Aferim! un objet filmique non identifié à découvrir absoluement

Par Journal Cinéphile Lyonnais @journalcinephil
Aferim! Date de sortie 5 août 2015
De Radu Jude
Avec Teodor Corban, Toma Cuzin, Ale.xandru Dabija, Mihai Comanoiu...
" Aferim ! allie une beauté formelle, un mordant et un humour noir qui le rattachent aux précédents films de l'auteur, avec un sujet inédit au cinéma, qui résonne avec le climat politique et social actuel. " Le MondeDes choix artistiques affirmés Roumanie/Bulgarie, 2014, 1h48

Ours d'Argent du meilleur réalisateur lors de la dernière édition de la Berlinale.

Un film ancré dans le passé pour mieux comprendre le présent

Synopsis

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

L'utilisation des codes du western

1835. Un policier et son fils parcourent la campagne roumaine à la recherche d'un esclave gitan accusé d'avoir séduit la femme du seigneur local. Tel un shérif d'opérette chevauchant dans les Balkans sauvages, le fonctionnaire zélé ne perd pas une occasion d'apprendre à son rejeton le sens de la vie. A grands coups d'insultes grivoises, proverbes ridicules, morale bigote, humiliations gratuites, menaces et autres noms d'oiseaux, Costandin affiche son mépris des femmes, enfants, vieillards, paysans, juifs, turcs, russes et surtout, surtout, des gitans.

Se jouant des clichés du western d'antan, AFERIM! se moque avec cynisme et mordant de l'intolérance des hommes, d'hier comme d'aujourdhui !

Radu Jude ( " Papa vient dimanche " , 2012) fait un film sur le passé qui interroge sur la vie d'aujourd'hui, met en évidence la faible évolution des moeurs en 150 ans, dénonce de manière drôle et singlante le racisme anti-roms.

En faisant le choix de tourner le film en noir et blanc, le réalisateur veut donner l'impression au spectateur qu'il a sous les yeux un film et rien qu'un film. Aferim! doit être avant tout une création artistique et non pas un sujet de thèse où une vérité absolue faisant autorité.

Des dialogues au vitriol

L'aspect visuel du film renvoie a des références tant plastiques que cinématographiques, allant des peintures et dessins du XIXème siècle comme ceux d'Auguste Raffet aux premières photographies, en passant par les westerns de Howard Hawks et John Ford.

Contrairement à de nombreuses productions roumaines, le film ne se situe pas dans et en relation la période communiste , mais en l'an 1835, en Valachie. En version originale la Valachie se dit Țara românească, littéralement " le pays roumain " . Le titre du film Aferim! est un terme ottoman qui se traduit à la fois par " salut ! " et " bravo ! ". On est ainsi en présence d'une sorte de Roumanie ancienne , par laquelle il s'agit de remonter aux sources d'une histoire nationale pour mieux observer les structures et permanences dans notre présent. Ce qui fait l'originalité du film est que Radu Jude a élaboré son scénario totalement rocambolesque comme un historien, en allant rechercher dans des archives des faits divers des années 1830.

La peinture impitoyable qu'il fait d'une société archaïque du XIXe siècle, est un miroir du monde contemporain.

Aferim! repose clairement sur les codes du western. Chevaux, grands espaces filmés en plans extra larges, un shérif et son assistant qui doivent rattraper un fugitif : on se croirait dans un western américain. Nous ne sommes pas chez Sergio Leone, car les gros plans ne sont que très peu utilisés.

La vitalité du cinéma roumain

Les Tziganes, surnommés "corbeaux" par les Roumains, remplacent les Indiens..

Le personnage du vieux brigadier Costandin fait penser à Don Quichotte. Il agit en justicier auto-proclamé, tandis que son fils suit en sa compagnie un parcours initiatique.

La scène d'ouverture après le générique est typique d'un western : elle débute par un plan d'ensemble sur la crête d'une colline peuplée d'un bosquet, sur lequel les paroles finissent par s'inscrire. Les personnages ne pénètrent dans le champ que dans un second temps.

La plupart du temps, les personnages sont très loin et presque invisibles dans le plan, leurs voix cependant sont très proches et sonnent douloureusement aux oreilles. Ce contraste rend les propos intolérants encore plus intolérables. Costandin et Ionita expriment, au travers des dialogues, des opinions courantes, acceptables pour leur époque. Ils montrent ainsi à quel point l'intolérance est un phénomène naturel et omniprésent.

Dans le film ce qui prime c'est un dialogue au vitriol. Le but de l'équipée étant l'initiation du fils, le père s'emploie à inculquer comment il s'agit de boire, ferrailler, baiser, dans une langue fleurie de jurons, de proverbes, d'images bibliques et de métaphores odieuses. Les propos ne concernent pas que les gitans, les réflexions sexistes abondent, les homosexuels ne sont de toute façon pas de vrais hommes ...

La rencontre avec un pop exalté croisé en route, donne lieu aussi à de savoureux dialogues. Citons le moment où il décrit la classification des peuples "Chaque race est sur Terre pour une raison, les Juifs c'est pour tricher, les Turcs pour faire le mal ; nous, les Roumains pour aimer, honorer et souffrir en bons chrétiens. Chaque peuple à ses habitudes. [...] les Français aiment la mode, les Arméniens sont paresseux, les Serbes trichent et les Tziganes se font battre comme des chiens."

Bien sur ces dialogues font écho aux haines toujours vives dans la Roumanie actuelle, et particulièrement à l'intolérance dont sont victimes les Roms, ridiculisés ici par des répliques absurdes et crues.

En remportant l'Ours d'Argent du meilleur réalisateur à la dernière Berlinale, Radu Jude prouve une nouvelle fois que le cinéma roumain est particulièrement apprécié dans les festivals de cinéma depuis quelques années. Les exemples montrant cette tendance sont nombreux : Mère et Fils de Calin Peter Netzer ainsi que les films de Cristian Mungiu comme 4 mois, 3 semaines, 2 jours (Palme d'Or au Festival de Cannes en 2007) et A u-delà des collines (prix du meilleur scénario ainsi qu'un prix d'interprétation féminine pour les actrices Cosmina Stratan et Cristina Flutur au festival de Cannes 2012).