Critique – Cemetery of Splendour

Critique de Cemetery of Splendor, la merveille tant attendu du cinéaste thaïlandais, filmer l'invisible ?

Cemetery of Splendour est le nouveau film de Apichatpong Weerasethakul qui avait obtenu la palme d'or à Cannes en 2008 avec Mon oncle Boonmee. Il concourait dans la catégorie Un certain regard et y a recueilli nombre de critiques fort élogieuses. On retrouve dans ce film quelques thèmes habituels du réalisateur thaïlandais toujours aussi déconcertant.

Critique – Cemetery of Splendour

Le grand sommeil...

On dort beaucoup dans Cemetery of Splendour à l'instar de tous ces soldats recueillis dans une ancienne école reconvertie en hôpital de fortune. Quel curieux virus ont-ils inoculé pour dormir aussi profondément? Nul ne le sait et cela préoccupe peu le cinéaste tant rationaliste. Trouver une explication compréhensible à cet étonnant phénomène filmé avec un naturel assumé va à l'encontre de ce film mystérieux, très lent (le spectateur fait à certains moments, notamment au début des efforts pour ne point succomber lui aussi), à l'exotisme déroutant. Dans Cemetery of Splendour, ce qui intéresse c'est ce qui se passe à l'intérieur de ceux qui dorment, les rêves, l'invisible personnalisé par cette jeune fille que l'on dit médium et qui est capable de lire les vies antérieures des endormis. Très vite, on s'attarde sur un soldat prénommé Itt à qui Jen, une femme handicapée d'une jambe vient consacrer des moments, le lit de ce dernier se trouvant à l'endroit même de son bureau d'écolière. Prétexte pour de nouveau évoquer des souvenirs, par le regard de Jen ou par des dialogues, et faire resurgir l'invisible de cet évocation, simplement par un léger déplacement de la caméra qui filme l'extérieur, les arbres qui bougent secoués par le vent. Tout le début du film se focalise sur ces deux êtres avec quelquefois le réveil temporaire de certains qui sont repris par le sommeil, brutalement, comme le voisin d'Itt qui, en train de manger, plonge soudain la tête dans son assiette.

La présence des vies antérieures où l'invisible réapparaît

Puis Cemetery of Splendour élargit son propos au médium qui discute avec Jen lors d'un moment de repas. Elle évoque en tenant la main de ces soldats endormis leurs vies antérieures, leurs pensées d'alors, leurs actions et là, le visible et l'invisible se mélangent, brouillant encore plus les repères habituels du spectateur, comme lorsque deux superbes filles abordent Jen qui mange des friandises en lui faisant comprendre qu'elles sont les deux déesses que Jen vient prier en leur offrant des présents. Mais cette distance culturelle qui appelle à un éveil continu s'estompe par une mise en scène remarquable comme lorsque Jen et la médium se promènent dans un bois qui, " en réalité ", se trouve être le lieu même d'un ancien palais royal que la médium se met alors à faire visiter à Jen avec beaucoup de précautions dues à sa jambe handicapée : attention le plafond est bas, il y a deux marches, regarde tout ce mur de miroir et là, le spectateur qui a failli sombrer dans le sommeil deux minutes plus tôt, parcourt le palais, imagine les miroirs, voit au-delà de l'image. Et là on se dit que Apichatpong Weerathesakul est vraiment très fort.

Une sensualité omniprésente

Cemetery of Splendour semble aussi nous suggérer que sans une sensibilité à fleur de peau il est difficile de tenter d'atteindre l'invisible. Beaucoup de scènes dégagent une sensualité rare frisant même l'érotisme. Du moment où Jen savonne le corps endormi d'Itt, s'attardant sur les jambes, remontant le plus haut possible le pantalon, massant longuement le ventre en regardant si personne ne la voit dans le dortoir, ou celui où la verge d'un soldat qui se dresse pendant le sommeil (signe bien visible du rêve) attire une jeune fille qui tend sa main curieuse pour la toucher ou bien enfin, celle magnifique, pendant laquelle Itt lave et lèche avec une extrême sensualité la jambe malade de Jen avec un mélange de gingko biloba et des baies de goji pour lui apporter du réconfort tandis que Jen, submergé par l'émotion de ses propres sensations, se met à pleurer, à pleurer encore. Et l'extraordinaire c'est qu'à ce moment-là ce n'est pas Itt que l'on voie (on l'a quitté au début de la scène endormi contre un pilier) mais la jeune médium qui parle comme Itt, qui est Itt, qui raconte à Jen la vie antérieure de Itt.

Vous l'aurez compris Cemetery of Splendour déroute, déconcerte parfois mais si vous vous dépouillez de votre raison d'occidental vous découvrirez alors un film rare, hypnotique mais aussi plein de voies nouvelles à explorer.

Critique - Cemetery of Splendour

  • La créativité
  • L'invisible qui apparaît
    La longueur de certaines scènes

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Critique – Cemetery of Splendour

  • Titre : Cemetery of Splendour
  • Année de sortie : 2015
  • Style : Drame
  • Réalisateur : Apichatpong Weerasethakul
  • Acteurs principaux : Jenjira Pongpas, Banlop Lomnoi
  • Durée : 122 minutes