Floride

Par Cinealain

Avec Jean Rochefort, Sandrine Kiberlain, Anamaria Marinca,

Laurent Lucas, Clément Métayer, Coline Beal, Edith Le Merdy

Floride est une adaptation du succès théâtral Le Père de Florian Zeller dans lequel les rôles tenus par Jean Rochefort et Sandrine Kiberlain étaient interprétés par Robert Hirsch et Isabelle Gélinas.

"Des rôles comme celui-là, dans toute sa carrière, on n'en trouve pas beaucoup." À plus de 90 ans, Robert Hirsch sait de quoi il parle. Il est l'arc de Triomphe du théâtre français, celui qui aurait pu tout jouer, tout magnifier, tout faire connaître au grand public.

Le comédien préfère pourtant la discrétion, l'élégance et l'exigence de peu de rôles. En 2012, il crée Le Père, de Florian Zeller, au théâtre Hébertot. Le dramaturge et sa vedette espéraient tenir l'affiche pendant cent représentations.

Ils rempliront près de 300 fois la salle et décrochent en 2014 plusieurs prestigieux Molières, dans la catégorie théâtre privé. Molière du meilleur comédien pour Robert Hirsch, Molière de la meilleure comédienne pour Isabelle Gélinas et enfin le Molière du théâtre privé pour Florian Zeller.

est reprise en 2015 à la Comédie des Champs-Élysées. Elle a également reçu un accueil triomphal en Grande-Bretagne. Le très prestigieux Guardian a même élu Le Père "meilleure pièce de l'année". Tandis que son auteur était récompensé du prix du Brigadier, la récompense majeure du théâtre que seuls trois auteurs avaient obtenu avant lui : Françoise Sagan, Jean Anouilh et Eugène Ionesco !

n'a rien perdu de sa prestance. Mais il lui arrive de plus en plus souvent d'avoir des oublis, des accès de confusion. Un état qu'il se refuse obstinément à admettre.

Sur un coup de tête, Claude décide de s'envoler pour la Floride. Qu'y a-t-il derrière ce voyage si soudain ?

Si le rôle de Claude Lherminier a plu à Jean Rochefort, il l'a cependant trouvé éprouvant à interpréter: "Si je n'avais pas abordé ce sujet, et ce personnage, comme acteur, je ne pourrais pas sourire de cela. Parce que je connais des personnes qui vivent cette souffrance, dans la réalité. Et c'est terrible. J'ai mis du temps à m'en remettre, de ce film". a déclaré le comédien dans un entretien relevé sur www.lefigaro.fr.

Entretien avec Philippe Le Guay. Coscénariste et réalisateur.

C'est la première fois que j'adapte une oeuvre préexistante : d'ordinaire je travaille toujours sur des sujets originaux. Je développais un scénario depuis presque un an, c'est toujours long et compliqué d'écrire dans la solitude, et puis j'ai découvert
Le Père, la pièce de Florian Zeller, au théâtre. J'ai été immédiatement séduit par l'originalité de la construction. La pièce s'ouvre sur un père et sa fille qui dialoguent sur la scène pendant une quinzaine de minutes, dans une atmosphère de comédie assez légère. Il y a un noir, on passe à la scène suivante, et on retrouve le même personnage du père avec sa fille... mais cette fois elle est jouée par une autre comédienne. On se demande alors si la première actrice était sa fille ou pas, on éprouve un doute sur la réalité du personnage qu'on vient de voir. On est dans la confusion, on hésite, et peu à peu on découvre que le héros de la pièce perd la mémoire ! Florian Zeller nous fait entrer dans la tête de son héros. Au théâtre, le point de vue est toujours celui du spectateur et là Zeller réussit à adopter un point de vue subjectif... C'est un formidable tour de force théâtral.

