Genre: drame (interdit aux - 16 ans)
Année: 1987
Durée: 1h50
L'histoire : Klaus, ancien tortionnaire durant la Seconde Guerre Mondiale, s'est réfugié en Espagne durant la période franquiste. Poussé par ses pulsions, il viole et tue un adolescent avant de se jeter du haut d'une tour. Devenu paralysé et totalement dépendant de sa femme Griselda, il sollicite une attention de tous les instants. Exténuée par cette situation, Griselda engage le jeune Angelo pour s'occuper de lui. Entre les deux hommes, va se nouer une relation malsaine et ambigüe.
La critique :
Attention, très grosse claque en vue avec le film dont nous allons parler aujourd'hui. Prison de Cristal (Tras El Cristal dans la version originale), réalisé en 1987 par Agustin Villaronga. Un drame suffoquant, dont l'histoire plonge progressivement dans les abîmes du sordide. Véritable coup de poing psychologique, Prison de Cristal est resté inédit en France pendant plus de deux décennies. Il faut dire qu'avec des sujets aussi brûlants que la pédophilie, les assassinats d'enfants, le sadomasochisme, les jeux dangereux de la séduction entre la victime et le bourreau, ce film a fait l'objet d'une totale opacité sur notre territoire. Révélé depuis peu au spectateur français, celui-ci doit s'attendre à un sacré choc, car le film de Villaronga s'inscrit, sans nul doute parmi les oeuvres les plus malsaines de ces trente dernières années.
Par le biais d'une mise en scène implacable, le réalisateur espagnol instaure un climat glauque et si oppressant qu'il nous fait glisser insidieusement au plus profond de tourments de l'âme humaine.
Oui, rarement on aura vu une oeuvre aussi tourmentée. Si vous cherchez à vous mettre en difficulté, à atteindre vos derniers retranchements, vous avez devant vous le "film malaise" par excellence. Déjà, avec La Résidence (1969) et Les Révoltés de l'An 2000 (1976), Narciso Serrador nous avait prouvé que le cinéma espagnol était capable de produire quelque pépites licencieuses. Mais avec Prison de Cristal, on franchit sans problème quelques échelons supplémentaires dans la perversité.
Si le casting ne réunit pas de grands noms, à l'exception de Marisa Paredes, qui deviendra par la suite l'une des actrices fétiches de Pedro Almodovar, l'interprétation cependant, est de tout premier ordre. Attention, SPOILERS ! Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Klaus était un jeune scientifique qui torturait et tuait des enfants en vue d'expériences pour le IIIe Reich. Réfugié en Espagne sous Franco, ses pulsions morbides le reprennent et il entraîne de jeunes adolescents dans les catacombes pour les torturer, les violer et les tuer.
Alors qu'il vient de faire une dernière victime, Klaus est pris de remords et se jette du sommet d'une tour. Il survit mais demeure paralysé et ne peut plus respirer sans l'assistance d'un poumon d'acier, sorte de sas horizontal dans lequel il se retrouve perpétuellement confiné. Alors que sa femme, Griselda, qui s'occupe de lui nuit et jour, commence à être à bout ; Angelo, une jeune infirmier, se présente pour offrir ses services au malade. Angelo fut victime dans sa jeunesse de la monstruosité de Klaus.
Sous des dehors angéliques, le jeune homme, fasciné par son bourreau, se rapproche de plus en plus de lui jusqu'à pratiquer sur lui des actes sexuels, alors que l'homme est prisonnier de son caisson d'acier. Griselda, qui commence à se méfier d'Angelo, lui ordonne de partir, mais celui-ci la tue par pendaison. Au fur et à mesure, Angelo s'impose comme le maître de la maison. Il renvoie la dame de ménage, terrorise Rena, la fille de Klaus et Griselda. Il change d'apparence en s'habillant de longs manteaux de cuir comme pour reproduire le souvenir des tenues nazies que portait Klaus dans sa jeunesse.
Un jour, Angelo attire un gamin pour "l'offrir" en sacrifice à Klaus, tentant de raviver son passé de tortionnaire quand il prenait un plaisir sadique à voir mourir des gosses dans d'atroces souffrances. Dès lors, la folie meurtrière d'Angelo ne connaîtra plus de limite et l'entraînera inévitablement à sa perte. Pour son premier film, Agustin Villaronga réussit un coup de maître. Le cinéaste délivre une oeuvre troublante, à l'atmosphère délétère, saturée de non-dits et surchargées d'émotions pures.
Un jeu de fascination et de répulsion entre le tortionnaire devenue une proie à la merci de son ancienne victime, une lente descente aux enfers de chacun de protagonistes. Prison de Cristal se traverse comme un terrifiant voyage au plus profond des fantasmes inavoués et d'abjects cauchemars. Cette oeuvre moralement très équivoque dérange car elle aborde (de façon trè habile) les thèmes ultra sensibles de la pédophilie, des rapports de soumission, ou encore de la tentation de l'interdit le plus absolu.
Sans jamais tomber dans le scabreux et avec un remarquable savoir-faire, le réalisateur dresse le portrait de personnages torturés (au sens propre comme au figuré), dévorés par leurs démons intérieurs. Villaronga n'est pas du genre à céder à la vulgarité, à l'hémoglobine à outrance et au trash le plus gratuit. Au contraire, tout est suggéré, en retenue et l'horreur des situations présentées n'en est que plus éprouvante. Prison de Cristal est un grand film d'atmosphère et par moments même, on se rapproche du fantastique, notamment lorsque Angelo tue Griselda au cours d'une nuit d'épouvante.
Couleurs bleutées omnoprésentes, rythme lancinant, lourds silences entrecoupés par une musique obsédante, tout est mis en oeuvre pour déstabiliser le spectateur. Le réalisateur mettra treize ans pour accoucher de son deuxième film et ne compte que quatre métrages dans sa filmographie.
Autant dire que Villaronga distille son talent avec une certaine parcimonie et prend son temps pour peaufiner ses objectifs. Cela lui réussit plutôt bien puisque son troisième film, Pain Noir, réalisé en 2011, fut unanimement encensé par la critique. A priori dans son cas, rareté rime avec qualité. Et de qualité, Prison de Cristal n'en manque pas, c'est le moins qu'on puisse dire.
Doté d'une mise en scène en béton armé et d'interprètes maîtrisant à la perfection des rôle trè difficiles, ce film extrêmement éprouvant accumule le situations traumatisantes et plonge irrémédiablement le spectateur jusqu'aux limites d'une folie dévastatrice et irréversible. Plus dur que Funny Games, plus malsain que L'Immoralita, ce film choc à la réputation sulfureuse, frôle le sans faute et passe très près de l'exceptionnel. Un grand film, tout simplement.
Note : 17.5/20