Le trio se retrouve plongé dans un tourbillon de tromperies où la lutte entre la raison et la passion tourne à la guerre des nerfs...
Carlos Vermut a étudié illustration à l'école d'art Número diez à Madrid, faisant ses premiers pas en tant qu'illustrateur pour El Mundo. Il gagne le Injuve comic award en 2006, publiant ensuite sa première bande dessinée, El banyán rojo. En 2008, il crée la série télévisée Jelly Jamm, et l'année suivante gagne la septième édition du Notodofilmfest avec son premier court métrage Maquetas.
La même année, il réalise son deuxième court métrage, Michirones. En 2011, il fonde sa société de production Psicosoda Films et produit son premier long métrage, Diamond Flash, à travers la plateforme en ligne Filmin movie platform. En 2012, il écrit et réalise le court métrage Don Pepe Popi et publie la bande dessinée Cosmic Dragon.
La Niña de fuego , son deuxième long métrage, remporte, entre autres récompenses, La concha de oro au Festival de San Sebastian en 2014.
"Il y a une scène dans La Niña de fuego , dans laquelle le personnage d'Oliver explique pourquoi en Espagne la corrida est encore largement accepté par la population. L'Espagne est un pays où le conflit entre le rationnel et l'émotif n'est pas encore complètement résolu, d'où la fascination pour le portrait de la lutte entre l'instinct et la raison qui a lieu dans les arènes.
"Carlos Vermut possède ce sens hors du commun de l'ellipse : les personnages et histoires cohabitent et évoluent dans une narration pleine de coupures, ce qui donne l'impression de quelque chose de linéaire, alors que c'est tout le contraire. J'espère que le public rendra justice à La Niña de Fuego qui est, pour moi, la grande révélation du cinéma espagnol de ce siècle."
Propos recueillis par Patricia Baena relevés sur www.cinespagne.com.
Oui, je connais cette ville car je suis venu à Paris plusieurs fois pour des raisons professionnelles. La première fois c'était quand je dessinais des bandes dessinées. Je suis passé par Paris après avoir été à Angoulême. Les trois dernières fois, je suis venu pour le festival Différent, invité par José Maria Riba. Malheureusement, je n'ai jamais eu le temps de profiter vraiment de la ville et je voudrais venir plus souvent et rester pendant un mois pour y vivre.
Avant de tourner La Niña de fuego et Diamond Flash, mon premier long-métrage, j'avais peur de la direction d'acteurs. Je viens du monde de la bande dessinée et j'avais entendu parler d'expériences négatives de tournages. Le travail avec eux a été très facile et agréable, pas du tout traumatique.
Je pense que ces acteurs merveilleux ont quelque chose en commun qui m'a aidé à travailler. Leur âge et origine n'ont pas changé grand chose, j'ai eu confiance en leur talent.
La Niña de fuego dévoile la forte influence que la culture japonaise a sur votre imaginaire cinématographique. Quels sont vos réalisateurs japonais préférés ?
En effet, je me sens très proche du cinéma japonais parce que j'y retrouve certaines de mes obsessions de cinéaste, notamment la présence d'un côté obscur et farfelu dans les récits filmiques. Je m'intéresse beaucoup à la tendance du peuple japonais à occulter les sentiments, les désirs et les émotions.
Mes réalisateurs préférés sont Nagisa Oshima, Teshigahara Hiroshi, Kurosawa, Kiyoshi Kurosawa, Takashi Miike et Takeshi Kitano.
sort en France avec le titre éponyme de la chanson de Manolo Caracol. Comment est née l'idée d'inclure cette musique qui "hispanise" d'une certaine manière le film pour le public français ?
Ce fut un hasard ! Honnêtement, je n'avais pas pensé à cette chanson à l'écriture du scénario. Dans la première version, Bárbara allait dans un karaoké et chantait la chanson pop Aprendiz de Malú. Nous nous sommes rendus compte par la suite qu'il était très difficile d'obtenir les droits de cette chanson. De plus, il était plus intéressant de montrer le personnage de Bárbara chez elle dans une sorte de réclusion permanente. J'ai donc fini par trouver cette chanson de La Niña de fueg , en découvrant une version moderne de Pony Bravo, intitulée
Même si La Niña de fuego commence comme un film noir classique, il finit par parler de la crise parce qu'il se situe dans l'Espagne de 2014, et pas dans un passé lointain ou un lieu indéterminé. À travers cette histoire de chantage, je voulais réfléchir à notre servitude à l'argent et à la manière dont nous portons préjudice aux autres afin de nous enrichir.
En Espagne, nous nous sommes rendus compte tout d'un coup que le capitalisme était la pire des idées. Nous ne pensions pas cela avant, quand la crise affectait d'autres pays et pas le nôtre. Peu à peu, nous réalisons à quel point nous sommes coupables et responsables de ce qui nous arrive et comment nous pouvons changer la situation.
Dans le film, les personnages ne sont pas conscients non plus de ce qu'ils provoquent ; ils obtiennent de l'argent et ne se posent pas trop de questions. Il nous arrive un peu la même chose tous les jours. Nous sommes entourés de biens et nous ignorons à quel prix nous les possédons.
Mon idée, c'était de situer les personnages du film dans le contexte socioculturel actuel et de ne pas éviter le thème de la crise même s'il n'est pas évoqué directement. Je pense que la crise espagnole ne parle pas seulement de l'Espagne, mais de l'Occident en général.
Contrairement à vos courts-métrages et bandes dessinées, comme la dernière intitulée Cosmic Dragon, vos long-métrages expriment une vision plus obscure et tragique. Comment le format ou le support délimitent-ils la nature même du message ?
