Genre : érotique, trash, gore (interdit aux - 18 ans)
Année : 2010
Durée : 1h15
L'histoire : Rafael et Isabelle, un couple aisé et porté sur le libertinage, s'offre quelques jours de vacances à la découverte des îles méditerranéennes. Pour agrémenter leur voyage, ils décident de prendre à bord Lisa, jeune compatriote rencontrée lors d'une soirée. Alors que la croisière commence agréablement, le couple va peu à peu révéler
La critique :
Inutile de vous présenter à nouveau Marian Dora. Le réalisateur allemand commence à vous être familier. De Melancholie Der Engel à Blue Snuff sur Naveton Cinéma (http://navetoncinema.canalblog.com/), et de Cannibal à Debris Documentar sur Cinéma Choc, mon camarade Alice In Oliver et moi-même, nous vous avons présenté la quasi totalité de l'oeuvre singulière de ce cinéaste qui est devenu au fil du temps, la référence du cinéma trash et underground européen, pour ne pas dire planétaire.
Dora, c'est avant tout un style unique et reconnaissable entre mille. Baignés par des couleurs ternes et automnales, accompagnés de musiques grandiloquentes, ses films se déroulent souvent en pleine nature où l'atmosphère étrange d'un certain réalisme poétique est toujours associé à des images crues et insoutenables. C'est un fait, Marian Dora donne dans l'extrême et aucun autre réalisateur ne pousse aussi loin que lui la violence graphique et les performances hardcore à l'image de son acteur fétiche, Carsten Frank.
Si sa filmographie reste évidemment inconnue du grand public, les amateurs de sensations fortes, eux, guettent avec curiosité la moindre information le concernant puisque le cinéaste fait preuve d'une remarquable discrétion sur ses projets à plus ou moins long terme. Sorti en 2010, Reise Nach Agatis reste donc à ce jour le dernier long-métrage en date de Marian Dora.
La question est de savoir si le film se situe au niveau des oeuvres précédentes du maître de l'underground. Et la réponse est clairement non. Oubliez la furia magistrale, les envolées lyriques et trash, les images chocs. Ici, le réalisateur fait preuve d'un manque flagrant d'inspiration doublé d'une timidité dans le propos qu'on ne lui connaissait pas. A croire que Marian Dora a filmé avec le frein à main serré au maximum. Attention, SPOILERS ! Le film s'ouvre sur le meurtre brutal d'une jeune femme sur une plage isolée. Puis, nous faisons la connaissance de Rafael et Isabell, un couple d'allemands aisés d'une quarantaine d'années, qui visitent les îles de la mer Egée.
Au cours d'une soirée dans un bar, le couple, plutôt libéré et libertin, rencontre Lisa, une jeune et belle compatriote. Peu farouche, Lisa se sent immédiatement attirée par Rafael et accepte d'accompagner le couple pour une croisière qui s'annonce idyllique. Au cours de la traversée, Rafael se rapproche de plus en plus de Lisa malgré une réprobation ostentatoirement affichée par Isabell. Un soir, une violente dispute survient entre les trois protagonistes.
Cette dispute provoque dès le lendemain un changement radical d'atmosphère au sein du petit groupe. Isabell et surtout Rafael laissent apparaître leur véritable personnalité et se comportent en aliénés brutaux et lubriques. Ils passent très vite à l'acte en jetant Lisa par dessus bord puis, en la ligotant avec une ligne d'amarrage. Humiliée, violée et torturée, la jeune femme devient un objet de défoulement sadique aux mains des deux psychopathes. En accostant, le couple détache Lisa qui s'enfuit nue dans la nature. La traque peut alors commencer...
Le problème de Reise Nach Agatis, c'est que pendant près de trois quarts d'heure, il ne se passe quasiment rien. Pour un film qui ne dure qu'une heure et vingt minutes, c'est assez problématique. En effet, mis à part les (superbes) paysages de carte postale et le petit jeu de séduction perverse qui s'installe entre les personnages, nous n'avons pas grand-chose à nous mettre sous la dent, sans mauvais jeu de mots. Marian Dora n'aurait-il plus rien à nous raconter ?
Où sont passés le mysticisme destructeur de Melancholie Der Engel et le gore apocalyptique de Cannibal ? Les débordements extrêmes de Debris Documentar ? Disparus. De deux choses l'une : soit le réalisateur a voulu faire une pause de "normalité" dans son parcours artistique en levant considérablement le pied sur les abjections qui caractérisent son cinéma, soit il s'est tout simplement vautré. En effet, Reise Nach Agatis ne réveille le spectateur que durant ses trente dernières minutes, quand le film se mue en cruel survival.
Avant cela, nous avons presque l'impression d'assister à une vidéo de souvenirs que des amis nous auraient rapportés de leurs dernières vacances... Désireux, dans un premier temps, de créer une atmosphère feutrée et cosy, Dora ne lésine pas sur les regards langoureux que s'adressent les protagonistes, les bougies qui tamisent la lumière et les éclairs de lune romantiques. On aurait pu l'accepter si cela avait servi de courte introduction à l'histoire mais là, le réalisateur fait durer l'inaction au-delà du tolérable.
La déception est d'autant plus grande que toujours auparavant, le réalisateur allemand avait su nous procurer des sensations extrêmes en nous envoyant des uppercuts, sinon des missiles, en pleine face. Chacun de ses films réussissait à nous bousculer, nous horrifier, à nous interroger même. Ici, rien de cela. Les émotions sont aux abonnées absentes et malgré sa courte durée, le film se traîne en longueur à tel point que l'on a presque hâte de voir arriver le générique de fin. Dora et son style coup de massue ne sont pas faits pour les bleuettes sentimentales et les aventures au long cours.
Le réalisateur s'avère donc particulièrement inefficace dans ce domaine, ce qui explique que les quarante premières minutes ne suscitent, au mieux, qu'un ennui poli. Et ce ne sont pas les trente dernières minutes qui vont sauver la mise. Bien sûr, la dernière demi-heure, nettement plus trash, relève quelque peu la sauce, mais il n'y a pas non plus de quoi se relever la nuit : un viol soft, quelques humiliations vomitives et urologiques, un découpage de téton (certes ultra réaliste) et une éviscération à la va-vite composent l'essentiel des hostilités. Avec un tel maître de l'horreur hardcore aux commandes, avouez qu'il y a de quoi être frustré. Même l'interdiction aux moins de 18 ans me paraît exagérée.
Un comble quand on connaît le niveau du réalisateur ! Alors que s'est-il passé pour que Marian Dora opère un si net virage ? Accident de parcours, panne d'inspiration ? Ou bien tentative d'incursion dans un cinéma plus grand public (tout est relatif) ? La réponse reste en suspens. Sans pour autant être bâclé, Reise Nach Agatis est indiscutablement l'oeuvre la plus faible de Marian Dora. Mais loin de condamner le réalisateur sur cet échec stylistique, j'attendrai son prochain film pour me prononcer sur un éventuel "déclin". Tout le monde a le droit de faire un faux pas et je veux croire qu'il ne s'agisse juste que de cela.
Cependant, depuis une participation dans le film collégial The Profane Exhibit en 2013, nous n'avons plus de nouvelles de Marian Dora qui n'a plus réalisé de film en solo depuis cinq ans. Où en est-il ? Fidèle à lui-même, il cultive la stratégie du mystère. Wait and see...
Note : ?
Inthemoodforgore