À l'occasion de la sortie de La Belle Saison nous avons rencontré sa réalisatrice, Catherine Corsini, qui nous a parlé de son travail avec les comédiennes, mais aussi de ses nombreuses influences. Rencontre sur un film que l'on peut déjà considérer comme l'un de ses meilleurs.
Blogueur : Votre film est porté par deux actrices solaires et lumineuses. J'ai lu que vous aviez écris le film en pensant à Cécile de France qui interprète souvent des lesbiennes. Pourquoi l'avoir choisi elle ? Que vous inspire-t-elle ? Et qu'en est-il du choix d'Izia Higelin ?Catherine Corsini : Je voulais réaliser un film romanesque dans lequel on se fait emporter par les personnages, ce qui rend le choix des interprètes primordial. Les filles sont au centre du film, et en sont la structure. J'ai pensé à Cécile parce que l'on peut s'identifier à elle facilement grâce à sa popularité. Je voulais que le film de par son sujet ne soit qu'un " film de niche " et touche un plus grand nombre. Pour son personnage je me suis inspirée d'une femme qui a existé, et il me fallait une comédienne de l'âge équivalent. Une femme établie dans son hétérosexualité épanouie qui va voir sa vie bouleversée par sa rencontre. C'est une comédienne libre et sans tabous, qui a su apporter ces qualités au personnage de Carole. Elle ne fait pas peser le fait qu'elle interprète un personnage homosexuel comme le font parfois certains comédiens. Elle fait par ailleurs preuve de beaucoup de légèreté et d'ironie, propre aux personnages qui m'ont inspiré.
Pour ce qui est du rôle de Delphine, j'avais travaillé initialement avec Adèle Haenel qui s'est désistée par la suite parce qu'elle avait du mal avec le rôle. On cherchait une comédienne qui ne rende pas la relation immédiatement sexuelle. On avait d'abord trouvé Izia trop jeune pour le rôle, mais elle a tellement cette spontanéité que je recherchais, ce côté terrien qu'elle a obtenu le rôle. Quelqu'un comme Izia du fait de son peu d'expérience a parfois déstabilisé Cécile de France, et lui a permis de livrer un jeu d'une vrai vitalité, un souffle de vérité précieux. Certaines séquences ont été assez jubilatoires à tourner comme celle où les deux femmes se disputent que l'on a tournée plusieurs fois.
Je voulais montrer le côté passionnel, et mélodramatique de cette relationCinécomça : Dans vos films précédents vous tourniez déjà autour du sujet de l'homosexualité, et l'homosexualité féminine en particulier. Je pense notamment à la nuée de copines de Karine Viard dans La Nouvelle Ève. Qu'est-ce qui vous a fait attendre aussi longtemps avant de traiter ce sujet de façon frontale ? D'autant plus que le film semble représenter une véritable libération pour vous.
C.C. : Question très juste, que je me suis moi même posée. Je crois que j'avais extrêmement peur de ne pas savoir filmer l'amour charnel entre deux femmes, j'avais peur que ça soit trop mièvre. Je voulais montrer le côté passionnel, et mélodramatique de cette relation, et j'avais peur de ne pas réussir à le rendre à l'écran. Il fallait que je réussisse à raconter cette histoire de manière frontale. Pas facile par ailleurs d'y arriver après le film de Kéchiche. Mais je me suis dis qu'il n'y avait pas qu'une seule histoire d'amour homo et me suis lancée.
C.C. : Je voulais ne pas avoir de sentiment de voyeurisme, et être uniquement dans l'émotion. Le côté bouleversant de la première fois de Carole. Une expérience qui compte plus que tout. En plus des tableaux de Renoir ou Manet, on a aussi regardé avec ma chef op (Jeanne Lapoirie, ndlr.) un film d'Agnès Varda qui s'appelle Le Bonheur que ma scénariste m'a fait découvrir qui contient des scènes d'amour dans la nature très sensuelles. Beaucoup de douceur que je trouvais très picturale. Et puis Cécile m'a fait énormément confiance, et s'est sentie comme un modèle pour un peintre comme elle aime à le dire en interview. Face à l'aisance, et la personnalité du personnage de Cécile, j'ai contrebalancé avec la pudeur de celui d'Izia, ses peurs et ses angoisses. Un film est selon moi toujours un documentaire sur un acteur et son rôle.
