" La télévision est une invention qui vous permet de faire rentrer
dans votre salon des gens que vous n'aimeriez pas recevoir chez vous. "
- David Frost
oin du vulgaire film de série B avec lequel on pourrait le confondre, Videodrome est le septième long-métrage du réalisateur canadien David Cronenberg. L Videodrome livre une critique acerbe et hallucinée du monde contemporain.
Max Renn, patron d'une chaîne érotique miteuse, est sans cesse à la recherche de nouveaux programmes à diffuser. Avec son ami Harlan, pirate des ondes, il capte un bien sordide spectacle en direct de la Malaisie : des prisonniers sont torturés et violés. Renn va plonger tête la première dans une machination où réalité et virtualité s'entremêlent jusqu'à la folie.
Rien n'est jamais gratuit chez ce réalisateur qui aime à construire un univers fantasmé cohérent et en extirper une critique acerbe de nos déviances technologiques et sociales. Cronenberg tourne et retourne ici ses thèmes favoris : mutations organiques, violence et érotisme, contagion, ou encore, frontière entre réel et imaginaire. Tout cela concourt à faire de un objet peut-être devenu kitsch mais surtout prémonitoire en matière d'univers virtuels tels qu'ils sont consommés de nos jours : à coup d'internet, d'oculus rift ou d'objets connectés. On peut notamment sourire de la remarque du Professeur O'Blivion, à propos de son curieux patronyme : Videodrome un objet filmique déroutant, difficile à appréhender et quasiment prophétique. Tout d'abord, il faut savoir que l'écriture de ce film s'est fait dans l'urgence, ce qui peut expliquer à la fois l'aspect foisonnant, décousu et finalement organique de son résultat. Résultat qui colle finalement assez bien au propos du film qui se veut une satyre hallucinée de la télévision et, à travers elle, d'un monde virtuel en train d'émerger. Ce qui en fait " That's my television name. Soon all of us will have special names, names designed to cause the cathode ray tube to resonate. " Le pseudo, outil désormais incontournable à notre vie numérique, est ici préfiguré. Les pseudos sont d'ailleurs devenus autant d'occasion de schizophrénie virtuelle à mesure que nous les multiplions et peinons à nous en souvenir. Pour le cinéaste, la télévision ne rend pas seulement fou, elle suscite chez le spectateur quantité de désirs inutiles, dangereux voire malsains. C'est ce qui est explicité dans la scène de sexe entre Max et Nicki, visiblement excités par les tortures présentées dans l'émission. Une télévision d'autant plus dangereuse qu'elle touche presque la totalité de la population mondiale. Si Cronenberg refuse le terme de prophète, il faut lui reconnaître un certain flair dans l'anticipation de problématiques alors naissantes et devenues, de nos jours, sources de débats acharnés. Le canadien aime d'ailleurs à exposer nos vices cachés, les tendances que nous partageons mais dont, pour la plupart, nous avons véritablement honte. L'objet télévisuel n'est donc pas l'unique cause de nos déviances, bien entendu. Peut-être les amplifie t-il, tout au plus.
* *
Dans Videodrome, la télévision investit ceux qui la regarde comme le ferait un virus dont l'enjeu est la propagation. Voilà encore une idée totalement actuelle à l'heure où les programmes sont pensés pour faire grimper l'audimat et vendre du jus de cerveau aux marques ( comme l'a si bien résumé Patrick Le Lay). Une télévision qui s'insinue au plus profond de nos neurones pour mieux nous manipuler, sorte de viol mental consenti. Pour rendre la chose plus palpable et ostentatoire, le cinéaste joue d'une imagerie organique et trash qui a contribué à faire sa renommée. Cette signature, devenue véritable héritage cinématographique, a d'ailleurs été réutilisée par le rejeton de Cronenberg dans son premier long : . Admirable première réalisation, soit dit en passant, qui reprend les obsessions du père et les adapte aux aversions du fils. Mais revenons-en au trash de Videodrome qui n'a rien de gratuit. Il permet en effet de transcrire visuellement et viscéralement des mécaniques invisibles et inconscientes : l'aliénation des hommes aux technologies de communication ou encore la lobotomisation massive perpétrée par la télévision. Autant de nouvelles formes de dépendances qui inquiètent le cinéaste et dont il se sert comme support à sa fable horrifique. Cronenberg joue également avec les nerfs du spectateur en présentant alternativement des scènes hallucinatoires émanant de l'esprit de Max Renn. A tel point que la réalité ou sa transcendance devient un enjeu vital. Max Renn manipule-t-il la réalité à mesure qu'il en créé une qui lui est propre, l'hyper réalité ? Ou bien est-il purement et simplement consumé par ces hallucinations qui lui seraient étrangères ? En ce qui concerne le traitement de l'hyper réalité de Baudrillard dans Videodrome , je vous conseille la lecture de cet article issu de Refractory, un e-journal de l'Université de Melbourne. Passionnant. Sur le plan cinématographique, on ne peut que constater la torsion que Cronenberg inflige au point de vue.
