Du conflit – part 2

Continuons notre étude sur le conflit débutée ICI
Le conflit place vos personnages dans une situation intolérable ou ont des problèmes qu’ils ne peuvent ignorer ou même tenter d’expliquer (ce qui serait une manière de les comprendre donc de les résoudre).
Le personnage est donc dans l’obligation de faire quelque chose pour remédier à cette situation conflictuelle. C’est ainsi que réagit le Chef Brody dans Les dents de la mer : il commence par argumenter avec le maire dont la décision de laisser les plages ouvertes est pour le moins égoïste et dangereuse pour autrui, il met en place une surveillance pour protéger les gens de la ville et puis il se joint (presque malgré lui) à la chasse au grand requin blanc. Finalement, pétri de peur, il sera celui qui tuera le monstre.

Le conflit n’est pas un événement mineur. Il ne doit pas être confondu avec un incident même si celui-ci est intégré à une scène où le conflit s’exprime avec force. Ces incidents sont de temps en temps utilisé pour appuyer sur une frustration, ajouter une touche de crédibilité (ou de réalisme) à une scène, à insister sur la tension générée par le conflit mais encore une fois, ils ne sont pas de la nature du conflit. Ces incidents ne rendent pas les choses encore plus compliquées pour le personnage.
Quelques exemples d’incidents qui peuvent venir illustrer une situation conflictuelle (sans se prévaloir d’être eux-mêmes conflit) :
– le protagoniste ne trouve pas quelque chose ou quelqu’un alors qu’un compte à rebours quelconque est en place dans la scène,
– il est bloqué, ne peut plus avancer par la faute d’obstacles divers alors que le danger approche. Il ne peut fuir ou esquiver la menace ou répondre à celle-ci,
– il fait tomber ses clefs de voiture alors qu’il a besoin de celles-ci (généralement pour fuir un danger),
Notez que cet incident (quelqu’il soit) n’a pour but que de retarder le personnage dans une action qu’il va devoir faire. L’action n’est pas remise en question mais simplement retardée : par exemple, une jeune femme est attaquée, elle se précipite vers sa voiture et y parvient avec une petite avance. Mais au moment de prendre ses clefs dans son sac, ces dernières lui échappent des mains et vont se perdre dans l’obscurité.
– le personnage manque son train,
– il arrive en retard à un rendez-vous important qui va bouleverser sa vie à partir  de ce moment.
Comprenez bien que le conflit n’est pas la raison pour laquelle le personnage arrive en retard. Ce conflit est toute autre chose : le fait d’être arrivé en retard à ce rendez-vous, par exemple, pourrait attirer la vindicte d’un conjoint en instance de divorce contre ce personnage et lui faire perdre la garde de son enfant. Le conflit est alors incarné par le conjoint mais les circonstances qui ont mis ce protagoniste en retard (il est pris dans les bouchons, son réveil n’a pas sonné, il ne retrouve plus les clefs de sa voiture) ne font que créer un peu de suspense (ce qui n’est pas du conflit).

Le conflit n’est pas une succession de colères ou de chamailleries. Le conflit n’est pas affaire d’apparences. Celles-ci sont un moyen de montrer le conflit mais elles ne l’expliquent aucunement. Le conflit  doit aussi être motivé, rendu légitime par les circonstances. Vous ne pouvez pas seulement montrer deux personnages qui s’invectivent simplement parce que vous avez ressenti le besoin d’un conflit maintenant dans cette scène.
Vous pouvez éventuellement faire subir à votre antagoniste (le méchant de l’histoire) des accès de colère soudains et imprévisibles parce qu’il est justement le méchant de l’histoire, cruel et qui n’a pas besoin d’expliquer ses raisons, cependant, concernant votre protagoniste, il serait bien plus intéressant par égard pour votre lecteur de le façonner avec un peu plus de dimensions.
Nous vous conseillons d’ailleurs de prendre aussi grand soin de votre antagoniste.
Pour donner de la substance, de la matière à votre conflit, posez-vous la question de savoir si les arguments des personnages sont véritablement motivés, s’il y a une conviction et des principes derrière les mots qu’ils emploient, s’il y a des émotions en jeu dans les sentiments qui suintent des personnages au cours de cette situation conflictuelle ?
Par ailleurs, il peut arriver que des joutes verbales soient nécessaires ou s’imposent au cours de votre histoire. Pour vous assurer que votre personnalité n’interfère pas avec les besoins de votre histoire, reconsidérez les personnalités de vos personnages. Ce sont elles qui doivent guider votre intrigue, ce sont certes vos créations (un amalgame de vous et d’autrui qui a donné une identité propre) mais ce sont elles aussi qui décident pour vous. Vous ne pouvez pas les forcer à faire quelque chose qui psychologiquement les bloque, par exemple.

