Ronald b. tobias & la situation

Par William Potillion @scenarmag

Pour Ronald B. Tobias, chacun d’entre nous possédons nos propres préjugés, bien ancrés dans notre système moral.
C’est ainsi que l’auteur crée son monde qui se reflète dans la fiction.
Dans votre monde, vous pouvez établir ou rétablir les faits comme si vous étiez un dieu. Votre esprit rebondit sur la moindre opportunité pour créer un monde à votre image.
Mais Ronald B. Tobias précise aussitôt que l’auteur n’est pas le dieu qu’il croit être. L’auteur n’est pas un être tout-puissant, il est un esclave. Il est esclave de ses personnages et de la prémisse de son histoire. L’auteur ne fait qu’arbitrer entre les personnages, les événements, les décisions.

Le conflit dépend de forces conflictuelles. D’un côté, vous avez une force (incarnée par exemple dans le protagoniste) et cette force a un objectif : gagner, résoudre, rendre la liberté… toujours un verbe d’action. D’un autre côté, vous avez une force antagoniste (représentée par un antagoniste) et cette force elle-même a un objectif : bloquer le protagoniste.

Ces forces constituent l’intrigue ou l’alimentent. Ronald B. Tobias donne l’exemple du Petit Chaperon Rouge dont l’objectif est d’atteindre la maison de sa grand-mère alors que le loup a pour objectif de dévorer le Petit Chaperon Rouge. Ces deux objectifs portés par les deux personnages donnent forme à l’intrigue, à l’action dramatique.

Le conflit par la représentation de forces (y compris des idées) qui s’opposent est ce qui confère le caractère dramatique à une histoire. Sans le conflit, vous n’aurez pas d’histoire mais, par exemple, de la propagande.

Tobias met en garde contre les stéréotypes en citant F. Scott Fitzgerald :
Begin with an individual and you find that you have created a type, begin with a type and you find that you have created – nothing.
Commencez avec un individu et vous finirez avec un personnage, commencez avec un personnage et vous finirez avec.. rien.

Tobias prétend que si l’auteur a un compte à régler en écrivant sa fiction, si celle-ci lui sert de thérapie ou aide à évacuer sa colère, il va utiliser des stéréotypes. Mais cela n’est pas le but d’une fiction. Le but de la fiction est de raconter une histoire avec des individus.
Des individus qui disent ce qu’ils doivent dire en regard de l’intrigue et non pas ce que l’auteur souhaite leur faire dire.
Les mœurs d’un personnage le désignent comme un personnage bon ou mauvais selon une morale particulière mais ce jugement doit être fait à l’aune du seul point de vue du lecteur et non pas imposé par l’auteur.
Par exemple, lorsque vous montrez un huissier harcelant votre héros, vous le désignez comme un personnage antipathique mais ce jugement ne doit pas être brut de décoffrage. Si un huissier importune votre protagoniste, cette action doit être légitime. Vous ne décidez pas que cet huissier est un personnage mauvais, il est seulement dans une situation où sa présence apparaît néfaste. Mais même ceci, vous devriez laisser le lecteur en juger.
Vous mettez en place deux individus. Vous n’utilisez pas un stéréotype en lieu et place de l’huissier mais bien un individu à part entière qui a de bonnes raisons d’interférer dans les projets de votre protagoniste.
En fait, les personnages ont leurs propres vies et leurs propres logiques et l’auteur doit agir en conformité avec ces critères, c’est-à-dire qu’il doit les manipuler afin de les rendre conformes aux exigences de base de l’intrigue.
Tobias prend comme image un enclos où les personnages peuvent agir librement à l’intérieur de l’enceinte formée par l’enclos. Cette enceinte est l’intrigue, plus spécifiquement les limites (ou limitations) qui confinent les personnages dans le cadre de l’intrigue.

Fort de ces quelques réflexions, Tobias propose alors quelques conseils pour écrire une histoire, c’est-à-dire une fiction qui nous attire et nous fascine.
D’abord, il faut partir d’une prémisse et non d’une conclusion.
A lire :
LA PREMISSE DE VOTRE HISTOIRE SELON LAJOS EGRI
Ainsi, vous débutez votre histoire avec une situation. C’est votre prémisse qui vous permet de mettre en place une situation initiale.

Maintenant, supposez que votre protagoniste soit un saint et son antagoniste soit Satan, vous n’obtiendrez rien de bon avec des personnages aussi stéréotypés : le lecteur se trouve naturellement du côté du saint non pas pour ses actions mais simplement parce qu’il n’a aucune sympathie pour Satan ou qu’il ne le comprend pas.
Tobias explique que ce genre de personnages ne peuvent susciter que des réponses émotionnelles ordinaires de la part du lecteur et que les histoires qui les incorporent sont en quelque sorte en pilote automatique : elles n’ont ni besoin d’un auteur, ni d’ailleurs d’un lecteur.

Le saint est trop bon, Satan est trop mauvais : la vie ne fonctionne pas ainsi. La nature humaine fait que nous avons tous une part d’ombre peut-être plus enfouie que nos qualités apparentes.
Lorsque vous créez un personnage, vous ne devez pas prendre parti radicalement pour un aspect ou l’autre de son caractère. Lorsque vous envisagez vos personnages comme des individus réels, vous commencez à comprendre pourquoi ils agissent comme ils le font.
Vous apercevez la face cachée du saint et vous vous interrogez sur les raisons qui font de Satan ce qu’il est devenu.

C’est ainsi que la situation que vous décrivez devient votre principale préoccupation car elle permet aux personnages de rester dans les limites de votre fiction.
Prenez l’exemple de Kramer contre Kramer de Robert Benton, c’est une histoire prenante parce qu’il n’y a pas de méchant. Comme l’écrit Tobias, les personnages principaux sont pris entre le marteau et l’enclume. Il n’y a pas de décisions évidentes. Considérez Joanna Kramer, bien sûr qu’elle a abandonné son fils et son mariage mais nous comprenons ce qui l’a amené à cet extrémité et lorsqu’elle revient plus tard pour obtenir la garde de son fils, nous comprenons ce retournement, nous comprenons pourquoi elle revient.

La situation de ces deux personnages est la clé de notre passion envers eux. Nous éprouvons de la compassion pour l’un comme pour l’autre, il n’y en a aucun que l’on puisse désigner comme le Satan de cette fiction.
L’auteur sans prendre position nous offre les points de vue opposés de Joanna et de Ted. De cette opposition naît le conflit. Les deux arguments sont proposés au lecteur, deux arguments séparés qui s’opposent l’un l’autre.
Pour Tobias, chaque personnage gagne en individuation par ce qu’il appelle l’essence d’une situation entre le marteau et l’enclume. Les personnages ne sont pas des stéréotypes mais agissent librement selon leur propre légitimité à l’intérieur du cadre de l’intrigue.

Pour confirmer son propos, Ronald B. Tobias cite Léon Tolstoï :
Les meilleures histoires ne viennent pas du bien contre le mal mais du bien contre le bien.

C’est exactement ce cas avec Kramer contre Kramer. Tobias ajoute que pour parvenir à bien décrire le bien contre le bien, tout réside dans la qualité des arguments opposés ou contradictoires que vous mettrez en place dans les situations.