La Belle saison

Par Cinealain

Laetitia Dosch, Sarah Suco, Nathalie Beder, Calypso Valois

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Entretien avec la réalisatrice/scénariste Catherine Corsini.

Propos recueillis par Claire Vassé relevés sur www.unifrance.org


J'avais l'envie profonde de rendre hommage aux femmes féministes qui ont souvent été vilipendées, traitées de mal baisées... Moi-même je n'ai pas été une très grande féministe pendant des années, je n'étais pas loin de partager cette image d'elles. Mais je me suis vite rendu compte que beaucoup des acquis sur lesquels je vis aujourd'hui, on les devait à ces femmes qui se sont battues, engagées. Un grand nombre d'entres elles étaient homosexuelles. Grâce à ce mouvement, enfin, elles pouvaient faire entendre leur voix. De fait, les homosexuelles ont beaucoup fait pour l'émancipation des femmes en général.


Il y avait une vitalité, une insolence dans le mouvement féministe qui m'a séduite. Je ne vois rien aujourd'hui de comparable. J'ai compris que le féminisme mettait l'humain au centre, et ça a été le grand principe de l'écriture du film.

D'abord grâce à la figure merveilleuse de
Carole Roussopoulos, la première vidéaste à avoir filmé les luttes des femmes, le premier défilé homosexuel en marge du rassemblement du 1 er Mai 1970. Très proche de Delphine Seyrig, elle a coréalisé avec elle des films militants jubilatoires. Ce sont elles qui m'ont donné envie d'appeler mes héroïnes Carole et Delphine.

Une histoire du mouvement des femmes 1970-1980

Un documentaire de Carole Roussopoulos

Et puis j'ai interviewé plusieurs féministes dont Catherine Deudon qui a fait des photos des actions depuis le début, Anne Zelenski et Cathy Bernheim également. Toutes ont participé au premier acte féministe : aller déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de la femme du soldat inconnu à l'Arc de triomphe en disant :

"Qui est plus inconnu que le soldat inconnu ? Sa femme ! ".

J'ai lu tout ce que j'ai pu trouver, entre autres des journaux comme
Le torchon brûle. Et tout ce matériau écrit et filmé que j'avais réuni, je l'ai donné aux actrices. Elles étaient toutes investies de cette parole, de ce discours, de l'importance des luttes comme le droit à l'avortement, le droit à disposer de son corps. Transmettre cette énergie était essentiel pour moi, c'est ce qui m'a animée durant le tournage.

Avec
Jeanne Lapoirie, la chef opératrice, et Anna Falguères, la chef déco, nous avons veillé à cela. Nous choisissions toujours ce qu'il y avait de plus basique, mélangeant des choses modernes pour l'époque à des choses anciennes. Nous faisions très attention à ce que la voiture qui passe dans la rue ne soit pas trop visible, pas trop marquée "voiture d'époque", pareil pour la casquette d'un paysan ou la manière dont sont habillées ces jeunes féministes... Il fallait retrouver une justesse d'époque naturellement, mais aussi une certaine neutralité, éviter trop de pattes d'éph', de tuniques à fleurs... Heureusement, ça court beaucoup dans les scènes de rues, on a moins tendance à faire attention aux éléments qui datent. Par ailleurs, on a souvent tendance dans un film d'époque à tout "décorer" dans les années où le film est situé mais il y avait pleins de gens en 70 qui s'habillaient encore comme dans les années 50, et chez qui les papiers peints dataient. Mon obsession était de ne pas être dans une reproduction rigide des actions féministes. Je me suis autorisé des libertés, même si les actions reflètent peu ou prou ce qui s'est passé. Je les ai donc revisitées, notamment la scène du jeté de mou de veau sur le Professeur Chambard. J'ai choisi aussi de ne pas refaire des scènes attendues comme celle de l'Arc de Triomphe. Je voulais d'abord être dans la vitalité de cette période historique. D'où l'envie de mêler une action du FHAR (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire), qui avait fait sortir un jeune homme d'un hôpital psychiatrique en Italie, à celle de ces féministes.


Je voulais faire cette scène d'amphi, réunir toutes ces femmes, les voir en train de discuter, de s'engueuler. Evidemment, ça criait car prendre la parole et se faire entendre pour une femme qui ne l'a jamais fait, ce n'est pas facile. D'autant plus qu'elles ne voulaient pas de chef pour mettre de l'ordre ! Mais cette énergie de groupe est très belle, joyeuse et iconoclaste. Il y avait aussi beaucoup de prise de risques dans leur activité militante. Elles se retrouvaient facilement au poste de police.

