DHEEPAN (Critique)

Par Cliffhanger @cliffhangertwit
SYNOPSIS: Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, un ancien soldat, une jeune femme et une petite fille se font passer pour une famille. Réfugiés en France dans une cité sensible, se connaissant à peine, ils tentent de se construire un foyer.

Dheepan aura marqué au fer rouge les festivaliers cannois en mai dernier. Pour de bonnes et de mauvaises raisons. Primo, Jacques Audiard, son metteur en scène, est reparti avec la Palme d'Or en poche, remis des mains d' Ethan & Joel Coen, présidents du jury 2015. Geste politique et symbolique pour les uns, sacrement cinématographiquement immérité pour les autres, Dheepan aura fait couler beaucoup d'encre et diviser la critique. Secundo, le nouveau film du fils du célèbre Michel Audiard, librement inspiré des Lettres persanes de Montesquieu, traite d'un sujet sensible, celui de l'immigration en France. Dheepan narre en effet l'histoire de 3 étrangers, un ancien soldat rebelle (le Dheepan du titre), une jeune femme qu'il ne connaît pas ( Yalini) et une petite orpheline de 9 ans ( Illayaal), obligés de se faire passer pour une famille afin d'être évacués d'un Sri Lanka en pleine guerre civile, et devant faire face, après leur arrivée dans l'hexagone, à un autre quotidien, dans une cité de la banlieue parisienne dominée par la violence et la peur. Tertio, Dheepan, porté par un trio d'acteurs inconnus, Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan et Claudine Vinasithamby, marque la troisième collaboration de Jacques Audiard avec son excellent scénariste Thomas Bidegain, après les succès d' Un Prophète et De Rouille et d'Os, accompagné pour l'occasion du jeune Noé Debré, talent à suivre.

Après un prologue lourd de sens - qui voit le personnage tamoul du titre allumer le bûcher où gisent les cadavres de ses frères d'armes - et un raccord malin (dernier plan au Sri Lanka/première irruption dans Paris), Dheepan se déploie comme une chronique socio-familiale finement écrite. L'ex militaire, devenu gardien d'immeuble, cherche la paix. Un toit, une vie paisible pour ses nouveaux compagnons d'infortune. Yalini, sa (fausse) conjointe, s'occupe d'un vieillard dont le fils (brillamment caractérisé, en quelques plans, et interprété par un Vincent Rottiers impressionnant, tantôt menaçant, tantôt reposant) semble lié à un trafic de drogue, tandis qu' Illayaal, la jeune fille, tente de surmonter les événements. Ensemble, ils vont devoir affronter une réalité douloureuse et l'humiliation de tâches ingrates. Tout doucement mais sûrement, ce simulacre de famille va basculer vers un nouvel enfer. Jusqu'à quand Dheepan pourra-t-il éviter de recourir à cette violence qu'il a fuie ? Sur ce postulat, Jacques Audiard installe ses thématiques habituelles, tout en renouvelant son style ; il interroge dans un cadre presque intime les rapports conflictuels entre les êtres, la relation amoureuse impossible, la cruauté de notre monde, ses motivations, ses craintes, ses tensions. Le cinéaste français ose s'aventurer sur un terrain rarement labouré au cinéma, dépeignant avec acuité une vision sombre des cités françaises, rongées par l'ultra violence, la drogue, la justice pour et par soi, le manque de compréhension de l'administration, la rivalité des gangs, et où l'intégration est difficile, voire impossible. Son tableau est alarmant, le constat sans appel.

De l'aspiration à prospérer, se reconstruire après un trauma et vivre en paix, Dheepan bifurque ensuite vers une inévitable spirale de sauvagerie, au milieu d'un environnement confiné à la brutalité stupéfiante. Dès lors, le long-métrage d' Audiard devient un film de genre maîtrisé (le polar noir tendance vigilante, au découpage hallucinant), à travers un dernier acte superbement mis en scène, très stylisé, limite onirique, qui reprend avec une efficacité redoutable le schéma du film de siège, avec l'exfiltration d'un personnage capturé, transformant la banlieue en un terrain de guerre urbaine, défendu par des autochtones armés jusqu'aux dents. Du vrai cinoche, engageant et ambitieux, qui puise ses influences aussi bien chez Peckinpah ( Les Chiens de Paille pour la descente aux enfers et le recours à la violence comme seule parade contre la violence) que chez Audiard lui-même évidemment, car s'il est en effet un personnage Audiardien par excellence, c'est bien Dheepan, ce guerrier tamoul qui recouvre ses instincts primitifs tout en les commuant en héroïsme salvateur (comme Vincent Cassel dans Sur mes lèvres, Romain Duris dans De battre mon cœur s'est arrêté ou bien encore Matthias Schoenaerts dans le sublime De Rouille et d'Os). Si Dheepan a ébloui le jury cannois, c'est aussi parce qu'il jouit d'une galerie de personnages divinement incarnés : Antonythasan Jesuthasan s'avère convaincant en véritable Charles Bronson moderne, de même que Kalieaswari Srinivasan dans le rôle de sa fausse conjointe. L'actrice, toute en nuances, transmet un torrent d'émotions de manière simple, avec des attitudes et des regards. Quant à la toute jeune, Claudine Vinasithamby, sa maturité de jeu impressionne à chacune de ses apparitions. Taxé à la sortie de la projection cannoise - rapidement et à tort, selon nous - d'être d'extrême droite, Dheepan est un film à la fois doux, fort et généreux, qui ne manquera certainement pas de faire réagir le public.

Titre Original: DHEEPAN

Réalisé par: Jacques Audiard

Casting: Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby,

Vincent Rottiers, Marc Zinga, Tarik Lamli ...

Genre: Drame

Sortie le: 26 août 2015

Distribué par: UGC Distribution

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