La Chronique de Cliffhanger: Sautet, Blier, Brasseur et mon cinéma français

Par Cliffhanger @cliffhangertwit

Soirée de désœuvrement télévisuel: A la faveur d'un zapping intense et appliqué, je tombe sur Garçon de Claude Sautet avec Yves Montand. De l'avis unanime des journalistes et même des fans hardcore du cinéaste, ce n'est pas son meilleur film, loin s'en faut. Si je ne peux que souscrire à cette thèse, si j'aime d'un amour incommensurable et passionné bon nombre d'autres de ses films ( César et Rosalie, Vincent, François, Paul et les autres, Max et les Ferailleurs, Nelly et Monsieur Arnaud sont notamment plus que très chers à mon cœur) il n'en demeure pas moins que j'aime ce Garçon d'une tendresse infinie et indéfinissable. Et là ce fut encore plus marqué, car je l'avais déjà revu très récemment mais cela m'a permis de réaliser à nouveau que lorsque je me retrouve devant un Sautet je ne peux JAMAIS m'en extirper. Garçon n'est peut-être pas le meilleur de ses films, mais moi je l'aime depuis que je l'ai découvert pour la première fois il y a un paquet d'années. Le cinéma de Claude Sautet parle autant à mon cœur d'homme qu'à celui du cinéphile Là c'est la valse des mouvements captés par le réalisateur dans cette brasserie parisienne, le charme immense de Montand même dans les moments les plus anodins, la carcasse trainante et les yeux de chien battu de Villeret, la faconde et la bonhomie du génial Bernard Fresson... Quand je vois que nombre de mes jeunes confrères blogueurs n'ont jamais vus un de ses films, et s'ils ne verront sans doute pas Garçon, je les envie d'avoir à découvrir ces chefs-d'œuvre que Claude Sautet a à son actif et qui devraient les toucher, les bouleverser, les renverser, au moins autant que les films de super-héros qu'ils érigent en maitre-étalon.

Ma soirée télé aurait pu s'arrêter là mais, délicieux hasard de la programmation, c'est la diffusion du film de Bertrand Blier, Les acteurs, qui succède à Garçon. Blier a été pendant des années le cinéaste que je vénérais le plus. Ses dialogues enlevés, son cinéma poétique, drôle et quasi surréaliste m'a tout à la fois émerveillé et fasciné. Je connaissais par cœur certains des dialogues de ses films, Tenue de Soirée et Trop belle pour toi entre autres me scotchaient à chaque visionnage et je jubilais devant la quasi totalité de sa production. Si avec le temps m'a passion s'est légèrement estompée, il n'en reste pas moins que j'adore son travail et que c'est toujours l'un de nos plus grands auteurs. En revoyant Les Acteurs, comme à chaque fois que je visionne cet ovni, je me demande encore avec stupéfaction comment ce film a pu sortir. Et avec tout autant de stupéfaction, comment se fait t-il que Bertrand Blier ait désormais autant de mal à monter ses films. Certes les échecs commerciaux et le caractère moins accessible de ses derniers opus n'ont pas dû aider mais en regardant Les Acteurs, comment douter du génie de cet homme? Comment ne pas jubiler devant ce défilé de stars jouant leurs propres rôles (du moins ce qu'ils pourraient être dans une dimension parallèle) et jouant surtout avec délectation avec leur image? Comment ne pas rire en voyant Depardieu emplafonné dans un abribus après un accident de moto, Balasko devenir André Dussolier ou Marielle cherchant à obtenir par tous les moyens un pot d'eau chaude? Comment rester de marbre devant Jacques François, chantre de la distinction, déverser un tombeau d'insultes ou en voyant Belmondo et Serrault, l'un rigolant sans cesse, l'autre vociférant comme il sait si bien le faire? Le tout avec des dialogues tantôt hilarants, tantôt mélancoliques et plein de poésie avec en point d'orgue deux scènes émouvantes, bouleversantes où sont conviées les mémoires de Gabin et Ventura par l'entremise d' Alain Delon, puis celles de Pierre Brasseur et Bernard Blier par le biais de leurs fils, Claude et Bertrand. Si vous n'avez jamais vu Les Acteurs, surtout n'hésitez plus, Blier y va de sa plus belle plume entouré de la distribution la plus démentielle qui soit. Lorsque le générique de fin défile sur l'écran, je me dis qu'il est quand même fou que ce cinéaste fabuleux galère pour monter ses projets alors que des comédies nullissimes ou des films d'auteurs pitoyables sont produits à tour de bras chaque année. Il suffirait que quelques uns de ces films ne se fassent pas pour qu'un auteur de la trempe de Blier puisse nous faire profiter de son travail. Mais si le principe des vases communicants existait en matière de cinéma, ça se saurait.

J'évoquais Claude Brasseur dans la scène finale des Acteurs et je viens de lire son autobiographie sortie l'année dernière dans la collection POPculture chez Flammarion. Sous forme d'entretiens avec Jeff Domenech, Brasseur y revient sur sa vie par l'intermédiaire d'une foule d'anecdotes. Ça se lit très facilement, ça n'a pas vocation à être loué pour sa qualité littéraire mais si on apprécie l'homme et le comédien, nul doute que c'est une lecture des plus agréables. Personnellement, j'ai mis seulement deux jours pour en venir à bout et je me suis régalé. J'ai appris des choses sur l'homme, sur son travail et sur certains de ses choix. Moi qui l'aime et l'admire depuis toujours d' Un éléphant ça trompe énormément à La Boum en passant par La Guerre des Polices, La Crime ou Une histoire simple, ça m'a conforté dans mon affection pour ce comédien dont l'humanité m'a toujours touché. Sa voix rocailleuse se fait entendre dans ce petit bouquin et avec elle la petite musique d'un cinéma français qui n'a de cesse de me parler.