Tourner en numérique (c'est la première fois pour la réalisatrice, ndlr.) a permis de ne pas couper systématiquement la caméra lors de ses scènes pour emmagasiner le plus de matière possible. Et puis de donner des instructions sans couper la caméra, laisser l'énergie retomber lors d'un changement potentiel de la bobine dans le magasin, et perdre ce qui était en train de naitre à l'écran. Même si je préfère le piqué qu'offre le 35mm. Mais c'est sûr que le numérique a été bénéfique pour le tournage des scènes d'amour.
Je voulais retraduire cette époque [...] Être dans l'idée précise de ce qui s'est passé, mais ne pas être figé, paralysé par cette reconstitution.Blogueur : Au niveau de la reconstitution historique, comment avez vous travaillé ?
C.C. : J'aime avoir une espèce de banque de donnée de films. Pour les intérieurs on a revu La Maman et la Putain, des films de Rohmer, L'Amour l'Après-Midi, certains films de Varda. On a regardé tous les documentaires de Carole Roussopoulos. J'ai aussi regardé un documentaire de Louis Malle qui s'appelle Place de la République, où l'on constate bien que comme aujourd'hui les gens ne sont pas tous à la mode de l'année en questions, et certains portent des vêtements des vingts années qui précèdent. Du coup, il fallait parfois dire non à l'envie des comédiens de se " déguiser " comme dans l'époque. Je voulais casser les habitudes, et ce que l'on voit en général niveau décoration. Un désir de ne pas faire carton-pâte.
Cinécomça : À quelle moment vous êtes vous dit que vous alliez encrer votre film en zone rurale ? Avez-vous à un moment envisagé de situer votre histoire actuellement ?C.C. : J'ai passé trois mois à écrire cette histoire d'amour qui prend place dans les années 70. J'ai été très touchée par les manifestations contre le mariage homosexuel, et je ne voulais pas imprégner mon film de cette crispation. Je préfère mettre le film en regard avec aujourd'hui en mettant un point d'encrage d'époque. Et je me suis dis que de raconter l'histoire d'un personnage un peu honteux, dans l'empêchement aujourd'hui, ça n'était pas donner une image très positive de l'homosexualité.
C.C. : Je me suis posée des tas de questions. L'idée était d'être à l'aube du mouvement, et de cette pensée féministe qui naissait chez certaines femmes. Avant même que certains groupes plus précis ne naissent. L'envie de retrouver la liberté de parole. Cette parole que Delphine n'ose pas prendre face à son père. Je trouvais intéressant en effet d'être à la base des fondements de la MLF. Je voulais retraduire cette époque, sans passer par certains passages obligés. Ne pas uniquement faire de la reconstitution que l'on pourrait pointer du doigt. Être dans l'idée précise de ce qui s'est passé, mais ne pas être figé, paralysé par cette reconstitution.
Cinécomça : Avez vous l'impression que le sujet de l'homosexualité féminine est toujours tabou au cinéma ?C.C. : Il y a quelques jours j'aurais peut-être répondu que oui, mais j'ai vu récemment quelques commentaires sur certains sites qui me font froid dans le dos et m'amènent que ça n'est pas encore gagné. Il y a toujours un regard ou condescendent ou " Oh encore un film avec deux femmes " alors qu'il en existe peu, ou " Oh encore un film du lobbie homo ". Alors qu'on est submergé par les films américains qui nous prennent assez régulièrement en otage comme disait Chabrol de façon assez angoissante, il faudrait qu'on arrête de critiquer le cinéma français qui est super riche.
Pour revenir sur la question, ça sera gagné le jour où l'on aura plus besoin de préciser que c'est un film réalisé par une femme, ou que c'est un docteur femme, ou une politique, etc.
À lire : critique de La Belle Saison
Entretien dans le cadre d'une table ronde. Propos recueillis par Lucas Guthmann pour Cinécomça, le 18 août 2015.
Cinécomça remercie : Catherine Corsini, Claire Chevalier, Morgane Paul, Pyramide Distribution, Okarina Cine