genre: thriller, drame
année: 1974
durée: 1h44
l'histoire : Après avoir été violée quand elle était enfant, Madelaine est devenue muette. Aujourd'hui, elle est une belle jeune fille qui vit dans une ferme avec ses parents. Voulant se rendre en ville, elle rate son bus. Elle est prise en stop par Tony qui l'invite au restaurant puis chez lui. Tony est un proxénète et il drogue Madelaine. Après l'avoir rendu accroc à la drogue, Tony envoie des clients à Madelaine.
La critique :
Le rape and revenge est un sous-genre cinématographique qui va largement se développer à partir des années 1970. Pourtant, c'est en 1960 que le rape and revenge débute de façon assez timorée, avec La Source d'Ingmar Bergman. Comme un symbole, cette date marque les premières esquisses du féminisme. Le phénomène s'accélère au début des années 1970.
Plusieurs films vont transcender le genre : Day of the Woman, La Femme Scorpion ou encore La Dernière Maison sur la Gauche connaissent un succès retentissant dans les salles obscures et/ou en vidéo. D'ailleurs, dans les années 2000 et 2010, plusieurs de ces films sont carrément "remakés".
Le rape and revenge reste donc un genre d'actualité. Quand la femme décide de prendre les armes et de castrer le dieu "Pénis". Encore une fois, tout un symbole ! "Phallus" n'est plus "Fascinus". En l'occurrence, Thriller - A Cruel Picture, réalisé par Bo Arne Vibenius en 1974, est un fleuron et un classique du rape and revenge. Le long-métrage est connu sous plusieurs noms : They Call Her One Eye et Crime A Froid (dans la version française). C'est aussi un film qui va marquer plusieurs générations de cinéastes, notamment Quentin Tarantino qui reprendra... pardon... qui photocopiera le personnage principal de Thriller - A Cruel Picture dans Kill Bill : Volume 2 ; et Abel Ferrara avec L'Ange de la Vengeance en 1981.
En outre, Thriller - A Cruel Picture est un film suédois. Par conséquent, inutile de mentionner les acteurs. Ce sont tous de joyeux inconnus. Seule la belle et sensuelle Christina Lindberg fait figure d'exception. En effet, l'actrice a surtout joué dans des films érotiques. Thriller - A Cruel Picture va la rendre célèbre aux yeux du grand public. Enfin... Grand public... C'est vraiment un terme à guillemeter car le film est loin de faire l'unanimité. Il existe donc deux versions du film : une version censurée de plusieurs minutes et interdite aux moins de 16 ans, et une version uncut interdite aux moins de 18 ans.
Avec Thriller - A Cruel Picture, Bo Arne Vibenius mélange plusieurs genres : le drame, le thriller, l'érotisme voire même la pornographie "soft", et le western urbain.
Attention, SPOILERS ! Frigga (dans la version originale) / Madeleine (dans la version française) a été agressée sexuellement pendant son enfance, ce qui l'a rendue muette. Quelques années plus tard, elle accepte d'être prise en voiture par un homme, Tony, qui fait d'elle une accro à l'héroïne et la prostitue en devenant son souteneur. Pour cacher le fait qu'elle a été kidnappée, il écrit des lettres pleines de hargne aux parents de la jeune femme, lesquels en viennent à se suicider.
Alors qu'elle est rendue borgne pour avoir refusé un client, Frigga commence à se donner les moyens de sa vengeance. Le film se divise alors en plusieurs actes bien distincts. Dans le premier, Frigga est décrite comme une jeune femme pure et innocente.
Le film commence alors sur son enfance martyre. Frigga est violée par un vieillard pédophile. Elevée par une famille modeste, elle est livrée à Tony, un proxénète. Frigga n'est pas "seulement" prostituée. Tony l'a rend également accroc à l'héroïne (Je renvoie au synopsis...). C'est le second acte du film qui suit la longue descente en enfer de Frigga.
Dans cette deuxième partie, Frigga est violée à plusieurs reprises et subit de nombreux sévices sexuels. Torturée, tancée, brocardée et morigénée, Frigga perd également son oeil gauche, énucléé par le couteau de son proxénète. Dans ces deux premiers actes, Frigga est décrite comme une jeune femme fragile et innocente, ignoblement exploitée et martyrisée par la gente masculine.
Rétive et indocile, la jeune femme décide de prendre les armes et de se rebeller contre le joug de la virilité. C'est le troisième et dernier acte du film. A partir de là, Thriller - A Cruel Picture se transforme en western urbain. Sur ce dernier point, la mise en scène glaciale et distante de Bo Arne Vibenius n'est pas sans rappeler les grands westerns spaghettis des années 1970, entre autres, la fameuse trilogie du Dollar de Sergio Leone. La seule différence, c'est que le héros anonyme de Pour Une Poignée de Dollars s'est transformé en vindicte féminine et en belligérance contre un système phallocratique.
Thriller - A Cruel Picture n'est pas seulement un film de son époque. C'est aussi un long-métrage qui reflète une certaine idéologie dominante.
Fini la toute puissance masculine ! Place désormais aux femmes qui viennent contrarier les dynamiques du pouvoir et du capitalisme auparavant contrôlées par les hommes. Cette fois-ci, c'est le sexe maculin qui est menacé d'extinction et d'annihilation. Dans Thriller - A Cruel Picture, les hommes ne sont pas seulement assassinés. Ils sont également enterrés, bafoués, humiliés et ridiculisés.
Impression renforcée par toutes ces séquences au ralenti et justifiée par les deux premiers actes. La vengeance de Frigga est perçue comme étant légitime. Symboliquement, pour s'imposer dans un univers masculin, il faut devenir un homme, pratiquer le kung-fu et manipuler les armes. Thriller - A Cruel Picture n'est donc pas qu'un simple film d'exploitation.
Il annonce également une nouvelle vague, avec une vraie revendication féministe. En l'état, Thriller - A Cruel Picture reste un long-métrage nihiliste et viscéral, une sorte de perle noire totalement radicale, bref un vrai classique à découvrir de toute urgence !
Note: 17/20