La Nuit du Chasseur (L'ombre du mal)

Par Olivier Walmacq

genre: inclassable
année: 1955
durée: 1h33

l'histoire : Un prêcheur inquiétant poursuit dans l'Amérique rurale deux enfants dont le père vient d'être condamné pour vol et meurtre. Avant son incarcération, le père leur avait confié dix mille dollars, dont ils ne doivent révéler l'existence à personne. Pourchassés sans pitié par ce pasteur psychopathe et abandonnés à eux-mêmes, les enfants se lancent sur les routes.  

La critique :

Charles Laughton est surtout connu en tant qu'acteur du noble cinéma britannique. Il commence sa carrière à la fin des années 1920 dans des courts-métrages muets. Malgré son physique ingrat, Charles Laughton va imposer sa stature au fil des années. C'est ainsi qu'on le remarque dans L'Île du Docteur Moreau (1933), Les Révoltés du Bounty (1935), Quasimodo (1939), ou encore dans La Taverne de la Jamaïque (toujours en 1939). Figure respectée et incontournable du Septième Art, Charles Laughton participe à l'élaboration et à la production de plusieurs films.
En 1955, il décide de se lancer dans la réalisation de La Nuit du Chasseur, l'adaptation d'un roman homonyme de David Grubb, publié en 1953, et lui-même inspiré par les meurtres d'un serial killer, Harry Powers.

La Nuit du Chasseur restera le seul et unique film tourné par Charles Laughton. Grand amoureux du cinéma expressionniste allemand, Charles Laughton est un fervent admirateur de Friedrich Wilhelm Murnau (Nosferatu le vampire, L'Aurore), de Fritz Lang (Metropolis, M le Maudit, Le testament du Docteur Mabuse), ou encore de Robert Wiene (Le Cabinet du Docteur Caligari).
Charles Laughton nourrit donc de grandes ambitions. Il souhaite réaliser un film hommage à ce mouvement expressionniste, tout en possédant sa propre tonalité. En résulte une oeuvre totalement inclassable, irréelle, limite surréaliste et ésotérique, qui oscille entre plusieurs genres : le thriller, le conte, le fantastique, la tragédie humaine et l'épouvante.

Ne nous y trompons pas. La Nuit du Chasseur fait désormais partie des grands classiques du cinéma hollywoodien. Chef d'oeuvre épuré, le film sera néanmoins boudé et incompris au moment de sa sortie. Ce qui empêchera Charles Laughton de tourner d'autres films. Au niveau de la distribution, le long-métrage réunit Robert Mitchum, Shelley Winters, Lillian Gish, Billy Chapin, Sally Jane Bruce, James Gleason, Peter Graves, Don Beddoe et Evelyn Varden.
Attention, SPOILERS ! Ben Harper (Peter Graves), un père de famille condamné à la pendaison après un braquage qui tourne mal, rencontre dans sa cellule Harry Powell (Robert Mitchum), un prêcheur qui n’a que la parole de Dieu en bouche. Powell s’intéresse surtout au magot laissé par Ben, et, aussitôt libéré, se rapproche de sa veuve, Willa (Shelley Winters), et de ses deux enfants, John (Billy Chapin), et Pearl (Sally Jane Bruce), pour mettre la main dessus.

Willa se laisse séduire, et épouse Powell, tandis que John n’est pas dupe. Un duel s’engage entre Harry Powell et l’enfant. Dans un premier temps, La Nuit du Chasseur se distingue par sa mise en scène et son image en noir et blanc. D'une précision à la fois clinique, chirurgicale mais un brin maladroite, Charles Laughton joue sur les effets de lumière.
Ainsi, la première apparition du sinistre révérend Harry Powell avec les enfants se manifeste par une ombre malfaisante surgissant derrière une fenêtre. Charles Laughton oppose sans cesse ses personnages et son décor, parfois féérique voire onirique, à des jeux d'ombres et de lumière. En l'occurrence, le personnage d'Harry Powell symbolise évidemment le mal, mais pas seulement.

Il est ce loup, ce chasseur et ce prédateur en quête de ses nouvelles proies, deux enfants, John et Pearl. Sans le savoir, Charles Laughton vient d'inventer une nouvelle figure du cinéma : le croquemitaine, ce personnage énigmatique et fallacieux débarquant de nulle part. Cet être perfide, limite obscène, et prêt à toutes les turpitudes pour atteindre son but.
Ce nouveau serial killer, symbole même de la terreur, ne fait pas de prisonniers. Il assassine sauvagement femmes et enfants. Pire encore, cet homme sadique et psychopathe peut prendre la forme d'un véritable Don Juan, flagornant les jolies femmes et chantant plusieurs complaintes funèbres et religieuses pour mieux séduire et appâter. 

Paradoxalement, cette apparence captieuse confère à ce meurtrier une aura unique, à la fois attirante et effrayante. A contrario, les deux marmots symbolisent évidemment la pureté et l'innocence. Loin d'être magnanime, Charles Laughton met les deux moutards à rude épreuve. Devenus orphelins, ils échappent de peu au courroux du tueur en série.
Au détour d'un fleuve, ils sont recueillis par Madame Cooper, une vieille dame qui vit dans une grande demeure isolée au beau milieu de nulle part. Encore une fois, Charles Laughton multiplie les symboles. Après le loup et le chasseur, deux figures incarnées à la fois par l'immense Robert Mitchum, c'est la grand-mère à la fois protectrice et sévère, qui va défendre John et Pearl contre ce tueur abominable. 

Sur ce dernier point, La Nuit du Chasseur prend souvent la forme d'un conte à la beauté envoûtante et fascinante. En vérité, La Nuit du Chasseur repose essentiellement sur cette étrange dialectique entre le bien et le mal, le rêve et la réalité, l'amour et la haine... Un peu à l'image des mains du révérend démoniaque dont les doigts affichent fièrement "Hate" et "Love".
Certes, La Nuit du Chasseur pourrait aussi s'apparenter à un film noir. Paradoxalement, Charles Laughton euphémise son propos via des paysages éclairés, une ambiance parfois bucolique, avec des champs verts boisés et sémillants, et une eau qui coule en abondance. Mieux encore, le film a presque une dimension cosmologique, eschatologique, ineffable et finalement inénarrable, à l'image de cette introduction qui s'ouvre sur une voûte céleste composée de myriades d'étoiles.
En l'occurrence, Charles Laughton exalte notre imagination et bouleverse tous les codes du cinéma traditionnel avec un film atypique, qui a bien mérité son statut de classique du cinéma.

Note: 19/20

Alice In Oliver