Avec Aleksey Tryapitsyn, Irina Ermolova, Timur Bondarenko,
Les Nuits Blanches du facteur constitue l'occasion pour Andrei Konchalovsky de parler de son pays, la Russie. Il déclare : "La Russie n'est ni pauvre, ni arriérée. C'est un pays médiéval. Encore aujourd'hui. Et c'est tant mieux. Ses traditions, ses conceptions du monde, une voie de développement particulière, c'est cela sa richesse. Nous sommes un peu sauvages, un peu tumultueux, un peu dingues même. Et alors ?"
Habitué des festivals de cinéma, le cinéaste Andrei Konchalovsky a remporté avec Les Nuits Blanches du facteur , le Lion d'Argent lors de la dernière édition de la Mostra de Venise.
Coupés du monde, les habitants des villages autour du lac Kenozero ont un mode de vie proche de celui de leurs ancêtres : c'est une petite communauté, chacun se connait et toute leur activité est tournée vers la recherche de moyens de subsistance.
Le facteur Aleksey Tryaptisyn et son bateau sont leur seul lien avec le monde extérieur et la civilisation.
Mais quand il se fait voler son moteur et que la femme qu'il aime part pour la ville, le facteur décide de tenter une nouvelle aventure et de changer de vie.
Les régions comme celle du film étant coupées de la civilisation sont quelque chose de bien connu en Russie. En revanche, cela n'est pas vraiment le cas pour les autres pays qui n'imaginent pas forcément à quel degré d'archaïsme ils vont assister à la vision du film.
Présenter une image inédite de certaines contrées russes au public occidental, tel est l'un des postulats du réalisateur Andrei Konchalovsky, qui souligne : "Je vais montrer mon film aux "acteurs" du village. Je ne pense pas que cela va les intéresser. Mais le public occidental va y trouver un certain intérêt. Ils sont peu familiarisés avec la vie russe. Ils auront du mal à croire qu'il y a des endroits où les gens vivent comme ça."
À l'origine des Nuits blanches du facteur , il y avait cette envie pour le réalisateur d'évoquer un phénomène bien connu en Russie, à savoir celui de ces très nombreux villages coupés du monde à cause de routes impraticables et dont les facteurs sont les seuls relais avec le monde extérieur.
C'est à la suite d'un article sur ce sujet que Andrei Konchalovsky a pu voir sur internet, qu'il a décidé de consacrer un film à ce fait de société. Il a en outre poussé le réalisme jusqu'à exiger de prendre un réel facteur et l'interprète principal du film, Aleksey Tryapitsyn, joue donc ici son propre rôle.
Andrei Konchalovsky, qui a notamment commencé en travaillant comme scénariste pour Andreï Tarkovski, est un grand amateur du cinéaste français Robert Bresson à qui il emprunte cette particularité de n'avoir employé ici que des acteurs non-professionnels. Hormis la comédienne de théâtre Irina Ermolova, les autres personnages sont interprétés par des acteurs débutants comme Timur Bondarenko découvert dans une école de théâtre à Moscou ou tout simplement par différents habitants de la région d'Arkhangelsk où le film fut tourné.
A casting atypique, préparation atypique.
Andrei Konchalovsky n'a pas procédé de manière traditionnelle quant à la préparation du film notamment autour de la question du scénario, puisqu'il déclare : "Nous n'avions pas de scénario. Nous l'avons "écrit" au moment du montage."
Le cinéaste a planté sa caméra dans la région de l'Arkhangelsk, au nord de Moscou, qui est également appelée "La ville de l'archange" en référence à l'arrivée en Russie du premier Français, Jean Sauvage, en 1586. Le choix de cette province vient du fait que l'interprète du facteur du film, Aleksey Tryapitsin que le réalisateur a longtemps cherché à travers tout le pays, est originaire de ce coin de Russie.
Un nouveau regard d'Andreï Konchalovski sur des contrées reculées de l'actuelle Russie. Loin de toute notre modernité. Il déclare : "Je vais montrer mon film aux "acteurs" du village. Je ne pense pas que cela va les intéresser. Mais le public occidental va y trouver un certain intérêt. Ils sont peu familiarisés avec la vie russe. Ils auront du mal à croire qu'il y a des endroits où les gens vivent comme ça."
