A l’occasion de la sortie de son film « Le Tout Nouveau Testament » dont notre avis est disponible ici, nous avons eu la chance de rencontrer Jaco Van Dormael, réalisateur belge hors cadre, à l’origine notamment du très bon Mr. Nobody.
Le film nous fait poser beaucoup de questions sur votre rapport à la religion, êtes vous croyant ?
Jaco Van Dormael : Je ne suis pas croyant mais je trouve que c’est chouette pour ceux qui le sont car je crois que ça donne une force. Je suis plutôt quelqu’un qui aime le doute et je crois dans le doute. Ici, je ne voulais pas faire un film sur la religion mais je voulais plutôt me servir du pitch. Le bouquin la bible ou le Nouveau Testament, est bien écrit.. On s’en est servis comme si on prenait un conte fée pour en faire une nouvelle version, décalée, un nouveau conte qui parle d’autre chose mais aussi des femmes puisqu’elles ne disent que 6 phrases dans la Bible ou le Nouveau Testament… C’est plus en correspondance avec ce que je vis maintenant… Et si Dieu avait été une femme ? Et si Dieu avait eu une fille ?
Quels sont les origines du projet et est-ce que toutes les idées visuelles étaient déjà présentes à l’écriture ?
Le cinéma est un art collectif, c’est ça qui est chouette : on a écrit l’histoire à deux avec Thomas Lunzic. Un scénario, ce sont des images qui sont là et qu’il faut bien écrire : les dialogues et voix-off peuvent être très littéraires mais les mots qui décrivent ce qu’on voit et ce qu’on entend sont assez plats. Moi quand j’écris, j’essaie de décrire des plans qui sont en perspective, montés et rythmés. Ce qui est chouette c’est que je travaille avec des gens et que ça devient beaucoup mieux : il y a des acteurs en chair et en os qui arrivent, il y a un chef-op’, puis des rails, des clous, de la peinture, tout d’un coup ça devient concret. Chacun amène quelque chose que je n’aurais pas pu anticiper, des couches de compréhension et de perception en plus. Un film est une symphonie où plein de gens jouent en même temps : on dit « un film de » pour le réalisateur, mais c’est « un film de » lui et de tous les gens qui l’ont fait.
Par rapport au casting il y a à peu près tous les grand noms du cinéma belge, il manque juste Bouli Lanners…
Il n’était pas disponible ! (rires)
Justement comment avez-vous fait pour réunir tout ce monde-là ? Avez-vous écrit le rôle de Dieu en pensant à Benoît Poelvoorde ?
Quand j’écris je ne pense jamais à des comédiens parce que s’ils disent non je suis fichu. J’essaie d’imaginer des visages flous et quand un comédien me dit oui, je réécris pour lui et je lui fais un costume sur mesure.
La Belgique c’est un petit village ! On se connait bien! J’avais envie de travailler avec des amis, et dans le film y a beaucoup d’amis avec qui je travaille depuis longtemps, les techniciens, le chef-op’ que je connais depuis qu’il a 18 ans, la maquilleuse et l’ingénieur du son avec qui j’ai fait mes premiers courts-métrages… Y aussi des acteurs avec qui je n’ai jamais travaillé mais que je connais depuis longtemps, Benoit Poelvoorde depuis C’est Arrivé Près De Chez Vous, il était dans la salle de montage à côté de celle de Mr Nobody, j’allais frapper pour lui demander de mettre un peu moins fort ! (rires) Yolande Moreau je la connais depuis qu’elle a 20 ans, on était dans le « Théâtre Pour Enfants » où était déjà Didier De Neck qui joue celui qui suit les étourneaux.
Je me suis dit que j’allais mettre tous ces amis venant de différents univers (théâtre, ciné..), connus ou pas connus, ensemble, mélangeant alors accents et origines pour un film d’amis qui ressemble à ce bric à brac que Dieu a créé avec Bruxelles. La seule que je ne connaissais pas c’était Catherine Deneuve qui a dit oui tout de suite.
Elle a dit oui à tout ? Même pour tourner avec un Gorille ?
