Tant que les lapins n'auront pas d'historiens, l'Histoire sera racontée par les chasseurs. Ainsi s'ouvre le documentaire d'Olivier Azam et Daniel Mermet qui expose les travaux de feu l'historien américain Howard Zinn. Ce premier opus intitulé Bread and Roses, initie une trilogie - on espère que Les Mutins de Pangée pourront donner vie aux deux autres films à venir - sur l'autre Histoire des Etats-Unis : celle qui compile les luttes sociales et syndicales, les combats de personnages ordinaires et anonymes qui ont façonné les Etats-Unis. Howard Zinn n'a eu de cesse de taper du pied dans la fourmilière en donnant la parole à ceux dont les voix ne portent pas face aux puissants : les indiens, les esclaves, les prolétaires, les femmes et les enfants. Tout au long de sa carrière, l'historien a cherché à déconstruire les mythes fondateurs qui occultaient la masse d'inconnus qui ont littéralement construit et constitué l'Amérique, sans jamais avoir pu laisser leurs empreintes. Il écharpe notamment les grandes figures tutélaires - Christophe Colomb parlait des indiens en ces termes : " Ils feraient de très bons serviteurs. Avec 50 hommes nous pourrions tous les subjuguer et leur faire faire ce que nous voulons. " - pour en révéler l'imposture : ces figures sont autant de silhouettes étrangères aux vrais américains. Les réalisateurs ont à cœur de populariser les théories d'Howard Zinn avec clarté et d'incroyables images d'archive à l'appui. Howard Zinn, Une histoire populaire américaine ne dresse pas seulement le tableau de l'Amérique, il propose au spectateur de réfléchir à ceux qui font l'Histoire, à leurs véritables motivations, et d'adopter un regard critique sur ce qu'on assène trop souvent comme des vérités immuables dans les écoles.
En somme, c'est un documentaire qui mérite d'être vu et suivi de la lecture des travaux de l'historien encore trop méconnu. C'est aussi un formidable document qui mériterait d'être projeté dans les salles de classe où l'Histoire s'apprend parfois par cœur. Le film est encore diffusé à l'Espace St-Michel sur Paris, et de nombreuses projections-débats sont organisées dans toute la France jusque novembre prochain.
Kurt Cobain : Montage of Heck
Comme son titre le laisse présager, Kurt Cobain : Montage of Heck est un documentaire sur le leader sombre mais mythique de Nirvana. Le film, présenté comme le seul documentaire autorisé sur l'artiste et diffusé sur HBO, a connu une sortie assez confidentielle en salles. Le succès d'une séance unique le 4 Mai dernier dans les cinémas Gaumont Pathé a convaincu d'autres salles de reprendre la diffusion entre le 6 et le 12 Mai. Et c'est bien dommage que le film n'ait pas eu plus de temps pour rencontrer son public, qui plus est hors région parisienne ! Ce documentaire est un véritable petit bijou : enregistrements audio et vidéo inédits, issus des effets personnels de Kurt Cobain et ses proches, séquences d'animation éblouissantes et interviewés jusqu'alors peu entendus. Vous ne verrez pas l'incontournable Dave Grohl. Ici, le réalisateur a souhaité raconter Kurt Cobain par ses plus intimes : mère, père, sœur, meilleur ami, premier amour, femme. Tout ce qui constitue la cellule familiale et affective d'un individu. Et le résultat est saisissant ! Ces personnages - relativement - anonymes pour le public racontent leur enfant, frère, mari et ami avec une réelle tendresse mais aussi une bonne dose de lucidité et d'honnêteté, sans détours. Par-delà l'image du jeune rebelle adepte de substances, Morgen dresse le portrait d'un homme touchant d'humanité. Un tableau très intime de l'artiste qui est également raconté par des dessins, notes et écrits très personnels. Des documents inédits qui révèlent une nouvelle facette de Kurt Cobain, celle d'un garçon blessé, à la recherche d'un idéal qu'il aura sans cesse poursuivit sans jamais le trouver véritablement. Ce film, détrompez-vous, n'est pas une simple compilation factuelle de la vie du grunge le plus célèbre qui soit. Le documentariste a véritablement voulu donner vie à ces documents par le biais de belles séquences d'animations : les écrits et dessins du chanteurs courent sur les pages vierges et ses souvenirs d'adolescent taciturne dans la petite ville d'Aberdeen s'animent sous nos yeux.
Montage of Heck est un must see pour les amateurs du groupe et pour ceux qui chercheraient un nouvel éclairage quant à la personnalité de Kurt Cobain. Pour ceux que les riffs enragés indiffèrent, le film demeure un énième documentaire sur l'artiste. Quoi que... Brett Morgen livre une belle leçon de cinéma sur la façon de donner vie à des documents qui pourraient rester de simples archives.
Il était une fois en Yougoslavie : Cinéma Komunisto
Autre production des Mutins de Pangée, est une perle rare pour les amoureux de cinéma, d'histoire et autres curieux. Témoignage des productions cinématographiques d'un pays désormais disparu, ce documentaire retrace l'histoire du cinéma Yougoslave dans toute sa démesure. Mila Turajlic, la réalisatrice, est partie sur les traces de ces vieux messieurs qui ont participé de près ou de loin à l'ubuesque destin cinématographique du pays : le projectionniste attitré de Tito, cinéphile à ses heures perdues, d'anciennes gloires du cinéma, réalisateurs et directeurs de studio. A grand renfort d'images inédites et d'incroyables confessions, Turajlic retrace la brève histoire de ce pays dans lequel l'armée et l'état participaient activement à la réalisation de nombreux films. Ceux-là narraient les exploits militaires de Tito ou cherchaient à créer un imaginaire collectif pouvant donner lieu à une identité Yougoslave. Il faut rappeler le projet du Maréchal d'unifier une région qui abritait notamment cinq nations, trois religions, six républiques ou encore quatre langues. Un projet ambitieux et utopique, à l'image du cinéma de l'époque ! Dans ce documentaire, on apprend par exemple que pour La Bataille de la Neretna, réalisé par Veljko Bulajic, Tito a autorisé l'équipe à faire exploser un pont. On pouvait également sacrifier des dizaines de véhicules militaires pour les besoins d'une scène. Le Maréchal Tito comptait tellement sur le cinéma pour rassembler une région politiquement et culturellement morcelée, qu'il avait encouragé la création des gigantesques studios Avala, désormais en cours de démantèlement. En leurs temps, ces studios ont rivalisé avec le Cinecittà italien et attiré Orson Welles, Sophia Loren et Carlo Ponti, ni plus ni moins.
Ce témoignage que nous livre Mila Turajlic est d'autant plus précieux qu'il a nécessité un travail d'enquête de plus de quatre ans pour compiler les archives et retrouver les bandes originales. Mal conservés et peu entretenus, ces documents ont véritablement été sauvés de la disparition. Bien plus qu'un documentaire, Cinéma Komunisto est la dernière preuve d'une folle époque désormais révolue et dont il ne reste que de vagues souvenirs. Magnifique !