* * * *
En filigrane se profile un des thèmes chéris de Cronenberg : la contagion. Exit les virus et autres maladies. Dans Videodrome, l'agent pathogène c'est avant tout la main créatrice de l'homme. Le mal (sous forme de tumeur) se répand par les ondes grâce à un programme télévisé conçu par un opticien arriviste. La télévision elle-même est une invention de l'homme. Le Professeur O'Blivion, véritable gourou audiovisuel, rééduque les inadaptés grâce à la télévision au sein de sa Cathode Ray Mission (Mission du Rayon Cathodique). Autant de dispositifs qui sont issus de la main de l'homme et qui se retournent contre lui. Comme l'explique Masha : agenda de Convex se résume à défendre son pays en créant une sorte de surhomme : dur, infaillible et guerrier. Harlan résumera ainsi la question : It has a philosophy. Le programme télévisé est d'autant plus dangereux qu'il sert des dessins propre à son auteur, Barry Convex, et sa société Spectacular Optical. Une société multi-casquettes qui prêtera à rire tant elle préfigure nos entreprises modernes. Cette société produit aussi bien des lunettes, que des programmes télévisés ou encore des systèmes de guidage pour missiles. Un véritable fourre-tout spécialiste en rien. L' I'm looking for something that will... break through. ) et méprise un programme qu'il juge trop soft. C'est ainsi qu'il apprendra l'existence de Videodrome, programme éminemment violent et malsain, qui le mènera à de nombreuses hallucinations où il s'improvise bourreau. Lui-même programmé, Renn sera poussé à tuer ses associés grâce à une arme dissimulée à l'intérieur de son ventre. N'y a-t-il pas d'image plus parlante ? Videodrome amène l'homme à intégrer la violence en son sein, à l'instar de Max dont le ventre absorbe le revolver. Tout cela découlant de la force et de l'idéologie d'un seul homme. Le culte est finalement la nouvelle forme de contagion. Cronenberg dissèque ainsi la force des idolâtries que nous pouvons vouer aux objets comme aux concepts ( North America's getting soft, patrón, and the rest of the world is getting tough. [...] We're entering savage new times, and we're giong to have to be pure and direct and strong, if we're going to survive them. Now, you and this cesspool you call a television station and your people who wallow around in it, your viewers who watch you do it, they're rotting us away from the inside. We intend to stop that rot. Là encore, le cinéaste nous interroge sur les objets de culte : sont-ils de simples objets ou se trouvent-ils investis d'autres fonctions, d'idéologies particulières ? Le but de Convex est en lien avec sa vision de l'utopie, en l'occurrence un monde nationaliste et patriotique. Il y a donc fort à parier que les entreprises de Convex véhiculeront l'utopie qui est la sienne : un monde emprunt de protectionnisme. La violence, voilà peut-être un des personnages les plus représenté dans ce film ! Dès le début du film, Max recherche un nouveau programme qu'il espère détonant ( comme le dénonce ce court-métrage), nouvelle preuve de son regard visionnaire sur des phénomènes désormais totaux.
* * * *
Sous ses aspects de série B gore, Videodrome cache la vision foisonnante et complexe d'un auteur visionnaire et critique à l'égard d'une société en mutation. C'est un visionnage d'autant plus formateur que les intuitions du cinéastes semblent totalement validées par l'arrivée des dernières technologies du numérique en date. Ce film témoigne également de l'ingéniosité et de l'intelligence du film de genre régulièrement boudé par le large public. Enfin, il aura le mérite d'avoir assis la notoriété d'un grand réalisateur, David Cronenberg, et nourrie l'imaginaire d'un autre cinéaste en devenir, Brandon Cronenberg.
Laissez-vous tenter par cette fable horrifique et futée.