UNE FAMILLE A LOUER : Rencontre avec Jean-Pierre Améris

Après l’émouvant Marie Heurtin, le touche-à-tout Jean-Pierre Améris revient à la comédie cinq ans après Les Émotifs Anonymes. Son nouveau film, Une Famille à louer, se distingue de la majorité des productions françaises actuelles par son amour des codes du genre mêlé à une étonnante présence du drame. Nous avons rencontré ce sosie sympathique de Kurtwood Smith (si si!) détendu, le sourire aux lèvres, mais aussi capable d’une grande gravité. Entretien avec un véritable clown blanc.

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Etait-ce important de revenir à la comédie après deux films dramatiques (Marie Heurtin et L’Homme qui rit, ndlr) ?

Jean-Pierre Améris : Les choses ne s’enchaînent pas de cette façon. Après Marie Heurtin, je ne me suis pas dit : « Tiens, je vais revenir à la comédie ! ». C’est très long de faire un film. Le postulat d’Une Famille à louer, je l’ai eu en 2011. Ce n’est pas un calcul. La comédie, c’est d’abord quelque chose que j’aime en tant que spectateur. Ma culture cinématographique est très influencée par le cinéma américain, et notamment celui de Frank Capra, les comédies américaines des années 40-50, des actrices comme Carole Lombart ou encore les comédies d’Howard Hawks. Et puis, c’est par la comédie que j’arrive à être le plus directement autobiographique. Je suis dans L’Homme qui rit et dans Marie Heurtin, car j’évite les commandes pour faire des films plus personnels, mais avec la comédie, je suis plus simplement autobiographique.

Les codes de la comédie vous sont plus familiers ?

J-P. A. : Je ne sais pas trop. Peut-être que c’est tout de même par l’humour. Par la comédie, je parle plus de mes névroses, de mes difficultés dans la vie, et je m’en sors par l’humour. Dans Les Émotifs Anonymes, je racontais ce poids qu’avait été cette hyper-émotivité, et ça le reste. C’est nourri de ça, mais si j’arrive à en faire un film, je ne vais désespérer le spectateur en disant : « émotifs, vous n’avez plus qu’à vous pendre. » Dans mes films, j’essaie de traiter de certaines difficultés, mais qui restent positives. J’ai un côté positif dans la vie, et j’essaie de donner du plaisir. Moi, le cinéma m’a sauvé. Quand je voyais Indiscrétions ou des films de Cukor ou de Capra, par exemple La Vie est belle : le type veut se suicider, mais ça vous donne envie de vivre quand vous sortez. C’est ce paradoxe qui est beau dans la comédie. C’est du drame qui tourne à l’humour. C’est l’humour qui sauve du dame. Ne parlons pas de Chaplin, ou de la grande comédie italienne, ou plus récemment Bruno Podalydès, qui font ça merveilleusement bien. Et là encore, donc, ce film est nourri de ma vie. Il y a sept ans, j’ai rencontré ma compagne, Murielle Magellan. Elle est scénariste, et c’est en écrivant l’adaptation pour la télévision d’un roman d’Émile Zola, La Joie de vivre, qui traite de la névrose familiale, qu’on a eu l’idée du film. Moi spontanément, sur la famille, c’est ce que j’avais envie de faire. J’en n’ai pas un très bon souvenir. J’associe la famille au conflit, au trauma. Pour moi, la famille, c’est le lieu de l’angoisse. Et en rencontrant Murielle, mère veuve avec un garçon, j’ai découvert autre chose. Le vieux garçon maniaque que je suis, à tendance dépressive, a découvert avec elle le côté de la vie, cette idée que même dans la catastrophe, on va s’en sortir. Et comme elle est scénariste, et que je suis réalisateur, on a eu envie d’écrire sur ça : qu’est-ce que c’est de vivre ensemble ? Pourquoi ce n’est pas facile ? J’avais envie de communiquer que la vie réserve des moments heureux. C’est ce que va découvrir Paul-André : la vie, c’est du côté du désordre. Murielle préfère dire que c’est du côté du mouvement et qu’il y a quelque chose à en apprendre. Alors, il y a de l’autobiographie mais aussi du fantasme, comme le fait qu’il soit riche par exemple (sourire), mais c’est vrai que chez lui, c’est la mort. Et chez moi, il n’y a pas un objet qui a bougé depuis quinze ans, parce que ça m’angoisse. Je suis hyper-maniaque, c’est comme ça. Et cet homme, qui fait l’effort d’aller chez elle, dans cette maison un peu irréaliste, va vers la vie. Et c’est aussi une fable romantique. J’ai toujours aimé ce genre d’histoires, de La Belle et la Bête à Pretty Woman, où des êtres se sauvent mutuellement par l’amour. Donc c’est aussi nourri de mon amour du cinéma de genre.

