Lussas, Ardèche. Un petit village loin de tout, au milieu de nulle part. Quelques maisons perdues dans les collines. Les grillons, les cieux étoilés, les arbres, la pierre… et le cinéma.
Comment le cinéma est-il arrivé jusque là ? A dos de cheval! Si le festival de Lussas existe depuis trente ans, à l’origine, il se nommait “Festival Film & Cheval” et réunissait aussi bien les amoureux des équidés et les passionnés de septième art. Curieuse idée? Pas tant que cela : Rappelons-nous qu’en étudiant le mouvement des chevaux par la photographie, Muybridge et Marey ont ouvert la voie à l’invention du cinématographe.
Aujourd’hui, ce sont les Hommes qui sont au centre de ce festival, au coeur du mois d’août, sous l’impulsion de Jean-Marie Barbe et de sa fantastique équipe de passionnés du documentaire de création.
Lussas, c’est le Village documentaire, extraordinaire structure qui accueille aussi bien la production, la distribution, la formation et la création de films. Les pôles sont riches, nombreux et en constante évolution. Et d’autres projets encore plus ambitieux, encore plus fous, sont à l’étude. Nous y reviendrons plus tard.
Lussas, c’est aussi et surtout des rencontres. Artistiques, humaines, en toute simplicité. Pas de smokings ou de robes de soirée, chapeaux et lunettes et de soleil sont de rigueur. Pas de tapis rouge, de strass et de paillettes, pas de VIP prioritaires. Les producteurs se mêlent aux spectateurs, les bénévoles aux techniciens. On se croise, on se salue, on se sourit, on se rencontre autour d’un verre au Green Bar ou au Blue Bar. On savoure des macarons et des crêpes maison avant une séance en plein air. On se régale de délicieux samossas en faisant un tour à la librairie, avant d’aller à la Maison du Doc. On se promène, on regarde des films, on vit.
Le séjour est bref – seulement trois jours – mais il y a tant de choses à découvrir, à dire ! Allons à l’essentiel.
Lundi 17 Août 2015 : Des pêcheurs et des étoiles
Dans la Salle SCAM nous attend Christophe Postic, co-directeur artistique du festival. Il nous fait la présentation du film portugais Rabo de Peixe (Le Chant d’une île). Le documentaire accompagne sur deux années un groupe de pêcheurs aux Açores. Tourné de manière intimiste, caméra à l’épaule, le film saisit avec sincérité le quotidien éprouvant de ces hommes menacés par la pêche industrielle. Le groupe est chaleureux, drôle, touchant.
Techniquement, le film souffre de défauts qui desservent le propos. On déplore la mauvaise qualité du son (voix et bruit des vagues saturés) et de l’image (manquant de contraste). Ceci n’empêche pas les cinéastes de nous offrir quelques plans d’une grande beauté. Et ceci n’empêche pas non plus le film de nous captiver. Le sujet et l’approche sont tellement passionnants, tellement vibrants d’humanisme que ces problèmes se transforment en petits détails vite oubliés. Joaquim Pinto et Nuno Leonel livrent une oeuvre dense, vivante et comme les filets qui plongent dans l’eau salée, le spectateur plonge tête la première dans ce petit monde où chacun se sert les coudes, où chacun se construit avec son histoire et un métier en péril.
Le soir, on fuit les écrans. On court au camping. On s’allonge sur le sol, un bon plaid pour nous tenir chaud. Et on lève la tête vers le ciel. Vers les étoiles. En cette période de l’année, les étoiles filantes sont nombreuses. Les constellations brillent, fascinent. On observe, on discute, on rêve. On se fait des films sur l’Univers, sur nous, sur la Vie. Lussas, c’est également ça. La nuit étoilée, la fraîcheur du soir, les brins d’herbe qui chatouillent les orteils. Les yeux grands ouverts sur l’Ecran infini que sont les cieux, la Voie Lactée et ses innombrables mystères.
Mardi 18 Août 2015 : Man Ray et Tënk
Christophe Postic nous invite cette fois-ci à nous laisser porter par En quête d’Emak Bakia, un film espagnol doté d’une certaine « poésie ». Le codirecteur artistique du festival avoue avoir rechigné à utiliser ce mot, un peu galvaudé aujourd’hui à force d’être employé à tort et à travers. Mais dans le cas présent, c’est indéniablement ce qui caractérise le mieux cette oeuvre insolite qui prend la forme d’une quête. Point de départ : Man Ray, ses films et une maison. Point d’arrivée : l’inconnu.
