Dans une petite ville de province, deux amies Karen Wright et Martha Dobie dirigent une institution pour jeunes filles, aidées par Lily, la tante de Martha, une ancienne actrice excentrique. Fiancée au médecin Joe Cardin, Karen a du mal à s'engager et à laisser à Martha la direction de l'école. Mary, une élève insolente et menteuse, alors qu'elle a été punie, lance la rumeur que les deux professeurs ont une relation "contre-nature". Elle commence par le raconter à sa grand-mère...
La Rumeur – 25 Avril 1962 – Réalisé par William Wyler
C'est un film que je n'ai découvert que sur un seul argument, Audrey Hepburn jouait dedans ! Et je suis bien content de l'avoir découvert car c'est un film sur un sujet qui n'était pas courant dans les années 60, celui de l'homosexualité féminine. Ce qui était la deuxième chance pour William Wyler d'adapter de la meilleure des façons la pièce de Lillian Helman « The Children's Hour » !
Dans une petite ville de campagne des États-Unis, un pensionnat pour jeunes filles connaît un bel essor. Il est tenu par deux amies de longues dates, Karen Wright et Martha Dobie qui ont connu le même parcours, jusqu'à être diplômées en même temps. Dévouées et pleines de talents, elles s'occupent avec beaucoup de passion de leurs pensionnaires. Logées et nourries dans une belle bâtisse en plein milieu de la campagne, les élèves s'épanouissent dans un cadre agréable et rassurant. Rien ne pouvait troubler ce calme salvateur à part les agissements de l'une des élèves, la turbulente Mary. Alors que Karen et Martha font ce qu'elles peuvent pour leur offrir une bonne éducation, Mary n'aime guère ça, c'est trop dur ou trop contraignant mais comme personne ne tient compte de ses lamentations, elle va lancer la pire des choses, une rumeur sur ses deux professeurs.
En 1809, Marianne Woods, 27 ans, et Jane Pirie, 26 ans dirigent un petit mais fructueux pensionnat a Edimbourg. Parmi leurs élèves, il y avait Jane Cumming, la fille illégitime du défunt fils de Lady Gordon Cumming et d'une servante bengali.
Le 4 Novembre 1810, Jane Cumming rend visite à sa grand-mère et accuse les deux institutrices « d'affection excessive » l'une envers l'autre. Consternée Lady Gordon Cumming prévient les parents d’élèves en les avertissant du comportement immoral des institutrices. Chaque enfant fut retiré, plongeant définitivement le pensionnat vers la faillite. Un long procès eu lieu, qui choqua l'assistance notamment par les déclarations des élèves. Et même si au final Woods et Pirie obtinrent gains de cause, elles furent ruinées.
Longtemps gardée secrète, cette histoire n'a resurgit qu'en 1931 lorsque des papiers concernant l'affaire ont refait surface dans une bibliothèque. Trois ans plus tard Lillian Hellman sortait sa pièce de théâtre intitulé « The Children's Hour » inspirée par l'affaire de 1809. Et deux ans après la sortie de la pièce de Hellman, William Wyler l'adapte pour le cinéma, mais la censure étant ce qu'elle était à Hollywood (Code Hays) le film ne contint aucun élément qui aurait pu déranger la bien-pensance américaine. C'est à dire aucune mention de l'homosexualité prétendue des deux institutrices.
Mais en 1961, le Code Hays est plus souple et William Wyler a l'opportunité de signer une nouvelle adaptation de la pièce de théâtre d'Hellman. Le scénario est confié à John Michael Hayes. Un auteur qui a écrit quelques scénarios pour Alfred Hitchcock, dont les insignifiants scripts de la Main au Collet, Mais qui a tué Harry ?, l'Homme qui en savait trop et bien sur de la Mort aux Trousses. Et on sent clairement l'empreinte d'un scénariste habitué a des récits pleins de suspenses et de tensions car l'histoire est traitée comme un thriller, avec évidemment des pointes de drame savamment dosées. Car le film est un procès, un procès injuste mais habilement raconté ou le méchant est une enfant, ou la rumeur prend les habitants d'une petite ville en révélant le pire de l’espèce humaine. Ce qui est très judicieux car si les personnages jugent inacceptable ce qui se passe à l'école, Wyler juge les accusateurs !!!