J'ai imaginé cette scène en mélangeant toutes les versions qu'on m'en a faites. Il n'y a aucune trace de ces rencontres nulle part, il était même compliqué de savoir comment était l'amphi. Chacune me donnait une version différente. Alors on a tout réinventé, avec dans nos bagages toute cette documentation que j'avais réunie et à partir de laquelle on a fait des petites impros.

Quand ça discute au début, les filles sont nourries de ça, on sent une vérité. On a soigné le casting de la figuration en essayant de prendre des filles qui sont dans des mouvements féministes ou LGBT aujourd'hui, en tout cas concernées. Pour le groupe des copines de Carole, je me suis régalée à les trouver, toutes sont formidables et notamment Laetitia Dosch qui est une actrice géniale. Cette journée de tournage était intense, fébrile, je sentais que tout le monde était content d'y participer. Avec l'équipe on a été conquis quand on a entendu les filles commencer à chanter L'Hymne des femmes.

Comment lier l'intime et l'Histoire, c'était le centre de nos débats lors de l'écriture. Comment peut-on s'engager politiquement, être courageux pour les autres et en revanche avoir du mal à défendre
"sa cause" dans la vie privée. Cette opposition me parlait profondément et ramenait de la fiction, de la dramaturgie. Delphine est empêchée dans sa vie intime mais, dans le même temps, elle a le courage d'aller délivrer un mec homo interné, de lancer du mou de veau sur un médecin "anti avortement".

Izïa Higelin avait ce caractère, ce côté brut, sauvage. C'est un tempérament. Je pense que ça lui coûte de jouer et c'est ça qui la rend si émouvante. Des deux personnages, celui de Delphine est celui qui est le plus proche de moi. C'est pour ça je crois qu'il m'a été plus difficile de trouver l'actrice qui devait l'incarner.

Vouloir qu'un acteur corresponde au personnage idéal, celui que j'ai imaginé, crée toujours une forme de déception. Alors maintenant, plutôt que lutter avec les acteurs pour les amener au personnage, j'essaye de les voir tels qu'ils sont et d'amener le personnage vers eux et que celui-ci révèle chez eux quelque chose d'intime. C'est comme une réaction chimique ce qui se passe entre un rôle et un acteur, mais ce qui est sûr c'est qu'un acteur est traversé par un rôle, il n'en sort jamais indemne.
Tourner en numérique - c'était la première fois - m'a permis de ne pas rester complètement collée au scénario, de filmer des moments un peu à côté qui nourrissent complètement le film, d'inventer des scènes, de prendre des libertés, d'avoir plus de souplesse, parfois de réintroduire des scènes que j'avais écrites avec ma scénariste Laurette Polmanss et mises de côté, avec l'arrière-pensée de les réutiliser.

Manuel cherche à faire changer d'avis Carole par la réflexion et cherche à l'atteindre par le raisonnement.

La Belle Saison est un film avec des femmes, autour du mouvement des femmes, avec une histoire d'amour entre deux femmes... Je ne voulais pas d'hommes mesquins à coté. Je voulais qu'ils soient attentifs aux femmes et ne soient pas que des antagonistes. Comme le dit Carole au début : "On n'est pas contre les hommes, on est pour les femmes".

J'ai retrouvé des souvenirs, des sensations de mon enfance, car j'ai passé une partie de ma jeunesse en Corrèze. Je voulais mettre en parallèle le côté bouillonnant de Paris et celui, intemporel, de la campagne. Comment allier ces deux mouvements dans le film ? Comment ces mondes vont glisser l'un vers l'autre, se faire écho, se contaminer ? Là encore, je me suis documentée, notamment par le biais d'une amie, Anne Bouthry, une fille de paysans montée à Paris dans ces années-là. Elle m'a soufflé beaucoup de choses et m'a aidée à faire le lien entre ces deux mondes. C'est en parlant avec elle aussi que cette histoire s'est construite. J'ai également revu les films de
Georges Rouquier, Farrebique et Biquefarre, qui sont de précieux témoignages sur le monde paysan, où se mêlent documentaire et fiction.

Et pendant les repérages, j'ai pu parler avec des paysans qui étaient jeunes à l'époque. Ils m'ont raconté les conditions dures dans lesquelles certains ont vécu et vivent encore aujourd'hui. Et puis à la campagne, il y avait le personnage d'Antoine. Kevin Azaïs a été un partenaire très fin, très attachant. Il joue le personnage de l'éconduit, celui dont on se dit, c'est injuste mais ca ne marchera pas pour lui.