Je dois avouer que je n'étais pas conscient de cet aspect mais c'est vrai que ma troisième bande dessinée est une adaptation d'une comédie et la quatrième et dernière a été pour moi un "divertissement" qui n'exclut pas pour autant un côté tragique de l'humour.
C'est exact. Mais, je n'ai jamais été conscient de cette différence de ton entre mes bandes dessinées et mes long-métrages parce que je n'ai jamais tracé de frontière dans la création, le support étant complètement circonstanciel.
J'ai également remarqué que dans la violence est montrée avec beaucoup plus de distance et d'humour et de manière moins explicite que dans Diamond Flash.
Je crois que les limites de l'humour sont tracées par ceux qui ont souffert de la violence. Pour les autres, c'est difficile de tracer ces limites et de se demander : de quoi et de qui pouvons-nous rire ? Quelle est la limite de la violence ?
Dans
La Niña de fuego , j'ai montré une violence plus implicite non seulement à cause d'une position morale, mais surtout parce que la violence extrême est une composante narrative qui devient encore plus brutale si elle n'est pas directement visible. On ne voit jamais les mauvais traitements dont est victime Bárbara après avoir passé la porte du Lézard noir, mais ses bandes plâtrées cachent des blessures qui doivent être très graves.
Le Lézard noir est une référence freak et personnelle au cinéma et à la littérature japonaise. Il y a un livre très connu qui s'appelle Le Lézard noir.
L'acteur travesti japonais qui incarne le personnage de femme fatale me paraît génial et en plus, dans le roman, on ne se sait pas s'il s'agit d'un homme ou d'une femme ! À la fin de La Niña de fuego , j'utilise une chanson de ce film, reprise par le groupe Pink Martini, The Song of The Black Lizard.
Pourquoi Bárbara décide d'ouvrir la porte du Lézard noir en sachant les dangers atroces qui l'attendent ? Que symbolise pour toi ce motif de la porte qui apparaît de manière récurrente au cinéma, par exemple dans Le Secret derrière la porte de Fritz Lang, The Shining de Stanley Kubrick ou dans les films de David Lynch ?
En écrivant le scénario du film, Bárbara m'est apparue comme un personnage très puissant qui utilise la soumission comme une arme pour atteindre ses objectifs. Cette idée de la soumission comme une force m'a donné celle de la violence qui se cache derrière la porte. Je crois qu'il y a quelque chose de terrifiant dans l'idée d'une porte fermée, le conte de Barbe Bleu parle de cela. Il y a aussi une scène de Twin Peaks : Fire Walk with Me de David Lynch, que je trouve très angoissante : c'est celle où Laura peint une porte fermée dans sa chambre et, à un moment donné, Laura se réveille et la peinture représente une porte ouverte. L'image de cette porte provoque en moi une panique totale.
Il est certain qu'il y a aujourd'hui des jeunes réalisateurs comme moi qui se mettent à faire des long-métrages, sans faire appel à des grosses boîtes de production. C'est important que les réalisateurs puissent envisager la possibilité de réaliser des long-métrages avec peu de moyens parce qu'on apprend beaucoup plus dans un long que dans un court, même si les deux expériences sont merveilleuses. Je suis optimiste quant à l'avenir du cinéma espagnol : pour que le cinéma aille bien il faut qu'on le veuille. S'il n'y a pas des gens optimistes qui osent faire des films, personne ne pourra dire que le cinéma espagnol se porte bien. Il faut donc être optimiste.
Magical girl, le titre original, de ce deuxième long-métrage de Carlos Vermut sort sur les écrans sous le titre La Niña de fuego, chanson éponyme d'un ancien chanteur de flamenco, Manolo Caracol. Pour le réalisateur l'idée est venue avec "Une découverte d'une version moderne de Pony Bravo". Le titre original faisait référence aux personnages de mangas et correspondait parfaitement au thème du film. Tout au long ce long métrage le réalisateur ne cache pas son attrait pour le cinéma japonais.
Si la construction du scénario reste très inventive, sans être toutefois d'une extrême complexité, elle n'en demande pas moins une attention particulière pour tenter de trouver, ou pas, les liens qui unissent les principaux protagonistes. Jusqu'à la dernière pièce manquante d'un puzzle géant.
Il est question de la crise en Espagne, avec entre autres la vente de livres dont le poids fait la valeur au détriment du contenu. L'anéantissement de tout un système éducatif.
La photographie blafarde et les décors minimalistes accentuent une impression de froideur implacable. La caméra s'attarde à peine sur des lieux de vie impersonnels. La réalisation de Carlos Vermut, récompensée aux derniers Goya, ne manque pas d'effets, avec entre autres de nombreuses ellipses particulièrement réussies. "Un sens hors du commun" selon Pedro Almodóvar.
Dans l'une des dernières scènes, l'un des principaux protagonistes enfilera chemise, cravate, et costume de ville avec la méticulosité d'un toréador. " L'Espagne est un pays où le conflit entre le rationnel et l'émotif n'est pas encore complètement résolu, d'où la fascination pour le portrait de la lutte entre l'instinct et la raison qui a lieu dans les arènes" a déclaré le réalisateur.
Dans un casting restreint, Luis Bermejo, Israel Elejalde et José Sacristán sont tous trois excellents. La très belle et convaincante Bárbara Lennie a, quant à elle, reçu le Goya de la meilleure actrice. Une autre récompense et non des moindres pour ce film, le prix du Jury Jeune au Festival du Cinéma Espagnol de Nantes.
La première sensation ressentie à la sortie de la salle est d'avoir vu un film d'un genre tout nouveau, à nul autre pareil.
Je reste à la fois fasciné, asphyxié et tout a fait convaincu. Un film qu'il est difficile de conseiller, mais un très grand moment de cinéma en ce qui me concerne.