Et à chaque fois, Benoît Poelvoorde est là pour vous représenter.

J-P. A. : Oui, c’est vraiment un alter-ego. C’est drôle parce qu’on est à la fois opposés sur certaines choses et on a plein de points communs, notamment d’arriver à la cinquantaine sans enfants. Je sais que pour lui aussi, il y a une certaine mélancolie. Il y a une envie de famille et en même temps on est très jaloux de sa solitude. Il a une très belle phrase pour cela : « Je ne crois pas beaucoup en la famille, mais parfois, elle me manque. »

Maintenant qu’il y a ce parcours commun avec lui, vous lui laissez carte blanche sur le plateau ou vous le dirigez vraiment ?

J-P. A. : S’il était là pour répondre à votre question, il vous dirait que je ne lui laisse certainement pas carte blanche (rires). Je crois qu’il me trouve très… embêtant, ou en tout cas directif, mais il le sait. Le film est écrit pour lui, il est nourri de lui, et il l’a senti. C’est un type qui a des trésors d’affection à donner, et qui en même temps essaie de les cacher sous un certain cynisme. Il sait que j’ai vu ça chez lui et que je veux le montrer. Quand il a lu le scénario, je crois qu’il a accepté tout de suite, même si certaines choses n’étaient pas faciles à dire pour lui. Par exemple, il a un rapport à la mère très différent du mien. Il est très proche de la sienne. Quand on a fait les scènes avec Edith Scob (la mère de Paul-André, ndlr), qui sont assez dures, je voulais trouver cela aussi, et c’était assez dur pour lui. C’est tout de même un autoportrait, et la difficulté, c’est d’essayer de le filmer tel qu’il est, et lui essaie de me jouer tel que je suis. Il y a un échange, et il me dit : « Avec toi, les tournages sont épuisants », parce que je suis assez nerveux, je refais les prises. Il n’y a pas beaucoup d’improvisation, c’est très écrit, et je recherche ce moment où ça tremble. Comme je dis toujours, on est sur le fil. Et je fais une petite parenthèse, mais je le trouve souvent courageux. Quand même, avoir Virginie Efira dans les bras en dansant et devoir dire : « Pardon, je ne peux pas, je m’en vais. », je trouve ça beau qu’il arrive à le faire. Il n’hésite pas, il y va.

Mais elle aussi, elle y va.

J-P. A. : Bien sûr. Ils s’apportent beaucoup l’un l’autre. C’est ce que j’aime dans la fable romantique, ils se libèrent l’un autre. Lui, il la respecte, alors qu’elle est habituée à ce que les garçons lui sautent dessus sans aller plus loin. Et puis, il va lui montrer que dans sa famille, on l’exploite et qu’elle joue un rôle. Là aussi, il y a des souvenirs de déjeuners de famille où tout le monde joue un rôle, et il est difficile de s’en libérer. Et c’est comme ça qu’elle va découvrir son talent. On a trouvé cette idée qui équivaut au chocolat dans Les Émotifs Anonymes, c’est la sculpture sur légumes. C’est un art qui vient de Thaïlande, et il faut le faire. Moi, je suis admiratif des gens qui font quelque chose. Il faut encourager les gens vers leur talent, vers leur autonomie.

Et puis, c’est encore un film où les personnages ont du mal à trouver leur place.

J-P. A. : C’est toujours mon petit thème en effet : où est mon abri ? Je racontais plus tôt que cet abri, je l’ai trouvé dans les salles de cinéma, et lui, Paul-André, il va trouver ce refuge chez Violette. Et ce qui sauve ces personnages, c’est l’humour et la complicité. Notre volonté, avec Murielle, c’était de faire une comédie romantique mais avec des enfants. Il tombe amoureux d’une femme mais aussi des enfants. Il tombe amoureux d’une famille.

Justement, par rapport à la comédie, en France, il semble y avoir un terrain un peu galvaudé, qui passe dans les multiplexes. Votre film, aujourd’hui, passe aussi dans des salles art et essai. Comment vous le distingueriez de ce que l’appelle vulgairement la comédie « franchouillarde » ?

J-P. A. : Là-dessus, je suis assez respectueux. Il faut le faire quand même. Benoît Poelvoorde le dit lui-même : « C’est plus dur de faire le guignol que de faire la tronche. » Et c’est dommage, parfois, on ne dit qu’il est formidable que dans ses rôles plus graves, alors que faire le clown comme il le fait, ou comme José Garcia peut le faire parfois, ce n’est pas facile. Alors je n’ai aucun mépris pour ça. L’important, c’est que ce soit personnel. Là, je crois que je ne peux pas faire mieux (sourire). Sur Marie Heurtin, je me cache derrière une histoire, alors que sur Une Famille à louer, je suis plus à nu.