L’incompréhension peut être source de conflits mais elle n’en est pas la véritable cause. L’interprétation erronée du comportement ou de l’attitude d’un personnage, l’incompréhension de ses actes ou de ses paroles mène souvent à un conflit. L’incompréhension peut être l’élément déclencheur qui débouchera sur un conflit qui  ne s’est pas encore installé.
Il est plus juste cependant de remonter la source d’un conflit profondément dans chacun des personnages concernés. Chacun d’entre eux, en conflit les uns avec les autres, est avant tout insatisfait ou frustré par une situation qu’il ne parvient pas à régler. Le personnage est avant tout en colère contre lui-même plutôt que contre quelqu’un d’autre. C’est cette frustration qui est projetée sur autrui.
L’origine du conflit est alors à chercher dans ce qui explique cette frustration, votre personnage en sera plus riche. Le conflit intérieur que se livre chacun des personnages donne les détails à l’origine de ce malaise.
On se comporte d’une certaine façon parce qu’en société, c’est ainsi que l’on doit se comporter mais notre instinct, notre véritable nature nous dit qu’on se trompe et que l’on devrait plutôt agir autrement. Vous venez de décrire un conflit intérieur, personnel. L’arc dramatique du personnage consistera donc à lui faire surmonter ce conflit qui le taraude et le blesse mais il devra vivre quelques péripéties et apprendre avant de comprendre.
Vous vous rendrez compte en écrivant votre histoire que plus l’origine du conflit est enracinée dans la personnalité de votre personnage, plus votre histoire sera facile à écrire.
La personnalité dudit personnage est issue de son histoire personnelle, de ses buts, de son passé, de ses motivations. Il doit y avoir chez votre personnage des forces opposées qui le minent.
Résoudre un problème extérieur, c’est d’abord résoudre un problème personnel. Votre personnage sera incapable de faire face aux problèmes de la vie s’il ne parvient pas au préalable à résoudre ses problèmes intimes. C’est un schéma que l’on retrouve chez de nombreux héros.
Dans Vous avez un message de Nora Ephron, par exemple, le conflit est construit à l’intérieur de Kathleen et de Joe avant même qu’ils se rencontrent pour de vrai. Ils ont des objectifs opposés (chacun pour des raisons personnelles dont l’autre ne fait pas partie) qui doivent logiquement générer du conflit.
Gardez aussi à l’esprit lorsque vous serez en plein travail d’accouchement de vos personnages que les sentiments et les émotions seront les éléments clefs qui dessineront les futurs conflits.
La perte de sa librairie pour Kathleen n’est pas en soi grave mais pour elle, cette librairie qu’elle tient de sa mère, est chargée émotionnellement de l’amour qu’elle lui portait.
Lorsque Joe veut racheter la librairie, involontairement, il blesse Kathleen dans cet amour maternel et c’est cela qui provoque le conflit majeur de l’histoire. De manière générale, utilisez les sentiments, les passions comme la plus importante part de tout conflit effectif. A nouveau, cela enrichira votre personnage.

Pour clore cet article, retenez ce principe :
Ce que le personnage fait n’est pas aussi important que pourquoi il le fait. Ce qui arrive n’est pas aussi important que comment réagit le personnage à ce qui arrive.

Au cours de votre histoire, vos personnages auront à faire face à leurs pires cauchemards, frayeurs et angoisses. Au cours de leurs péripéties, ils vont apprendre comment les surmonter et le lecteur aura eu suffisamment d’indices et d’aperçus de leurs motivations pour comprendre aussi pourquoi les personnages agissent de la manière qu’ils le font.