Jouer avec cette nudité faisait presque partie de la logique et de l'écriture de ces années-là. Tout d'un coup on trouvait normal de se montrer nu, d'avoir des poils sous les bras ! Mais bizarrement, ce désir est arrivé tout doucement, en tournant. Au départ, j'avais davantage envie de montrer la beauté des paysages, le travail des champs. J'étais presque plus du côté de la peinture, de Manet...
C'est un peu Cécile qui en incarnant Carole m'a amenée vers ça. J'adorais le look qu'on lui avait fait, avec ses cheveux blonds, cette crinière. Et quand on a décidé qu'elle ne porterait pas de soutien-gorge, soudain s'est dessiné le personnage de cette fille parisienne libérée qui a une aisance avec son corps, qui se trimballe nue dans son appartement. Cécile m'a apporté cette liberté que je trouve très belle chez elle et qui correspondait bien au personnage de Carole, cette fille vaillante et sans tabou.
Le moment où Carole ouvre sa robe derrière les vaches, c'est Cécile qui l'a improvisé. Je trouvais ça drôle, ça ressemble tellement à Carole d'amener un vent de liberté dans cette campagne austère. Carole n'a pas de problème avec la nudité, contrairement à Delphine qui n'est pas du tout à l'aise avec son corps. Peut-être parce qu'elle se sait homosexuelle et ne l'assume pas. Quant à la scène où elles font l'amour dans les champs, elle était très peu écrite. C'est un moment charnel cru, qui se transforme en moment drôle, à cause des vaches à côté qui beuglent. Ma scénariste m'a aussi fait découvrir le film Le bonheur d'Agnès Varda, c'est un film inspirant pour filmer l'amour d'une façon pudique mais libre.

Le moment dont vous parlez est une toute petite improvisation en fin de scène, où Noémie et Cécile apportent cette finesse aux personnages qui permet de sentir un glissement possible et évite de faire de cette mère une femme complètement fermée.
Du coup, la dernière scène très violente est acceptable car on n'est pas dans la caricature. Noémie Lvovsky est une immense actrice et sa grande question était justement de savoir si on allait croire à cette scène :"Vous êtes le diable dans cette maison !".
C'est la peur qui fait réagir la mère si violemment. Peur devant l'inconnu qui lui semble inconcevable et anormal : l'homosexualité de sa fille. Pour pouvoir jouer cette scène-là, il lui a fallu au préalable déjouer les stéréotypes de la mère acariâtre. Les acteurs sont un peu les metteurs en scène des films. Pour arriver à faire croire à leur personnage, ils ont besoin de construire quelque chose.
Ca fait un moment que j'avais envie de tourner avec Noémie. En paysanne des années 70, c'était un challenge car on a tendance à lui donner des rôles plus proches d'elle.

D'un côté, il y a les morceaux d'époque - Janis Joplin, Colette Magny, Joe Dassin - et de l'autre une musique résolument plus moderne, The Rapture, un groupe d'aujourd'hui, exprimant la modernité que Carole apporte dans cette campagne. Et puis il y a la musique originale de
Grégoire Hetzel qui amène du lyrisme et épouse les sentiments intérieurs de Delphine et Carole, la façon qu'elles ont d'être prisonnières d'elles-mêmes par moments.
Avec Grégoire on a travaillé en tâtonnant. Il est venu très tôt et très vite on a pensé à un mouvement tourbillonnant, on a écouté des musiques de films, du Grieg. C'est la troisième fois que je collabore avec lui. Il est très souple, il a beaucoup de lyrisme, une grande acuité.

Je pense que les gens sont moins cachés mais ça reste aussi douloureux pour certaines personnes de dire et vivre leur homosexualité. Dans les manifestations horribles qu'il y a eu contre
"le mariage pour tous", l'année dernière, on a vu beaucoup de familles se déchirer, de parents aller manifester alors qu'ils connaissaient l'homosexualité de leurs enfants.
Un film a conforté mon envie de faire le mien : Les Invisibles de Sébastien Lifshitz. J'ai trouvé exemplaire ces témoignages d'homosexuels. Leurs amours sont magnifiques. On sent le déchirement qu'ont vécu certaines femmes, comme cette femme mariée, qui a eu des enfants et s'est découverte homosexuelle sur le tard. Ces changements de vie sont étonnants, ils m'émerveillent. J'avais envie de retraduire l'émotion que j'ai eue par un film de fiction.

C'est votre première collaboration avec la productrice Elisabeth Perez, qui est aussi votre compagne.


