Quel que soit le genre cinématographique dont on parle, les frontières entre télévision et cinéma sont souvent poreuses. Le genre du teen-movie n’échappe pas à la règle. Les avatars du teen-movie sur le petit écran sont nombreux. On y retrouve les mêmes caractéristiques (acteurs élevés au rang de star, séries devenues cultes, etc) et les mêmes codes : le héros ou l’héroïne -les héroïnes sont souvent plus fréquentes qu’au cinéma-, la bande de copains, les parents, les lieux, les passages obligés, et un propos plus ou moins profond sur cet âge entre-deux de l’adolescence. Le personnage principal et son entourage correspondent aux canons de beauté, et sont majoritairement issus de la communauté WASP.
Je ne ferai pas ici le même panorama historique que pour les teen movie : je connais surtout les séries les plus récentes. Mais je vais vous parler des caractéristiques des avatars télévisuels du teen-movie. A noter tout d’abord, on distingue généralement les teen sitcom et les teen drama.
Le teen drama, le soap opera version jeune
Le teen drama a souvent un côté soap opera : plusieurs arcs, plusieurs histoires sont mises en parallèle et durent sur un certain nombre d’épisodes, qui terminent beaucoup par un cliffhanger. Dans le cas des teen drama, les principaux thèmes sont l’amitié et l’amour, les relations aux parents, la réussite scolaire, la question de l’avenir… Le tout d’un point de vue évidemment adolescent.
Ce sous-genre était quasiment inexistant jusqu’aux années 1990. Jusque là, la série canadienne Degrassi était une des rares à correspondre vraiment aux codes du genre. Et puis Aaron Spelling est arrivé, et l’Amérique a commencé à suivre sur la chaîne Fox les aventures de Brenda et Brandon, et de leurs amis dans 90 210 Beverly Hills. La série abordait des thèmes inédits pour les jeunes à la télé : sida, racisme, alcoolisme, homosexualité, grossesses adolescentes… A la fois énorme succès commercial et véritable phénomène de société, elle a ouvert la voie à un flot de teen drama qui ne s’est pas tari depuis.
Beaucoup de teen drama américains ont pour objet une bande de jeunes, et une ville ou un quartier de ville. Beverly Hills, Newport Beach dans The OC (la VF a gardé le nom du quartier), Capeside pour Dawson… Dans ces cas-là, la ville a un véritable rôle de cadre social, plus que le lycée comme c’est le cas dans les teen-movie. La hiérarchie de ce type de ville est toujours très important, et les adultes plus présent : on connait le ou la mère, le ou la shériff, le ou la principal-e du lycée… Les jeunes protagonistes sont alors confrontés aux difficultés inhérents à l’adolescence, tout en devant faire leur chemin dans la hiérarchie sociale de la ville. Les villes se divisent là aussi en deux catégories : les villes ou quartiers réels (comme l’Upper East Side à New York dans Gossip Girl) ou les villes de fictions (la ville de Tree Hill dans Les Frères Scott).
Une certaine absence de réalisme
Certains des quartiers que je viens de citer (l’Upper East Side, Newport Beach, Beverly Hills…) sont très huppés. C’est une caractéristique des teen drama : beaucoup d’entre eux montrent souvent des personnages issus d’une classe aisée, voire très riche. Il y a dans ces cas-là un élément pertubateur, un outsider qui vient d’une classe sociale mois riche : Dan dans Gossip Girl (il est issu d’une classe moyenne aisée, mais face à la « jeunesse dorée » new-yorkaise il passe pour un pauvre), et surtout Ryan dans Newport Beach.
Le personnage de Ryan, issu d’une classe sociale défavorisée, est très intéressant sur ce point : il y a de la part des Cohen, la famille de Newport Beach qui l’adopte, un véritable syndrome du sauveur. Il faut aider cette graine de délinquant à sortir du mauvais chemin, en lui inculquant les « bonnes » valeurs. Les Cohen se veulent un peu en dehors du cirque luxueux de leur ville, mais ce sont malgré tout eux qui remettent Ryan sur le « droit chemin » quand il dérape.
Certains teen drama sont un peu plus réalistes sur le niveau de vie des protagonistes, plus proche du public. Freaks and Geeks la série de Judd Appatow, en était un parfait exemple. La vie en banlieue de l’ado américain moyen y est parfaitement représentée (non sans des hommages aux grands teen-movies). Il n’y en a pourtant eu qu’une seule saison. Les séries sur des jeunes riches semblent mieux fonctionner : sans doute le public recherche-t-il plus une vie par procuration que dans les films.
Buffy, la vie normale d’une adolescente… normale.
De nombreuses sous-catégories existent dans le teen drama, en particulier ce qui relève du fantastique et du mystère : Buffy contre les vampires ou les premières saison de Smallville mettaient en scène des adolescents qui devaient gérer à la fois leur vie d’adolescent (et les difficultés que cela implique) et leur identité plus ou moins secrète de chasseuse de vampire ou d’extraterrestre futur super-héros. Cela ajoute bien sûr des complications, et met le protagoniste dans des positions délicates, comme quand Clark Kent devait choisir entre sauver sa ville et avoir un rencart avec Lana Lang. Ces deux séries ont par ailleurs l’intérêt de suivre le personnage dans ses péripéties jusqu’à l’âge adulte (ou l’âge de super-héros pour Clark). Ces sous-catégories sont toujours très populaires, surtout avec la mode des vampires et des loup-garous qui s’est emparée de la culture adolescente : Teen Wolf, Vampire Diaries ou, dans le mystère Pretty Little Liars.