Le réalisateur Oscar Alegría nous entraîne dans son cheminement, ses tracas, ses découvertes, ses erreurs, ses émotions. Avec une photographie envoûtante, colorée et presque palpable, il filme tout. Une tombe, une photographie, des paupières, une maison, la mer, des êtres humains – tout. Un grand film-poème. En hommage, en souvenir à Man Ray. Au surréalisme, à la vie, au temps et aux images. Créer pour découvrir, découvrir pour créer. Cette oeuvre est un essai d’art, une parole, un regard. Un instant suspendu.
Ce moment de grâce ne fait pas oublier que les temps sont difficiles pour les cinéastes. Le documentaire de création est menacé. Contexte économique délicat, restrictions budgétaires, désengagement des chaînes de télévision…, font que la situation est particulièrement alarmante.
Mais à Lussas, il y a de l’espoir. Et cet espoir, c’est la lueur invincible dans le regard de Jean-Marie Barre. Dans le regard de tous. Il est dix-neuf heures. L’heure du Tënk.
Qu’est-ce donc ? Une expression signifiant « Résume-moi ta pensée », en wolof – et désormais, le nom de la première plateforme en ligne qui promeut le documentaire de création.
Projet ambitieux mais non sans risque, Tënk s’engage à diffuser et à produire les films d’auteurs. A diffuser des coups de coeur dénichés en festival, à permettre l’échange entre spectateurs, réalisateurs, producteurs, distributeurs… Tënk, c’est l’avenir du documentaire de création. L’idée est de continuer à bénéficier de l’appui vital des structures culturelles (CNC, fonds européens…) mais de s’affranchir des financements des chaînes de télévision en s’appuyant sur le financement participatif du public.
Le documentaire a besoin de nous, de vous – de tous. Tënk est la solution. Un seul clic, un seul lieu pour soutenir ce magnifique projet : http://fr.ulule.com/tenk/.
Mercredi 19 Août 2015 : Passion et production
Dans la Salle des fêtes, rencontre avec Fabrice Marache, Raphaël Pillosio, producteurs de L’Atelier documentaire, société de production implantée à Bordeaux et Cécile Lestrade, productrice d’Alter Ego Production, située à Orléans. Ils sont souriants, chaleureux, vifs. La séance promet d’être passionnante.
Les trois intervenants se présentent, font part de leurs derniers projets ainsi que de la situation critique de la production documentaire en France et en Europe.
Le film de L’Atelier documentaire commence : Le Printemps d’Hana, réalisé par Sophie Zarifian et Simon Desjobert.
Un groupe de jeunes militants, au Caire. En pleine révolution égyptienne, Hana se confronte à la population, défend ses idées, agit en risquant sa vie. Le long-métrage suit des personnes engagées et courageuses, caméra épaule. Les situations sont marquantes, poignantes et les débats sont pertinents, passionnés. Hanah et ses compères croient en un système éducatif meilleur, en un véritable gouvernement – en un autre monde.
Alter Ego Production nous propose ensuite L’Homme qui n’a pas d’heure, extraordinaire court-métrage de Vianney Lambert de Vincent Reignier, qui dresse le portrait de Dominique, un homme qui a perdu la voix, un homme qui est voué au silence. Sauf, peut-être, par le chant. On le voit retrouver un groupe de gens, tous partiellement aphones, eux aussi. Ils chantent ensemble et c’est terriblement émouvant. Filmé en pellicule et en noir et blanc, le film capte, trouble et passionne. C’est une perle rare, un petit bijou dans le monde des images. Être avec l’homme, être l’homme – par la caméra, par le micro. Saisir un être et dévoiler son âme – le garder en vie, encore et encore.
Les lumières se rallument. La salle est un cocon, un trop plein de sentiments. Les producteurs expliquent, écoutent les questions, répondent avec le coeur. Avec honnêteté, modestie. Tant qu’il y aura des producteurs aussi engagés, aussi sincères et enjoués, le documentaire de création vivra. Cette rencontre le confirme. Alors, on applaudit très fort. Longuement.
Lussas, on en part le coeur serré. On y reviendra. On y a tant appris, on y a rencontré de monde. Ce festival est unique en France. Unique au monde. Il est le coeur du documentaire de création. Il est le foyer des amoureux d’histoires, de vérités, de vies.
Prenez une tente, vos clés de voiture et votre vivacité – à l’année prochaine !