[Venise 2015] Jour 8 : Expérience(s)

Par Boustoune

Le virage amorcé hier par la sélection officielle  se confirme. Les oeuvres se font plus complexes, plus expérimentales. Plus intéressantes aussi, à l’image des deux films présentés en compétition officielle.

11 minutes n’est que pure mise en scène. Jerzy Skolimowski s’amuse à suivre plusieurs personnages dont le destin bascule en onze minutes, à l’aide d’une narration morcelée, dans laquelle on ne peut se repérer qu’à l’aide de sons et de repères visuels. Un avion qui passe, les cloches d’une église qui sonnent 17 heures, un miroir brisé, un bruit d’alarme, la position des protagonistes les uns par rapport aux autres… Plus l’intrigue avance et plus le nombre de personnages augmente, complexifiant la narration, mais permettant de mieux comprendre le contexte du drame en train de se nouer.
Une fois remis bout à bout, les éléments de l’intrigue ne donnent pas une histoire très complexe, même si l’irruption d’un ou deux éléments fantastiques laisse au spectateur la liberté d’analyser l’oeuvre sous d’autres angles. Le mieux est de voir cela comme un “simple” exercice de style, réalisé avec un indéniable brio technique et un art du montage consommé. Voilà un bon candidat pour un prix de la mise en scène, pour un Grand Prix du Jury, voire pour le Lion d’Or.

Mais pour le moment, notre favori pour la précieuse statuette est Heart of a Dog de Laurie Anderson, l’un des films les plus beaux et les plus riches de cette 72ème Mostra. Difficile de décrire cet objet cinématographique tant il est atypique. Le point de départ est un hommage de la cinéaste à sa chienne, récemment disparue après avoir partagé plusieurs années de sa vie. Mais très vite, le film bifurque vers d’autres voies. Il parle des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, du traumatisme éprouvé par les newyorkais, de la politique ultra-sécuritaire mise en place par le gouvernement. Il évoque brièvement un autre traumatisme profond de l’histoire récente de l’humanité, l’extermination du peuple Juif par le régime nazi.
Mais le film est avant tout un essai introspectif. A l’aide de dessins, d’archives familiales, d’expérimentations sur les images et les sons, la cinéaste parle de ses angoisses, de ses rêves, de ses croyances religieuses. Elle parle de sa relation avec sa chienne, son “enfant”, mais aussi de sa relation parfois heurtée avec sa mère, elle aussi récemment décédée.
Son Heart of a dog est un “pèlerinage” sur les sentiers de sa mémoire, entre histoire personnelle et Histoire de l’Humanité. C’est une oeuvre qui fascine, qui pose des questions sur le monde qui nous entoure, sur nos propres vies. C’est une oeuvre qui secoue, qui éblouit par sa beauté plastique et qui, finalement, nous bouleverse totalement. Magnifique.

Dans les autres sections, les expérimentations cinématographiques n’ont apparemment pas connu le même accueil.
Interruption du grec Yorgos Zois et Mate-me por favor ont suscité des réactions mitigées. Et Lama azavtani (Why Has Thou Forsaken Me) a fortement agacé les festivaliers à cause de ses séquences étirées au maximum – comme celle où un type aiguise des couteaux pendant dix minutes devant la caméra – masquant la vacuité d’un scénario ne reposant que sur une ou deux scènes-chocs.
D’accord, les festivals ont le devoir de proposer des films atypiques, des formes d’expression cinématographique différentes, des films d’Art & Essai radicaux, mais parfois, trop c’est trop… Les spectateurs aiment aussi des films plus simples, plus modestes.