Je sortais de trois films avec ma productrice Fabienne Vonier, décédée il y a deux ans. Fabienne me donnait beaucoup d'attention, on s'appréciait, c'était difficile de trouver quelqu'un qui la remplace. Avec Elisabeth, il y a beaucoup d'intuition. J'ai aimé son exigence, mêlée à une grande bienveillance. Notre collaboration a également été extrêmement riche, agréable, respectueuse. J'ai l'impression d'avoir vraiment partagé le film avec elle, à toutes les étapes, dans une grande confiance.

La Belle Saison est un peu comme un nouveau départ et j'ai essayé de communiquer
ce sentiment à toute l'équipe : au début du tournage, je leur avais écrit un petit mot pour leur dire que ce film était très important pour moi car c'était la première fois que je travaillais avec Elisabeth et que je parlais aussi frontalement de l'homosexualité. Ca faisait longtemps que j'avais le désir de raconter cette histoire mais c'est Elisabeth qui m'a poussée à travailler sur ce sujet, qui m'a donné ce courage, qui m'a guidée vers ce film. Je le lui dois complètement.

Magnifiquement documenté, La Belle saison rend un très bel hommage à ces femmes qui, en plein cœur des années 70, ont su se faire entendre avec courage et détermination. Premières pierres posées pour une normale égalité avec les hommes. Pour une reconnaissance du droit à la différence, aussi.

C'est également un très beau film d'amour entre deux femmes.

Le scénario met en avant la peur bien réelle du regard de l'autre. Et plus que tout, le refus de tous changements. La ville, semblable à une arène, est l'endroit dans lequel se livrent tous les combats. Si la campagne semble plus paisible elle n'en reste pas moins le territoire de dissensions souvent très douloureuses à vivre.

Les dialogues sont parfaitement écrits, justes et brillants. Je retiens, entre autres, ceux échangés entre gens de la terre quand il est question de la rémunération de la femme. Dans ce monde paysan, tout autant que dans les villes, les hommes veulent garder une réelle supériorité. "C'est déjà bien beau qu'elle puissent puiser dans le salaire du mari".

Avec brio, une grande finesse et sans pathos, Catherine Corsini démontre que le combat commencé à cette époque perdure, de nos jours encore, sur bien des points.

Issu ce cette campagne, j'ai trouvé toute cette partie du film d'une incroyable véracité. La photographie de Jeanne Lapoirie magnifie les paysages et la nudité des corps.

La musique de Grégoire Hetzel accompagne parfaitement le propos. D'autres voix résonnent comme les dernières heures d'un monde qui semble optimiste et résolument hermétique devant les évènements. Le profond changement est pourtant inéluctable.

Les hommes, simples spectateurs attentionnés, mais souvent désorientés par cette formidable avancée ne sont pas en tête du casting. Kévin Azaïs, touchant et tout en retenue avec Benjamin Bellecour dans le rôle d'un homme brusquement rejeté, n'en sont pas moins excellents, chacun dans leur rôle respectif.

Dans le rôle d'une mère, femme de paysan, accrochée à des valeurs traditionnelles qu'elle voit voler en éclats Noémie Lvovsky est exceptionnelle et dégage une profonde émotion.

La réalisatrice a déclaré son "envie de faire un film où les personnages ont une belle âme, un côté solaire, extrêmement généreux, ouvert sur l'autre". Pour réaliser ce souhait, elle a trouvé en Cécile de France et Izïa Higelin les comédiennes idéales. Elles sont remarquables, touchantes, troublantes et lumineuses.

Un très beau film, d'une grande sensibilité, d'une belle sensualité et d'une profonde émotion.

Un coup de cœur en ce milieu d'été.

Cécile de France était l'invitée du 20 Heures sur France 2 le dimanche 16 août pour parler de La Belle saison . "Pas mal de faits réels sont retranscris dans le film avec d'autres noms", explique en plateau la comédienne avant d'avouer qu'interpréter une militante féministe a été "assez galvanisant et jubilatoire". "Je ne pouvais pas refuser"

Les droits des homosexuels sont également au cœur du film. Sur la question, Cécile de France trouve qu'au niveau des mentalités aujourd'hui, "il y a encore du boulot".


Après les trois films de Cédric Klapisch, Stijn Coninx en 2008 en 2003, Cécile de France interprète une lesbienne.

L'actrice avait déclaré ne pas vouloir être cataloguée, mais ce film a réussi à la convaincre. "Il y a des millions de manières de jouer des lesbiennes et puis c'est l'un des plus beaux scénarios que j'ai lus donc je ne pouvais pas refuser, j'étais bouleversée", confie-t-elle en plateau.