« STORY » – ROBERT McKEE – STRUCTURE & SITUATION

Par William Potillion @scenarmag

Il est certain que de nos jours la consommation d’histoires par le biais du cinéma, de la télévision, de l’édition et de la presse, de l’internet, enfin de tout ce qui est facile d’accès sous une forme dématérialisée n’a jamais été aussi importante. Notre consommation d’images (y compris animées et sonores) deviendra comme certains auteurs de science-fiction le prévoit déjà l’une des activités majeures de l’être humain d’ici peu.
Alors en tant qu’auteur, comment pouvez-vous éviter le cliché ? Comment être encore original alors que tant a déjà été écrit ?
Pour Robert McKee, le cliché est comme l’ignorance qui se répand à la vitesse d’un fléau. Le cliché est la raison principale de l’insatisfaction d’un lecteur. Quelle déception d’une fin prévisible parce qu’on l’a déjà vu des centaines de fois par ailleurs !
Pour Robert McKee, la réponse au cliché est de connaître le monde de son histoire, l’univers fictionnel dans lequel l’auteur situe son histoire.

Le problème réside dans le fait qu’un auteur met en place une situation (lieu, période) et lance une histoire sous forme de script en assumant une connaissance des tenants et aboutissants de cette situation, connaissance qu’il n’a pas.
Alors que fait-il lorsqu’il a besoin de matériel pour son monde et qu’après une courte introspection s’aperçoit qu’il n’a rien ?
Il fouille dans les restes d’autres auteurs :  plagiat, paraphrases, il s’empare de leurs personnages et les affuble d’autres oripeaux afin d’en faire les siens. Mais tout cela ne donne qu’un plat réchauffé (il ne s’agit pas d’adaptations, s’entend) provoquant de l’ennui chez le lecteur.
Il ne s’agit pas non plus d’une question de talent. Pour McKee, ce processus malheureux est du à un manque de compréhension de la situation initiale (géographique, historique, sociétale) de leur histoire et de tout ce que ce monde imaginaire peut contenir. Donc une connaissance et une compréhension de ce qui constitue votre univers est indispensable pour faire de l’originalité et de l’excellence selon Robert McKee.

Cet univers est à quatre dimensions :

  • une période
  • une durée
  • un lieu
  • un niveau de conflit

La première dimension est une dimension de temps : la période à laquelle se déroule votre fiction. De nos jours ? Dans le passé ? Dans un futur proche ou lointain ?
Ou une période indéfinissable et d’ailleurs non pertinente pour l’histoire comme dans La Folle Escapade (1978) de Martin Rosen d’après le roman éponyme de Richard George Adams ?
La période est la position de l’histoire dans le temps.

La durée est une seconde dimension de temps : elle corresponds à la durée de votre histoire dans la période choisie. Des années ? Des mois ? Des jours ? plus peut-être ?
La durée peut être modifiée ou réinterprétée comme dans L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais où la perception de la réalité se confond avec l’illusion.
L’escalier d’Odessa du Cuirassé Potemkine est aussi un bon exemple de traitement de la durée particulière d’une scène alors que des bottes descendent l’escalier et que l’horreur générée s’étend sur cinq fois plus de temps.
La durée est la longueur de l’histoire ou d’une scène à travers le temps.

Le lieu corresponds à la dimension physique de la situation. Dans quelle ville se situe l’action ? Dans quelle rue ? Dans quel immeuble ?
Robert McKee propose même : Sur quelle planète ?
Le lieu définit l’espace qu’occupe votre histoire.