Un peu comme Tempête, de Samuel Collardey, qui a été très applaudi par le public.
Dans la lignée de ses films précédents, le cinéaste français raconte une histoire ancrée dans le réel et dans un contexte social particulier, jouée par des acteurs professionnels et non-professionnels.Il nous invite à suivre un marin-pêcheur de quarante ans engager dans un difficile combat pour avoir la garde de ses enfants. Son métier le contraint à partir en haute-mer pendant de longues périodes et pendant ce temps-là, ses enfants sont livrés à eux-mêmes. Quand son ex-épouse entame une procédure pour obtenir la garde des deux adolescents, il se voit contraint de réfléchir à son avenir, qui se situe peut-être loin de ce métier dont il rêvait depuis l’enfance…
Le film a le mérite de mettre l’accent sur les difficultés rencontrées par les marins-pêcheurs, les conditions climatiques de plus en plus compliquées qui limitent les périodes de pêche en haute mer, les quotas et les prix du marché, mais aussi de l’impact de ce qui est souvent une véritable vocation sur leur vie de famille.
Il montre aussi les limites d’une politique de l’emploi qui pousse les individus à monter leur société, mais ne fait rien pour supporter financièrement les projets, aussi bien ficelés soient-ils.
Dommage que le scénario charge parfois un peu la barque en faisant tomber sur le personnage et ses enfants toute la misère du monde  (plus d’argent pour payer le chauffage, la nourriture, grossesse inattendue de la fille aînée, crise d’adolescence du fils cadet,…). Heureusement, Samuel Collardey s’en sort assez bien en adoptant une mise en scène constamment sobre, dans l’esprit du cinéma social des frères Dardenne et des films de Philippe Lioret.
Ce n’est pas une oeuvre majeure, ni un sommet de cinéma social engagé, mais ce n’est sans doute pas cela que voulait faire le cinéaste.  Tempête est un petit film fragile, aussi humble et empli de chaleur humaine que son personnage principal. C’est cette simplicité, au sens noble du terme, qui a conquis les festivaliers.

Cette huitième journée de festival a aussi été marquée par l’hommage rendu à Brian De Palma, qui s’est vu décerné le prix Jaeger-LeCoultre Glory for the filmmaker.
Pour l’occasion, les organisateurs ont projeté De Palma, l’excellent documentaire consacré au cinéaste américain.
Sur la forme, le film de Noah Baumbach et Jake Paltrow est assez classique. Des extraits de films et des images d’archives inédites viennent entrecouper une longue interview de Brian De Palma, où, face à la caméra, le cinéaste passe en revue l’intégralité de sa filmographie. Mais sur le fond, le film est passionnant.
Déjà parce qu’il témoigne d’une époque bénie pour le cinéma américain, celle des années 1970, qui a vu une bande de jeunes réalisateurs et acteurs surdoués prendre le pouvoir. De Palma faisait partie de ce groupe. Il est le premier à avoir donné sa chance à DeNiro et a révélé John Lithgow, Sissy Spacek, Amy Irving et Melanie Griffiths. Il fréquentait Paul Schrader, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, George Lucas et Steven Spielberg. Il n’a pas forcément connu autant de succès que tous les cinéastes précités, mais sa filmographie impose tout autant le respect.
Avec beaucoup de lucidité,Brian De Palma revient sur les hauts et les bas de sa carrière. Il dévoile les coulisses de ses tournages et livre de savoureuses anecdotes sur ses films ou ses comédiens.
Mais le plus intéressant, c’est quand il se met à parler technique et à décortiquer les scènes les plus marquantes de sa filmographie. De Palma explique ce qu’il a emprunté à son mentor, Alfred Hitchcock, pour se forger son propre style. Il raconte comment il a tourné la scène de l’escalier dans Les Incorruptibles ou la mort de la mère de Carrie, le plan-séquence final de L’Impasse et celui de Snake Eyes. Pour tous les apprentis-réalisateurs et tous les amoureux du cinéma, c’est un vrai bonheur de l’écouter parler. On aurait d’ailleurs aimé en avoir un peu plus, et si on peut reprocher une chose à ce documentaire, c’est de passer un peu trop rapidement sur les derniers films du cinéaste, qui même s’il les qualifie lui-même de mineurs, auraient mérité la même analyse technique.

A demain pour la suite de ces chroniques vénitiennes…