Oui, je crois que c’est ça qui l’intéressait, c’est quelqu’un qui n’a pas froid aux yeux. Elle a dit oui à tout, aucune résistance. Je n’avais pas encore déterminé qui allait jouer le rôle au moment où je l’avais vu dans une émission, où elle intervenait pour le mariage pour tous. Elle disait « Ça ne regarde personne, il n’y a pas de formes d’amour acceptables et inacceptables. Les gens qui s’aiment, s’aiment. » En tant qu’icône du cinéma français je trouvais qu’elle n’avait pas froid aux yeux de dire ça. Je me suis alors dit qu’elle serait pas mal en Martine, la femme délaissée qui préfère un gorille, plus tendre et protecteur que son mari… Sur le plateau ça a été quelqu’un de très drôle, avec un sens de l’humour incroyable, qui n’avait peur de rien. Le premier jour elle avait la scène d’amour avec ce jeune homme et je lui disais « Catherine, si vous voulez vous pouvez garder une chemisette » et elle me répondait tout de suite « Jaco, je ne fais pas l’amour en chemisette !« . Elle a peur de rien, elle y va à fond, c’est une très grande comédienne et quelqu’un de très drôle dans la vie.
Pourquoi avoir abordé des thèmes aussi importants que la mort, la vie, la religion… Avec l’enfance ? D’ailleurs quel est votre rapport à l’enfance ?
Ici, chacun des personnages a été un enfant et porte en lui l’enfant qu’il était. Et cet enfant de temps en temps fait *toc toc toc* « N’oublie pas qu’on avait dit que t’aurais pas une vie de merde ! » (rires) Chacun porte en lui l’enfant obsédé, assassin, mignon ou qui a mal. L’enfance c’est l’âge des cruautés, des grandes perceptions mais aussi des grandes douleurs. Je trouve que c’est génial d’aborder tout ça sur le thème de la comédie, notamment la mort, je trouve que c’est toujours chouette à rappeler qu’on est mortels. Tous les jours il est temps de faire quelque chose : la seule richesse qu’on ait c’est les minutes ici, elles sont précieuses. Le paradis est ici, après y a rien, t’attends pas à quelque chose de chouette après, c’est maintenant !
Le film dégage quelque chose d’optimiste. L’êtes-vous ?
J’ai l’impression oui… Du moins tant que je suis vivant ! (rires) Je sais que ça va finir mal mais avant la fin je pense qu’il y a moyen de s’amuser !
Vous mélangez souvent les genres dans vos films, d’où vous vient cette volonté de ne pas inscrire vos films dans une case précise ?
C’est emmerdant pour la sortie du film! (rires) Le fait de mélanger les types de perception, je trouve que ça élargit le champ des perceptions : passer de quelque chose de grave à la comédie permet d’en rire, d’aller plus loin. Et le rire amène quelque chose de poétique puisque ça devient quelque chose de décalé : le fait d’alterner comique-poétique-dramatique permet de prendre du recul et rire…
Le cinéma français est populaire là où le belge prend plus de risques. Quel regard portez-vous sur le cinéma belge et le cinéma français ?
Des deux côtés il y a des cinéastes, c’est ce qui fait que ça se ressemble. Ce qu’il n’y a pas en Belgique c’est une industrie : si une personne dit « On doit mettre un truc dans le tuyau » il n’y a pas de tuyau ! Personne n’attend rien de nous, donc on fait les films qu’on a envie de faire. En France, certains cinéastes font de même, mais il y a aussi les « films de tuyau » .J’ai commencé à être libre quand j’étais mon propre producteur. Les producteurs ont le Final Cut. Au final je trouve qu’être réalisateur mais aussi producteur ça fonctionne assez bien ensemble. Je sais où va l’argent, où j’ai besoin d’aide… Pour ce film, au début je n’étais pas payé ni en tant que producteur, ni en tant que réalisateur, ni rien. J’ai pris tous les risques mais j’avais le plaisir de faire ce film. A la moitié du tournage on a trouvé de l’argent et à la fin j’ai été payé quand même. J’ai des équipes assez réduites et des moyens bricolés, mais ça coûte quand même cher. J’aimerais faire du cinéma comme un pianiste ferait de la musique. Si à chaque fois qu’il joue du piano il devait passer à la banque voir s’il peut… (rires)
Le fait de dépeindre Dieu comme vous l’avez fait dans le film, vous n’avez pas eu des réticences de producteurs ?
J’étais mon propre producteur donc j’étais plutôt d’accord avec moi même en me disant.. bon on va prendre tous les risques, aucun producteur n’était assez fou pour faire ça… j’étais prêt à perdre de l’argent. (rires). Je n’ai pas chercher à que ce soit provocateur c’est plutôt un conte. Je pense que si le pape voit ça il va bien rigoler, parce qu’il n’est pas con. (rires) Je pense que les non croyants peuvent aussi parler de ces choses là.