Il ne s'agissait en aucun cas de filmer une captation améliorée. Mes producteurs,
Jean-Louis Livi et Philippe Carcassonne, nous ont encouragés à nous éloigner de la forme théâtrale, et Florian Zeller nous a lui-même poussés dans ce sens. Au cinéma, le champ-contrechamp installe immédiatement la subjectivité du héros. Il suffit de passer du regard du personnage à ce qu'il voit pour installer le point de vue Il fallait donc trouver un autre principe de récit, et proposer un espace différent de celui de la pièce. Nous avons cherché dans plusieurs directions et c'est Jérôme Tonnerre qui a trouvé le déclencheur en imaginant le personnage dans un avion. Sans doute parti pour un ultime voyage, un aller sans retour. Où va-t-il ? Que va-t-il trouver au bout du chemin ? Ce voyage nous donnait une ligne directrice, en écho à la trajectoire d'un film. Rien n'est plus cinématographique évidemment qu'un personnage qui voyage d'un endroit à un autre. Je précise que ce voyage n'a rien d'imaginaire, ou de rêvé, même si le déroulement du récit apparaît, disons, comme un processus "mental" : on est dans la tête d'un homme. Rapidement, on s'est dit que cet homme aurait un but, une idée fixe : aller rejoindre sa fille qui habite en Floride.
Du coup, on ne traite pas la partie"médicale" du dossier, les symptômes de la perte de mémoire. Je ne voulais pas brosser la chronique d'une maladie. Pour moi le film, c'est l'histoire d'un homme qui va voir sa fille en Floride...

Il a une autre fille avec laquelle il est plutôt rude...


Il idéalise la fille cadette partie à l'autre bout du monde et qui lui envoie une carte postale tous les six mois ; alors que l'aînée qui passe le voir quatre fois par semaine et s'occupe de tout pour lui, est rudoyée en permanence. Tout le monde a observé cette injustice d'un père ou d'une mère qui n'aime pas ses enfants de la même façon. C'est une situation cruelle bien sûr, mais il y a aussi quelque chose de comique tant la mauvaise foi peut être grande. Ce mélange de cruauté et d'humour installe la tonalité du film...

Le désir de travailler avec Jean était une de mes motivations de départ. J'avais envie de le voir revenir au cinéma et de lui offrir un rôle à sa mesure, ou devrais-je dire à sa démesure. Ce rôle du
"père" a quelque chose de shakespearien. Mais il y a aussi la possibilité de la fantaisie et de l'humour. Jean est un acteur total qui incarne ces deux facettes. Il a la liberté qu'on lui connaît dans les comédies d'Yves Robert ou de Philippe De Broca, avec cet oeil frisant et cette malice ; et puis il y a la part sombre, la dureté, et même une certaine violence. Je pense à Un étrange voyage d'Alain Cavalier, et surtout au Crabe-Tambour de Schoendoerffer où il impose une stature austère et inquiétante. Rochefort autorisait dans sa nature même de comédien ce mélange des
tons et des genres.

Pas tout à fait. À sa première lecture du scénario, il nous a dit qu'il était
"au bord du consentement", mais il ne disait pas oui pour autant. Il a eu cette formule dont il a le secret : "Je vous propose de secouer le pot-au-feu". Jean pensait que le traitement était dans une tonalité trop tendre et douce-amère. Contre toute attente, il nous a suggéré d'aller plus loin dans la violence du personnage. Jean a observé des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et il a vu à quel point la confusion mentale engendre une forme d'agressivité.

Souvent, un acteur a tendance à protéger son image et à rendre son personnage plus attachant, plus "sympathique". Au contraire, Jean nous a invités à assumer la violence par souci de vérité. Par exemple, son personnage se rend dans un cimetière où il aperçoit la femme et le fils d'un homme qui l'a trahi : Jean a suggéré qu'il leur jette des pierres ! Plus tard, le personnage de Sandrine Kiberlain raconte qu'elle a vu son père uriner sur une voiture devant le conducteur qui n'en croyait pas ses yeux. Jean tenait à ce qu'on montre la scène. Je lui disais :
"Enfin tout de même, vous n'allez pas vous déboutonner devant la caméra... "
Mais il y tenait absolument. On a donc tourné la séquence : pisser sur une voiture, c'est un geste de colère pure, c'est vraiment la haine du monde. Jean a ajouté une autre dimension : à un moment, la conscience lui revient, son visage se délite, il tombe dans un gouffre intérieur. Il a joué cette scène au-delà de tout ce qu'on pouvait imaginer...


Pour jouer ce couple père-fille, il fallait des comédiens qui soient vraiment complices dans la vie. Sandrine Kiberlain et Jean Rochefort se connaissent depuis plus de quinze ans, puisque le père de Sandrine avait écrit une pièce dont le rôle avait été proposé à Jean. Pour des questions de dates, le projet ne s'était pas fait, mais une amitié s'est créée à ce moment-là.