La teen sitcom, l’adolescence à travers l’humour
Penchons-nous maintenant sur les teen sitcom. Sitcom est un terme anglais pour « situation comedy », comique de situation. C’est devenu par extension le nom d’un genre de série. La sitcom repose sur des épisodes courts, drôles, et un ryhtme plus rapide que celui du soap opera. On peut y entendre les fameux rires enregistrés qui « indiquent » au spectateur quand il faut rire. C’est un genre extrêmement populaire des séries télé.
Les teen sitcom mettent en scène… des adolescents, comme le reste. Ils sont souvent très centrés sur le quotidien, et le lycée est un haut-lieu des situations comiques. On se concentre sur la vie familiale ou sociale, et il y a plusieurs intrigues qui se mêlent. Le protagoniste fait face à des rites de passage du même genre que ceux des teen movie (première cigarette, fête quand les parents sont absents, premier rendez-vous..) et se retrouve parfois dans des situations très compliquées qui se résolvent dans le rire, et quasiment toujours à la fin de l’épisode.
La bande de That ’70s show dans le sous-sol d’Eric.
Les rôles sociaux chez les jeunes sont encore plus définis dans les sitcoms que dans les drama : la hiérarchie renversée, les réponses aux moqueries ou les tentatives d’intégration du jeune forment de très bons ressorts comiques utilisés facilement dans les sitcoms.
Les premières teen sitcom jusqu’aux années 1980 étaient des séries plus familiales qu’adolescentes. Le genre a explosé au début des années 1990, avec des séries comme Sauvé par le gong ou That ’70s show. Les deux ont atteint très vite le statut de série culte, avec une fan-base conséquente et de multiples références aujourd’hui. Sauvé par le gong a même eu droit à ses propres spin-off, comme Degrassi à la même époque.
Le rôle important des chaînes câblées
Les chaînes du câble comme Disney Channel, Nickelodeon ou MTV, avec une audience directement pré-ado ou adolescente, ont grandement participé à l’explosion de la teen sitcom. Nickelodeon s’adresse à un public un peu plus vieux, les lycéens ou même les jeunes adultes, et est connue pour de l’humour noir, des allusions sexuelles voire un peu de critique sociale. Tout le contraire de Disney Channel, qui vise surtout les pré-ado et met en scène des jeunes très sages, aux vies très lisses.
Disney Channel a véritablement percé dans le monde des teen sitcoms dans les années 2000, avec des séries comme Phénomène Raven ou Lizzie McGuire. Elle produit depuis un grand nombre de séries-concept, y employant les enfants-stars de la maison, qui parfois jouent leur propre rôle (ou un semblable) : Les Sorciers de Waverly Place, Jonas sur les Jonas Brother, La vie de palace de Zack et Cody et surtout Hannah Montana. Cette série a battu tous les records d’audience de la chaîne, et s’est transformée là encore en véritable phénomène de société chez les pré-ados.
MTV, d’abord une chaîne de clips, a depuis deux décennies orienté de plus en plus sa programmation vers des choses qui plaisent aux ados : les séries, en particulier les sitcoms, en font partie. La série animée Daria commencée en 1997 se moquait des stéréotypes adolescents à travers un personnage de fille cynique et très intelligente.
La décennie 2010 est très intéressante pour MTV, qui avec des séries comme Awkward, l’histoire d’une jeune fille qui doit gérer son adolescence alors que tout le monde pense qu’elle a essayé de se suicider, ou Faking it, où les producteurs jouent sur les codes en les renversant. L’histoire se déroule dans un lycée du Texas un peu spécial : tout le monde y est démocrate et progressiste, et les minorités sont mises à l’honneur alors que la jeune WASP parfaite est ostracisée. Les deux héroïnes décident alors de se faire passer pour lesbiennes pour devenir populaires. Ces deux séries MTV sont très intéressantes car, sous des dehors d’humour léger et de superficialité, elles arrivent à aborder des sujets sociétaux importants, comme le font plus souvent les teen drama.
Et dans le monde ?
La France est assez avare en matière de productions pour adolescents, et on voit à la télévison française des séries américaines ou espagnoles. Un, dos, tres ou Physique ou Chimie ont reçu un excellent accueil en France. La première s’apparentait plus à une sorte de Fame à l’espagnole, tandis que la deuxième était une vraie série lycéenne. Les sujets abordés sont souvent moins lisses qu’aux Etats-Unis : la question du sexe, du viol, de l’avortement, ou même des relations profs-étudiants y est plus facilement traitée.
L’un des pays les plus intéressant en matière de séries télé pour adolescents est le Royaume-Uni. Les teen drama y sont très développés, et les plus récents sont beaucoup plus réalistes que leurs confrères américains. Le buzz qui s’est formé autour de Skins, qui montrait des ados de classe moyenne, perdus dans l’entre-deux, dans leurs plus gros excès est significatif. La série livre une certaine critique sociale et apporte un éclairage sur le malaise des adolescents.
My Mad Fat Diary est aussi une excellente série anglaise, et sans doute l’une des meilleures de ces dernières années. Adaptée des journaux intimes de Rae Earl, elle raconte les déboires d’une jeune fille obèse et suicidaire dans les années 1990, alors qu’elle essaye tant bien que mal de récuperer une vie normale. La bande, l’héroïne en décalage, la découverte du sexe et des sentiments, la confrontation aux parents, le mentor (sous la forme de son psychiatre), la BO excellente : tout cela répond parfaitement aux attentes du teen drama et plus largement du teen-movie. Mais sa plus grande force repose dans sa capacité à décrire les émotions adolescentes, et l’extraordinaire sincérité qui s’en dégage. Peut-être l’adaptation d’un journal intime d’adolescente joue-t-elle un rôle là-dedans : c’est une série pour les ados, sur les ados, basée sur le point de vue d’une ado. Ce point de vue est peut-être la chose qui manque aux autres séries.