Chained (Cinéaste de père en fille)

Par Olivier Walmacq

Genre : Thriller (interdit aux -12 ans)

Année : 2012

Durée : 1h34

L'histoire : Bob, tueur en série arpentant les rues de la ville, traque sa proie depuis son taxi, en compagnie de Tim, son protégé. Ce dernier, réticent, est face à un choix crucial : marcher dans les pas de son ravisseur ou s'en émanciper...

La critique :

Inutile aujourd'hui pour les cinéphiles de rappeler le nom de David Lynch tant celui-ci a marqué le grand écran et fait tourbillonner le cerveau des quelques aventuriers désireux de s'essayer à son univers atypique, à mi-chemin entre les rêves et les cauchemars. De fait, Lynch demeure un cinéaste autant adulé par ceux voyant en ses oeuvres une véritable prouesse scénaristique et métaphorique, que détesté par ceux lui reprochant un cinéma pompeux et prétentieux.
Clairement j'appartiens à la première catégorie car Lynch a une façon de brouiller admirablement les pistes tout en conservant l'attention du spectateur et de plus, cette manière de proposer un cinéma sensoriel et intelligent, vu que chaque personne aura sa propre interprétation des faits, mérite d'être souligné. Nous sommes clairement aux antipodes du cinéma facile d'accès actuel avec des oeuvres phares et mêmes cultes, telles que EraserheadMulholland DriveLost HighwayBlue Velvet (même si la construction scénaristique de celui-ci est très compréhensible, ce qui est rare). Ou enfin le très controversé et son oeuvre la plus compliquée, j'ai nommé Inland Empire nous proposant un périple totalement hallucinatoire d'une durée de 3h. 

Maintenant pourquoi je parle autant de David Lynch, me direz vous ? Tout simplement car ce ne fut pas le seul cinéaste dans cette famille et qu'une relève a été assurée par sa propre fille qui n'est autre que Jennifer Chambers Lynch, qui nous gratifie ici d'un de ses derniers long-métrages du nom de Chained. Par le passé, Jennifer s'est déjà distingué en réalisant des oeuvres très peu connues comme Boxing HelenaSurveillance ou encore Hisss, qui n'ont pas été particulièrement bien applaudies par les critiques. Mais personnellement je ne les ai pas vues donc je ne peux me prononcer dessus.
Mais revenons plutôt à Chained, ATTENTION SPOILERS : Une femme accompagnée de son enfant rentre en taxi chez elle où son mari l'attend, mais le taxi ne les déposera jamais à destination car il s'avère que la personne au volant est un psychopathe à la psychologie instable et cachant de nombreuses cicatrices. La conséquence de ces plaies est qu'il viole et massacre les femmes qu'il décide d'enleve. Et la mère de notre cher Tim n'échappera pas à la règle. Quant à Tim, il sera bien malgré lui, des années plus tard, sous la tutelle de notre tueur ayant participé à son éducation, et qui cherche une relève pour assurer la pérennité de ses ébats. Mais est-ce que Tim pourrait être le candidat idéal ou cherchera-t-il à s'émanciper de ce tueur ayant massacré sa mère des années auparavant ? FIN DU SPOILER. 

Nous sommes d'accord que la lecture du synopsis se montre très encourageante car notre chère Jennifer nous propose une vision différente du psychopathe traditionnel sans pitié. Maintenant on peut légitimement se demander si la fille de David Lynch fait honneur à son père et au risque de me répéter, si je n'ai pas vu ses précédentes oeuvres, je tiens à dire que OUI, Jennifer Lynch est devenue une sérieuse candidate avec cette oeuvre bien plus acclamée par les critiques que les précédentes, tout simplement car elle s'inspire de l'ambiance Lynchienne, en nous servant une construction scénaristique complètement différente du travail de son père. Nous ne sommes pas en face d'un bête copié-collé facile, et ça c'est déjà un bon point car on sent dans cette oeuvre de l'inspiration, du travail et de la recherche. Un vrai film d'auteur en gros. 

La première chose qui frappe au visionnage, c'est le boulot d'orfèvre apporté à l'ambiance, aux effets de lumière et aux cadrages. C'est lisse, c'est soigné et une autre grande force du film, comme je l'ai dit avant, est d'avoir misé sur les éclairages et un panel étendu de différentes couleurs tout en conservant l'atmosphère poisseuse et oppressante désirée. Et je n'irai pas par 4 chemins en disant qu'à la lecture du film, on ressent un malaise permanent devant le sujet traité et l'ambiance glauque qui en découle. Le simple fait de filmer le passage à tabac de la mère devant les yeux du fils pleurant dans la voiture reste d'une grande puissance psychologique. 