Ils ont en commun un beau regard clair, quelque chose d'anguleux dans le visage... Mais surtout il y a chez tous les deux un non-conformisme, une fantaisie, un goût de la liberté... dans les choix-mêmes qu'ils font de leurs rôles. Sandrine l'a démontré ces derniers temps : elle se déploie avec une amplitude impressionnante. C'est ce qui me touche dans sa trajectoire : tout d'un coup, une actrice coïncide avec le désir des cinéastes et celui du public. J'aime chez Sandrine sa capacité à camper un personnage qui reçoit des coups et qui ne les rend pas. Carole a une dimension sacrificielle, mais ce n'est pas non plus une victime passive.

C'est par choix qu'elle entretient le leurre de son père, elle le protège jusqu'au bout, ce qui fait d'elle une vraie héroïne. Dans Les Femmes du 6ème étage, elle interprétait la femme délaissée de Fabrice Luchini, mais elle gardait sa lucidité. Ici, son personnage est ancré dans la réalité : elle a un fils, elle dirige une usine de carton, c'est une femme qui se bat toute seule.

Elle fait une rencontre amoureuse qui la porte, mais qui va être pulvérisée par la présence du père...


En effet, j'avais travaillé avec lui dans un film pour la télévision où il jouait Boris Vian. Je le vois comme quelqu'un de solaire et de terrestre alors qu'on lui propose souvent des rôles angoissants, de manipulateurs. Il a une belle présence physique, il forme un couple attachant avec Sandrine. Il incarne le rempart qui se dresse entre le père et la fille, il la protège avec douceur, il comprend ce qui se passe. Mais il n'arrivera pas à desserrer ce noeud...

La garde-malade est originaire des pays de l'Est, comme ça se passe souvent dans la réalité. Je ne savais pas trop si je devais prendre une Bulgare, une Tchèque ou une Roumaine... Et puis Anamaria m'a envoyé un petit essai avec un tel charme et une telle intelligence que j'ai eu un vrai
coup de foudre. Bien sûr je l'avais déjà trouvée formidable dans 4 mois, 3 semaines, 2 Jours.
Tout au long du tournage, nous avons enrichi les scènes, avec la complicité de Jean. Par exemple, il y avait un piano dans la maison et elle a improvisé le moment où elle joue. Il y avait dans la maison où nous avons tourné une véranda un peu tchékhovienne et j'ai imaginé une scène entre Jean et elle, à la tombée du soir. Anamaria installe une aura romantique autour de Claude. Avec son petit blouson en jean, elle donne vie à ce personnage et devient un peu le dernier amour de cet homme. On était tous conquis par sa joie et son intelligence. Pour moi, c'est le cas exemplaire d'une actrice qui s'empare d'un rôle et lui donne une envergure insoupçonnée.

Il y a trois temporalités dans le film : le voyage en Floride, les deux mois qui précédent ce voyage et qui nous renseignent sur le personnage de Claude. Et puis il y a ces bouffées de mémoire qui sont comme des images mentales. Des images liées à des sensations, à des souvenirs enfouis. Par exemple, quand on enflamme une meule par accident ; quand on regarde, transi, sa mère en train de jouer du piano; ou, pendant la guerre, quand on éprouve un sentiment confus de menace. Tout cela instaure un paysage mental et sensoriel qui enrichit le personnage de Jean. J'aime ces images impressionnistes qu'on retrouve dans le cinéma d'Alain Resnais et tout particulièrement
Mon oncle d'Amérique. Il suffit d'un rideau qui frémit dans un souffle de vent pour installer une rime visuelle et lier le présent et le passé...

La perte des inhibitions est un grand thème propre à la vieillesse.
En vieillissant, on se détache de la norme et de ce que pensent les gens.
On n'a plus rien à perdre à tout oser. On se rapproche aussi de l'enfance qui témoigne du même manque d'inhibitions. Claude a un but : il ne veut pas que son meilleur ami, dont il pense qu'il l'a trahi, soit enterré dans son cimetière. Cet objectif l'active et l'anime, même s'il s'agit d'une finalité
absurde qui n'a rien de concret. Et puis il y a aussi son obsession priapique : Claude se renseigne sur la sexualité des gens, que ce soit la gouvernante ou son petit-fils. Il a une curiosité qui n'est pas scabreuse, mais qui est de l'ordre de la célébration de la vie. Je voulais que le personnage digresse vers des obsessions qui témoignent d'un enracinement dans la vie. Là encore, Jean Rochefort transforme tout par sa poésie et sa truculence.