Le film peut paraître long, certaines scènes répétitives. Il est toutefois difficile de rester insensible devant la beauté envahissante de cette nature qui semble ici comme un rempart majeur à toute modernité excessive.
La direction de ces acteurs qui jouent leur propre rôle est minutieuse. Le facteur principal protagoniste, est à la fois messager, confident et parfois ami. Un homme au passé incertain, hanté par la vision d'un magnifique chat gris. Le scénario, écrit au moment du montage, oscille entre rêve, fiction et pur documentaire.
La vodka et ses ravages, la corruption, de vieilles légendes avec une rivière hantée par Kikimora, une sorcière qui enlève les enfants, s'opposent à la modernité de la ville la plus proche. Son centre commercial, des cocktails pendant "l'happy hour", des trains qui font trembler les lustres des plus proches habitations, un camp militaire doté des dernières inventions technologiques, sont comme autant de reflets de la Russie actuelle sur laquelle le réalisateur pose une caméra bienveillante. Y compris dans sa dernière image.
La pauvreté d'un côté, les effets bruyants du capitalisme de l'autre. Entre conte et réalité, le film triomphe par sa seule photographie, et la beauté de ces paysages qui s'imposent face à une certaine fatalité qui pèse sur ses habitants.
Le mot de fin au réalisateur : "La Russie n'est ni pauvre, ni arriérée. C'est un pays médiéval. Encore aujourd'hui. Et c'est tant mieux. Ses traditions, ses conceptions du monde, une voie de développement particulière, c'est cela sa richesse. Nous sommes un peu sauvages, un peu tumultueux, un peu dingues même. Et alors ?"
S'il s'inscrit dans la grande tradition du cinéma russe, Andrei Sergueevitch Mikhalkov aurait tout aussi bien pu devenir musicien. Se destinant en effet à la carrière de pianiste, il suit pendant dix ans les cours du Conservatoire de Moscou, jusqu'à sa rencontre avec Andreï Tarkovski, pour lequel il écrit plusieurs scénarios, notamment L'Enfance d'Ivan et Andreï Roublev.
Prenant le nom de son grand-père maternel, le peintre Piotr Konchalovski, le frère aîné de Nikita Mikhalkov, qui deviendra cinéaste lui aussi, réalise en 1965 Le Premier Maître, qui relate les débuts d'un jeune instituteur envoyé en 1923 dans un village de Kirghizie. Le film est célébré par les autorités soviétiques, ce qui permet sa découverte en Occident, mais ces mêmes autorités interdisent Le Bonheur d'Assia, magnifique tableau de la vie paysanne russe, qui demeurera inédit jusqu'en 1988.
Après notamment une adaptation de Tourgueniev (
Nid de gentilshommes, 1969) et une autre de Tchekhov ( Oncle Vania, 1970), Sibériade, vaste fresque évoquant la guerre que se livrent deux familles dans la Sibérie des premiers temps de la Révolution, obtient le Prix Spécial du Jury à Cannes en 1979. La distinction offre à Konchalovsky de partir pour les États-Unis, où il réalise plusieurs films, parmi lesquels Maria's Lovers, avec Nastassja Kinski, et Runaway Train. Il retrouve l'histoire de l'Union soviétique avec Le Cercle des intimes (1991), portrait du projectionniste particulier de Staline, avec Tom Hulce (Mozart dans Amadeus) et Bob Hoskins dans le rôle de Beria.
De retour dans son pays, il revient à ses premières amours de cinéaste :
Riaba, ma poule (1994) est la continuation du Bonheur d'Assia ; La Maison de fous (2002) se situe dans un hôpital psychiatrique près de la frontière avec la Tchétchénie, dont les malades sont livrés à eux-mêmes par les médecins lorsque la guerre de 1995 éclate ; Les Nuits blanches du facteur , dans les salles françaises le 15 juillet, associe fiction et documentaire avec une virtuosité constante.
La trajectoire d'Andrei Konchalovsky est celle d'un cinéaste surdoué, qui a su passer d'un registre à un autre, d'une super-production avec vedettes à un film bricolé en toute modestie, de la Sibérie à Hollywood et retour, sans jamais rien perdre de sa maîtrise et de sa singularité. Son œuvre est une des plus passionnantes et originales du cinéma des cinquante dernières années.