Les scènes de voix-off sont très importantes dans le film. Comment est-ce que vous l’utilisez à juste dose et est-ce un moyen pour vous de communiquer directement avec le public ?
J’ai toujours aimé travailler avec la voix-off depuis un court-métrage que j’avais fait en 1982, Toto Le Héros aussi. Mais là c’était plutôt une voix-off qui narrait quelque chose qu’on ne voyait pas, ce qui créé un décalage entre ce que tu vois et ce que l’on raconte, ça amène une sorte de double perception.
Ici, l’esprit de la voix-off vient plutôt du fait que j’ai travaillé avec Thomas Lunzic qui est un écrivain romancier très fort pour écrire des voix-off assez littéraires. Je me suis dit que ça pouvait être intéressant de voir des gens se tourner vers la caméra et raconter des choses au spectateur, les yeux dans les yeux comme dans un livre. Les enfants parlent comme un livre, ils parlent pas avec un langage enfantin. C’est de la littérature, on sait qu’on n’est plus dans le réel, comme avec le décor qui n’a pas toujours l’air réel. Mais le jeu est réel, il y a une certaine frontalité, une théâtralité. On s’est amusés à mettre une symétrie partout comme la représentation de la religion (églises, tableaux…) Ça donne une image plieuse de choses très banales.
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Comment avez-vous choisi les musiques intérieures aux personnages et pourquoi des musiques classiques ?
C’est de l’opéra et du baroque, ou de la chanson française des années 40. J’avais envie que la musique intérieure soit plus large que ce qu’on voit à l’extérieur du personnage. Quand on voit un petit bonhomme dans une caravane, on se dit que son intérieur ne doit pas être grand et quand tu rentres c’est des musiques baroques, de la solitude. Et à l’intérieur du personnage, tu te dis « ce mec est magnifique, il est grandiose » alors qu’à l’extérieur il n’a l’air de rien. Ce sont tous des perdants magnifiques, des gens qui croient qu’ils sont passés à côté de leur vie alors qu’ils font enfin quelque chose.
Mr Nobody était votre première expérience internationale. Vous revenez à un cinéma belge, assez classique. N’aviez-vous pas envie de continuer l’expérience internationale ?
Mr Nobody était en anglais, une autre langue qui correspondait bien au film. Entre les deux j’ai fait une expérience théâtrale qui s’appelait Kiss And Cry, un long métrage éphémère d’1h20 fait sur scène, avec des décors pas plus grand qu’une table, où les personnages sont des mains et des jouets. L’équipe est sur scène et on fait avec très peu de moyens un long-métrage. Ça m’a ouvert l’esprit sur comment raconter des choses avec une narration plus qu’avec du réalisme. Pour survoler en hélicoptère Bruxelles le soir sous la pluie, on mettait des boîtes en carton et on passait au dessus… On sait que c’est pas vrai mais on y croit encore plus, et ça marchait bien avec les voix-off. On est dans l’univers du conte, on est dans l’univers de ce que l’on croit ou pas. C’est une histoire de perception.
Au début du cinéma il y avait les frères Lumière qui cherchaient à faire croire au réel avec un train qui rentre vraiment, les rues de Paris… Là où Melies cherchait à ce qu’on n’y croyait pas, on est dans un conte. Entre les deux il y a la perception quand on ne te dit pas que c’est pas vrai mais on ne te montre pas le réel non plus. Le cinéma est très apte à créer grâce à deux sens, à travers l’image et le son, qui peuvent résonner avec les odeurs, le toucher.. C’est fascinant.
D’ailleurs Mr. Nobody est devenu assez culte après son échec en salles…
C’est étonnant ouais ! C’est grâce au piratage… Sinon personne ne l’aurait vu. S’il n’est pas en salles, qu’on ne peut pas l’acheter… Et puis je crois que le film correspondait plus à un public jeune ou qui joue aux jeux-vidéos pour qui c’est assez logique de télécharger…
Comme je disais plus tôt, pour Mr. Nobody il n’y avait pas de case où le faire rentrer : c’était un film en forme de fleur dans un tuyau carré, ça ne rentre pas. Ce genre de film est dur à monter et dur à sortir… Mais pas dur à faire !
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