Deuxièmement, le jeu d'acteur reste très impressionnant. On reste bluffé devant l'interprétation effrayante du tueur Bob incarné par Vincent D'Onofrio qui crève l'écran via une prestation charismatique d'un tueur presque maniaco-dépressif et vouant apparemment une haine du sexe féminin. Il n'en fait jamais trop et son sourire sadique en disant "Rabbit" (le surnom de Tim) risque de rester longtemps en mémoire après le visionnage. Depuis le début du film, il prendra Tim sous son aile en le coupant de tout caractère social et n'hésitera pas à l'instruire à la médecine, tout cela dans le but d'avoir une meilleure connaissance du corps humain pour (on suppose) torturer de manière très efficace ses victimes.
Evidemment notre Rabbit incarné par Eamon Farren se défend aussi bien que D'Onofrio en nous offrant le portrait d'un garçon renfermé, détruit, associal à l'esprit presque léthargique et surtout particulièrement terrifiant. C'est bien simple, on jurerait avoir en face de nous un tueur en série. Enfin, le Rabbit jeune incarné par Evan Bird (un des acteurs "principaux" du très bon Maps To The Stars) se défend tout aussi bien en incarnant un enfant abandonné et ravagé par la perte de sa mère. 

Comme je l'ai dit avant, Jennifer Lynch nous offre ici quelque chose de fondamentalement différent de son père qui explorait les thématiques de l'inconscient et du rêve via des mises en abîme et une construction narrative nébuleuse volontaire pour désorienter les spectateurs. Les réfractaires à ce type de cinéma seront ravis d'apprendre que l'intrigue est on ne peut plus claire, et que jamais il n'y a aura de volonté de désorienter. L'intrigue est tout ce qu'il y a de plus cohérente et se montre simple à suivre vu qu'elle agit la plupart du temps comme une sorte de huis clos se déroulant dans la maison de notre tueur, et tout cela en nous offrant un scénario original et une ambiance aux petits oignons. Bien sûr, le passé du tueur sera lui aussi mis de temps en temps en avant via l'apparition de quelques flash-back nous montrant l'enfance infâme (et le mot est faible !) de notre tueur. 

J'émets cependant quelques réserves sur le genre épouvante-horreur mentionné par le distributeur du film car à aucun moment, ce style ne m'a frappé durant le visionnage. Tout d'abord, et nous serons clairs, il n'y a pas une once d'épouvante dans le récit et quant à l'horreur, disons qu'elle est davantage psychologique et suggérée que réellement viscérale. Le film s'attarde surtout à nous raconter et montrer les liens complexes existant entre le bourreau et sa victime carrément enchaînée à un mur.
Ne vous attendez donc pas à des effluves de sang et à un massacre dans les règles de l'art car ici Jennifer, comme son père, mise avant tout sur l'ambiance et la psychologie, mais aussi le travail d'acteurs des personnages dans ce cas précis. Le long-métrage se veut relativement posé à ce niveau mais peu importe, on reste terrifié par le destin de ce garçon isolé de tous et à la merci d'un tueur sans pitié. En cela, Jennifer Lynch fait honneur à son père (j'ai l'impression de me répéter, mais c'est l'impression qui reste après le visionnage du film qui nous fout une claque alors que l'on n'en attendait pas grand chose au départ). 

Fort heureusement, l'intrigue ne se résumera pas à la relation entre nos deux acteurs principaux même si celle-ci est au centre du scénario. Bob tient à faire de Rabbit son digne successeur, mais rien ne se passera comme prévu et divers évènements vont faire en sorte d'apporter un peu de piment dans la sauce si je peux m'exprimer ainsi. Le long-métrage a une certaine intensité propre à lui-même tout au long du récit (avec des moments plus calmes bien évidemment).
En conclusion, Jennifer Lynch nous offre ici une très bonne surprise mettant en scène une relation bourreau-victime du plus bel effet avec des personnages forts en caractère et qui ont une vraie présence, ce qui manque à la majorité des acteurs hollywoodiens actuels. Rajoutez à cela un boulot impeccable sur toute la plastique du film (décors, éclairages, lumières, les plans de caméra toujours bien lisibles), et vous obtenez une petite pépite malheureusement méconnue, mais qui se montre diablement efficace et a le mérite de se démarquer du tueur classique sans foi ni loi. J'ai l'impression que ma chronique est un peu plus courte que d'habitude, mais je ne trouve franchement rien d'autre à dire excepté : "Une réalisatrice prometteuse et à suivre". 

Ma note :14/20 

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