Vous parliez tout à l’heure du côté fantasmé du personnage de Benoît Poelvoorde par rapport à vous, et on sent un aspect de conte de fées qui est constamment désamorcé par les réalités sociales. Je voulais savoir si vous préférez le pouvoir de la fiction à la dureté de la réalité.

J-P. A. : C’est vrai que quand j’ai commencé, c’est-à-dire il y a plus de vingt ans, j’ai fait beaucoup de films naturalistes. Depuis quelques années, j’aime bien l’idée de créer un petit monde, d’aller plus vers la fantaisie. Les difficultés sociales sont présentes dans le film mais je voulais que cela passe par cette fantaisie. J’aime bien quand vous dites « conte de fées » parce que c’était important sur le style du film. Je n’aurai pas voulu que Violette vive dans un HLM. Sur le plan stylistique, le film est assez enfantin, et la maison, je me faisais une fixette dessus. Elle est assez inspirée des maisons prolétaires américaines. On l’a cherchée longtemps, et on a fini par la trouver en banlieue parisienne. On l’a redécorée, mais l’intérieur a été conçu en studio, parce qu’en studio, on peut faire ces mises en scène à l’américaine que j’admire. Contrairement aux intérieurs français qui ont toujours un mur et une porte, il y a des ouvertures sur la pièce. De cette façon, grâce au studio, on a pu choisir chaque détail, pour être coloré, sans sonner faux non plus. Ce n’est pas une critique mais… ce n’est pas Le Petit Nicolas non plus. C’était en effet tout un travail d’équilibre entre cette réalité sociale et la fantaisie.

Pour revenir à la direction d’acteurs, comment avez-vous travaillé avec Virginie Efira ?

J-P. A. : J’ai vraiment admiré cette actrice. Je l’avais beaucoup aimée depuis films, et notamment 20 ans d’écart. Elle m’évoque justement ces actrices américaines des années 50 comme Carole Lombart, parce qu’il y a ce peps. Elle n’a pas peur, et ce n’est pas si fréquent chez les actrices, d’oser le burlesque. Elle est quand même habillée d’une drôle de façon, mais elle n’est jamais vulgaire. Moi ça me touche beaucoup, ce genre de femmes un peu too much, qui ne se rendent pas compte qu’en entrant dans le hall du cinéma, tous les hommes sont comme le loup de Tex Avery. Il y a une vraie innocence. Je lui ai montré deux films : Erin Brockovich et Les Nuits de Cabiria de Fellini, parce qu’ils contiennent des femmes un peu too much dans ce style.

On ressent un amour des codes de la comédie romantique, mais j’ai l’impression que vous vous amusez à les déconstruire pour finalement y revenir au fur et à mesure.

J-P. A. : Honnêtement, je ne saurais pas trop dire. C’est difficile de parler du travail, on n’est pas toujours conscient des choses. Ce film a eu une vingtaine de versions du scénario, c’est laborieux. A un moment donné, la production n’y croyait plus. On a trouvé un beau postulat, donc ça plaît aux producteurs, mais après, il faut le tenir sur une heure et demi. Donc je pense que c’est vraiment le travail du scénario, mais la comédie, c’est fait aussi pour que ça ne se voit pas, que ça ait l’air facile. Il y a des gens qui me disent : « Ça a dû vous détendre après Marie Heurtin. » Déjà, me détendre, ce n’est pas trop mon genre, mais c’est du travail. Il n’y a rien de pire qu’un gag qui tombe à l’eau, et je suis fasciné par la fabrication d’un gag. Buster Keaton, c’est des gags du début à la fin. Peut-être que là où je déconstruis un peu, c’est que je suis un tout petit peu moins sentimental que ne le serait un cinéaste américain, et que le film glisse vers un peu plus d’amertume. Certains spectateurs me disent qu’ils rigolent bien au début et que vers la fin, le rire se coince, notamment durant les scènes avec la mère.

C’est vrai qu’en entrant dans la salle, je m’attendais vraiment à une comédie telle qu’on la voit aujourd’hui, et j’ai été surpris par ces scènes dramatiques, qui renvoient à la réalité.

J-P. A. : Il y a du drame, mais je pense quand même que l’humour l’emporte. Après, il s’agit avant tout de faire le film le plus sincère possible. Je ne pouvais pas éviter ce problème, cette impossibilité de dire à un autre qu’on l’aime. La mère de Paul-André, je suis sûr qu’elle en souffre. Et lui, il a de l’amour à revendre, mais il ne sait pas comment. Elle, elle est victime de son frère en quelque sorte. J’ai connu ça avec ma sœur, mais de toute façon, c’est la famille. Ce sont des liens. Peut-être que Coluche avait raison en disant que la plus belle famille, c’est celle qu’on s’invente.