé par: Levan Gabriadze
Genre: Epouvante-Horreur
Sortie le: 24 juin 2015
TRÈS BIEN