Le discret Guillaume Nicloux s’était fait remarquer il y a deux ans avec son truculent Enlèvement de Michel Houellebecq , réalisé pour la télévision. On le retrouve sur grand écran pour un long métrage épuré mettant en scène deux monstres sacrés du cinéma (pas que) français.
Valley of love, où trois personnages se rencontrent : Isabelle (Huppert), Gérard (Depardieu), et la vallée de la mort, désert montagneux, mystique, aussi paisible que touristique, où la chaleur étouffante fait jeu égale avec la spiritualité qu’inspire cet espace naturel. La couple réuni à l’écran se retrouve à l’autre bout du monde dans un motel pour bobos en quête de décor paradisiaque, sous l’impulsion macabre de leur fils suicidé. Une lettre envoyée à chacun juste avant sa mort leur somme de se retrouver chaque jour, pendant une semaine, à une date précise, durant deux heures, dans un lieu de la vallée de la mort, leur promettant ainsi que le temps d’un instant, ils seront réunis de nouveau. Face au deuil impossible de la mort d’un enfant, qu’ils avaient tous deux, à leur manière, totalement délaissé, voilà nos deux personnages pris dans leurs tourments les plus douloureux.
Les deux acteurs, qui ne s’étaient pas retrouvés devant une caméra depuis 35 ans (Loulou, chef d’œuvre de Maurice Pialat) semblent ici ne jouer que leurs propres rôles, et l’admiration du cinéaste pour ces deux comédiens de génie est palpable à chaque instant. D’un côté, Gérard, sorte de pauvre type qui a plus ou moins tout raté dans sa vie, empêtrés dans son corps sans limite, mais qui fait preuve de finesse d’esprit, d’un réalisme cru face au réel, d’une sincérité aussi touchante que désarmante. De l’autre, Isabelle, qui peine à masquer sous les apparats de la bourgeoisie bien de son époque, bien-comme-il-faut et très raisonée(able) (écolo, végétarienne, pendue à son iPhone…), une forme de folie intérieure, un besoin de mysticisme et de surnaturelle pour affronter la pénibilité insupportable de la réalité.
Guillaume Nicloux, réalisateur et scénariste, ne serait-il pas ce fils qu’on ne voit pas, qui tente, en convoquant Gérard (le personnage, comme l’acteur), de rendre à ce monument du 7ème art l’espoir d’exister encore devant une caméra, de le faire renaître des cendres dans lesquelles il se maintient depuis quelques années ? Il trouve chez la fragile Isabelle Huppert la parfaite interlocutrice, en forme de contrepoint, pour extraire de ce comédien brut, le nectar. De bout en bout il sera magistral, d’une présence inégalable, d’une ampleur digne des plus grandes interprétations de Gabin. Mais c’est au terme de ce parcours initiatique qu’il trouvera, le temps d’une courte séquence, la grâce de l’interprétation, convoquant ainsi la mémoire de ses plus beaux moments de cinéma (Sous le soleil de Satan, Loulou, Danton…).