Sur un tempo assez lent, William Wyler nous fait entrer doucement dans le quotidien de l'école. L'exposition des personnages et des lieux est méticuleuse, tant pour que l'on comprenne le fonctionnement de l'école que pour mieux faire connaissances avec les divers protagonistes. On peut apprécier l'impeccable direction artistique de Fernando Carrere, de l'élégance des costumes de Dorothy Jeakins ou encore des décors signé par Edward G. Boyle. Un ensemble de paramètres qui donnent un cachet très froid et dur à cette histoire. William Wyler quant a lui sait accélérer avec efficacité pour faire monter la pression. Les non-dits nourrissent l'histoire et la mise en scène sait les transcender en les laissant hors-champ d'un œil ou d'une oreille curieuse. Les scènes clés du film prennent alors un poid très grave. Le retrait des enfants de la pension est d'une violence inouïe, le harcèlement constant par des hommes de la ville créé un climat de peur constant et les nombreux aparté dans une pièce aussi, tant par le sujet que par les petits procès qui s'y jouent ! Et qui reprennent quant à eux les codes du théâtre tout en gardant une profondeur de champ agréable pour la compréhension de la scène. Tout cela s’enchaîne avec fluidité pour arriver sur un double twist déchirant, exacerber par la mise en scène dynamique de Wyler qui continue de laisser hors-champ ce que l'on ne voudrais pas voir.
[SPOILERS] Alors que pendant tout le film, William Wyler n'aborde l'homosexualité que par des non-dits ou par des petits gestes de tendresse, le personnage de Shirley MacClaine dévoile ses sentiments pour celui d'Audrey Hepburn. C'est une bascule très intéressante pendant une scène vraiment éprouvante ou la souffrance et la frustration s'exprime face a une Hepburn impassible. Symbolisant certainement à l'époque la volonté d’être reconnue par tous comme des citoyens lambda, sans subir aucune discrimination.
Un électrochoc pour le personnage de Karen Wright qui va dans un premier temps la faire cogiter, sur elle et sur les sentiments qu'elle ressent pour Martha. Et dans un deuxième temps, pendant l'enterrement de Martha (Elle c'est suicidée, accablée par la fatigue, le harcèlement et par le chagrin d'un amour qui n'est pas réciproque) ou toutes les personnes qui les ont accusées sont là. Ils font pénitence d'une manière bien grossière et là Karen à un toute autre comportement, la démarche est assurée, le regard droit et la posture pleine de détermination. A telle réalisé qu'elle avait des sentiments pour Martha ? Et qu'il n'y avait rien de « contre nature » la dedans ? Je ne saurai être affirmatif par contre elle a bien l'intention d'avancer et de montre au monde qu'elle existe !
Le casting du film est irréprochable. Le seul rôle masculin est joué par James Garner, imposant et maladroit, il est l'archétype de l'homme des années 60. L'étonnante Karen Balkin, l’interprète de l'affreuse Mary est une vraie surprise. Manipulatrice, menteuse et méchante, elle est l'incarnation de l'enfant-roi et de la toute puissance de l'enfant dans le foyer. Fay Bainter qui joue la riche grand-mère de Mary, elle fait tout dans la retenue, se refusant de verser dans la surenchère. Miriam Hopkins incarne avec passion l'actrice sur le retour qu'elle est, exubérante et narcissique. Et les deux tête d'affiche sont tenues par les excellentes Shirley MacClaine et Audrey Hepburn. Toutes les deux dans des registres différents, la sensibilité pour MacClaine et la retenue pour Hepburn, elles donnent vie a l'une des plus belles amitiés que j'ai vu dans un film …
La rumeur, cet implacable bruit qui détruit tout. Balayant les personnes, pervertissant les âmes ...