Je tenais à situer le film en province et à ne surtout pas faire un film urbain et parisien. Je voulais de l'espace, des lacs, et des montagnes, tout en étant conscient que le personnage de Claude ne partirait pas en randonnée ! Annecy apportait l'air, l'eau et l'espace. Même s'il n'y a que quelques scènes près du lac, la lumière laisse libre cours à l'imaginaire.

J'avais visité une cartonnerie dans mes repérages de
Trois Huit et j'ai eu envie de retrouver ce décor. Du coup, je me suis dit que Claude pouvait avoir dirigé une usine dans le passé. Quand on le voit y retourner, il est comme un roi déchu qui revient dans son fief, il ne comprend plus les nouvelles façons de travailler. Il y a une puissance des machines, c'est un univers réaliste, mais qui suggère aussi un paysage intérieur. La lumière bleutée du décor, les volutes de vapeur, le vacarme assourdissant donnent l'impression du royaume des ombres. C'est Orphée qui vient chercher sa fille aux Enfers...

Par les choix des décors, comme la maison ou cette usine dont je viens de parler, des choix de style s'imposaient. Avec
Jean-Claude Larrieu mon chef opérateur, nous voulions compenser la violence de la perte de mémoire par une image chaude et chatoyante. Il y a des couleurs tout le temps, dans la présence des lampes orangées, ou par les couleurs vives des costumes.

On associe souvent la vieillesse au gris et au terne. Dans la vie, Jean Rochefort s'habille avec une palette très colorée et on a surenchéri dans ce sens. Avec Elisabeth Tavernier qui a créé les costumes, nous avions l'image de David Hockney en tête, célèbre pour ses tenues vestimentaires acidulées. D'ailleurs, on a fait fabriquer pour Jean les mêmes lunettes que celles du peintre anglais...

Jorge avait composé la musique de mon premier film Les Deux Fragonard. Je l'ai retrouvé pour et
Alceste. J'aime dans sa musique sa dimension à la fois joyeuse et mélancolique. Je suis sensible aux phrases mélodiques qu'on peut chanter en sortant de la salle. La musique devait être un prolongement émotionnel du personnage, sans trop accentuer sa confusion mentale. Au départ, je pensais à des effets de cordes ou de cuivres, des choses déconstruites. Et puis je me suis rendu compte que la musique devait nous faire entrer dans la rêverie du personnage de Jean Rochefort.


C'est une des coïncidences magiques d'un tournage. Je voulais un moment de complicité entre Claude et sa fille, et sur le plateau, Jean a proposé cette chanson. C'est seulement après coup que je me suis rendu compte que cela faisait écho avec le thème du voyage en Floride. Cette destination du voyage nous est venue presque par hasard, puis elle s'est déclinée peu à peu en plusieurs motifs. Il y a la voiture Floride, le jus d'orange, il y a Miami et les palmiers... La Floride devient cet endroit mythique où on est protégé, où plus rien ne peut vous atteindre. C'est le lieu de l'apaisement, où tout ce qui vous fait violence dans la vie cesse de vous faire mal. Au fond, la Floride, c'est un peu la salle de cinéma, un écran-écrin où l'on peut rêver, où ceux qu'on aime sont à jamais avec vous...

Pour lire la suite du dossier de presse, cliquez ICI !

Dans cette adaptation de la pièce de Florian Zeller, multi récompensée tant en France qu'a l'étranger, le réalisateur montre la cruelle réalité de la vieillesse quand la maladie vient s'ajouter à l'âge, entraînant avec elle, dépendance, fragilité et incohérence.

La réalisation trop démonstrative de Philippe Le Guay reste très sage et conventionnelle. Des flashbacks inutiles accentuent la faiblesse de scénario et finissent par plomber le récit.

Un riche bourgeois perd peu à peu tous ses repères. L'aisance financière de la famille permet plusieurs choix entre la maison spécialisée ou une aide à domicile permanente.

Un certain humour et des dialogues adéquats ajoutés à quelques situations cocasses imposées par le comédien donnent à Jean Rochefort toute liberté pour laisser éclater toute sa fantaisie.

Anamaria Marinca dans une participation, aussi courte soit-elle, apporte un vent de fraîcheur dans une atmosphère plombée.

Sandrine Kiberlain déploie toutes les facettes de la grande comédienne qu'elle est. Dans ce rôle de fille aimante et dévouée, au point de se perdre elle-même, elle passera de la tristesse à une certaine colère. Une incroyable patience laissera place à une résignation forcée, mais toujours dans une grande douceur et une profonde sensibilité.

Elle illumine le film de bout en bout et lui donne, par sa seule présence, un réel intérêt.