Breaking Bad suit l'ascension, l'apogée et ensuite la décadence d'un personnage, comme l'ont fait auparavant des films comme Barry Lyndon (Stanley Kubrick, 1975) ou Scarface (Brian De Palma, 1983). Walter White est d'abord un homme normal, souhaitant seulement que sa famille puisse vivre à l'abri du besoin après sa mort. Même si pour cela il se lance dans la fabrique de méthamphétamine, ce sont donc des valeurs nobles qui le définissent. Mais au fil du temps, le pouvoir et l'argent lui monte à la tête et il ne semble plus faire de la drogue pour aider sa famille mais uniquement pour le besoin de pouvoir qu'il s'est créé. Il le dit lui-même dans la saison 5, il n'est plus ni dans le business de la drogue ou de l'argent, " je suis dans le business de l'empire ".
Grace au format type " série ", qui étire l'histoire sur une durée beaucoup plus longue qu'un film, l'analyse du changement de Walter peut être faite beaucoup plus en profondeur et plus détaillée. Le premier grand acte montrant un changement dans sa personnalité intervient à la fin de la saison 2, quand Jane, la petite amie de Jesse, meurt d'une overdose et qu'il laisse cela arriver, en la regardant mourir. Au début de la saison 3, il se remet donc en question. " I'm not the bad guy ": " Je ne suis pas le méchant ", dit-il. Mais il suffit qu'on lui offre un beau laboratoire et une grosse somme d'argent pour qu'il oublie tout. Le pire arrive à la fin de la saison 4, quand il empoisonne un enfant (de surcroît un proche de Jesse), risquant de le tuer, dans le seul but d'élargir son " empire ". Le personnage qu'il se crée dans le milieu de la drogue, Heisenberg, devient en quelque sorte son double maléfique, son Mr. Hyde. Plus la série avance, plus il enchaine les actes immoraux. Après avoir amassé une belle pile de dollars et de cadavres, il décide au milieu de la saison 5 de se retirer des affaires. Mais la sentence de tous ses actes arrivera quand même, dans la deuxième partie de cette même saison. Il voulait sauver sa famille, au final il en perd un des membres les plus importants, Hank. Il disait faire ça pour les mettre à l'abri du besoin, mais son fils et sa femme le renie et ne veulent pas de son argent. Dans un teaser de la saison 5, on pouvait voir des images du désert défiler tandis que la voix de Walter récitait un poème qui résume très bien son cas, Ozymandias (qui est aussi le nom de l'avant-avant-dernier épisode de la série, celui où Hank meurt) de Percy Bysshe Shelley. Walter White a bâti un empire en abusant de son pouvoir et la seule chose que cela lui a value est de précipiter sa chute.
Dans le dernier épisode, sachant sa mort proche, il retourne voir sa femme et lui avoue qu'il n'a pas fait tout ça pour sa famille, mais pour le plaisir. " I did it for me. I liked it. I was good at it. And, I was really... I was alive": " Je l'ai fait pour moi. J'ai aimé ça. J'y étais bon. Et j'étais vraiment... J'étais en vie ". Cette phrase vérifie ce qui semblait clair depuis un certain temps dans la série, montrant qu'au final Walter n'était qu'un homme qui cherchait à donner un sens à sa vie. Elle donne aussi une dimension en plus à la série, nous faisant nous questionner sur la vanité de nos vies bien rangées et sans aventures. Le rêve américain est-il celui du gangster ou du père de famille vivant tranquillement ?
L'intrigue principale est donc centrée sur Walter et sa " transformation ", mais la série n'est pas moins bonne dans ses rôles secondaires. Le plus important étant Jesse qui à l'inverse de Walter, commence dealer et souhaiterait bien se retirer et avoir une famille. Egalement à l'inverse de Walter, les actes qu'il accomplie le ronge de l'intérieur et il tombe dans la déprime dans la saison 4, jusqu'à balancer tout son argent dans la rue dans la saison 5. Etrangement dans la série, la sagesse est donc plus représentée par la jeunesse de Jesse que par Walter.
Si les personnages d'anti-héros sont devenus assez communs dans les séries (Les Sopranos, Dexter), Breaking Bad rapproche encore les séries du cinéma par sa mise en scène. On y retrouve en effet une certaine lenteur dans le rythme propre au cinéma, insufflant ainsi à la série une vraie ambiance. Il serait beaucoup trop long de citer toutes les idées visuelles de la série, mais l'utilisation de plans très larges montrant le Nouveau-Mexique (la rapprochant parfois du western), nombre de très beaux plans utilisant la profondeur de champ ou encore l'utilisation récurrente de caméras posées sur ou dans des objets font de Breaking Bad une série visuellement très cinématographique, ce qui lui apporte un réel cachet.
Enfin, un dernier point important à propos de la série est qu'elle ne se prend pas toujours au sérieux. Que ce soit à travers les situations dans lesquelles se retrouve parfois Walter ou par le personnage plutôt comique de l'avocat, Saul Goodman, Breaking Bad ne manque pas d'humour.