Le niveau de conflit est la dimension humaine de votre fiction. C’est l’élément social de votre histoire. Vous l’avez compris, le conflit est à l’origine du caractère dramatique d’une œuvre de fiction. Vous devez donc définir le niveau de conflits impliqués dans votre histoire.
Pour McKee, la société des hommes possède des forces psychologiques, politiques, économiques, idéologiques et biologiques qui façonnent les événements aussi bien que  la période, les lieux ou les costumes et ce, que ces forces soient externalisées dans les institutions (politiques, religieuses…) ou internalisées en l’individu (une sorte d’inconscient collectif comme l’entend Jung). Donc, l’ensemble de vos personnages, reliés par des niveaux de conflits différents, est une part importante et définitive de l’histoire.
Les conflits s’expriment au niveau des personnages, de leurs conflits intérieurs souvent inconscients ; ou à un cran de plus lors de relations conflictuelles avec d’autres personnages ; vous pouvez même envisager des conflits entre l’individu et les institutions ou la nature.
Le niveau de conflit est la position de votre histoire dans la hiérarchie des luttes que connait l’humanité.

Le monde que vous avez créé possède ses propres lois. Vous ne pouvez pas faire que tout arrive. Les événements obéissent à des probabilités c’est-à-dire que leur survenance, leur possibilité de se produire ou non dépend des critères et des règles qui régissent votre univers. Dans votre monde, les coïncidences n’ont pas lieu d’être.
Ce n’est pas un effet de style lorsque Robert McKee emploie le terme cosmologie parce qu’il s’agit bien de cela : vous êtes devenu une sorte de démiurge en créant votre univers de fiction. Il y a donc une raison à ce que certaines choses se produisent et d’autres non. La connaissance des règles qui gouvernent votre monde vous permettra de choisir des évènements ou des faits pertinents et vous évitera de vous engager vers des voies où la légitimité des actions de vos personnages sera mise en doute par votre lecteur.

Lorsque les causes premières de votre monde sont établies, elles ne doivent pas être transgressées, y compris et surtout dans un monde de Fantasy (ou de merveilleux).
Une histoire qui se réclame du genre fantastique est encore plus exigeante dans le respect des mondes qu’elle crée puisque ce genre consiste essentiellement à faire surgir un monde que l’on ne comprend pas dans notre réalité.
McKee prend The Usual Suspects comme exemple où Christopher McQuarrie parvient à rendre probable l’improbable.

Une fiction ne se matérialise pas à partir du néant, mais se développe sur du matériel qui existe déjà dans l’expérience humaine et l’histoire de l’humanité. Consciemment ou non, le lecteur cherche à comprendre comment et pourquoi les choses se produisent dans votre réalité spécifique à partir de ce qu’il connait comme possible et probable.
Vous êtes responsable des possibilités et des limitations qui définissent votre univers par le choix très personnel de votre cadre fictionnel et de la façon dont vous travaillez en son sein. Les limitations que vous vous êtes imposées (vous les forcez aussi sur votre lecteur) vous obligent envers ce dernier.
Dès que le lecteur a accepté les lois de votre réalité – du moins lorsqu’il s’en est imprégné sans nécessairement les accepter – si vous les transgressez, la réaction de votre lecteur sera immédiatement le rejet de votre travail comme illogique et peu probant.

Pour Robert McKee, cependant, il n’est pas antinomique de créer un monde suffisant petit pour être connaissable et la création de ce monde aux limites imposées n’est pas non plus une entrave à la liberté d’expression d’un auteur. Bien au contraire, ce qui semble être une contrainte (forger des frontières à un monde imaginaire) est en fait un processus tout à fait créateur.
Pour étayer ces dires, McKee prend l’exemple du Docteur Folamour de Stanley Kubrick, Terry Southern et Peter George, d’après le livre de ce dernier, Red Alert (1958) dont l’intrigue s’articule autour de 3 lieux : le bureau du Général Jack D. Ripper (allusion directe à Jack the Ripper ou Jack l’Eventreur) ; un B52 qui file droit sur la Russie et une salle du commandement stratégique au Pentagon. Et le tout peuplé de 8 personnages principaux.

Vous serez plus crédible si votre monde est suffisamment petit pour que vous en connaissiez les moindres détails jusqu’à ses profondeurs les plus intimes. Vous devriez être en mesure de répondre instantanément à toutes questions relatives à votre univers fictionnel. Vous en êtes le démiurge donc vous avez une position dominante sur tout ce qui concerne votre création.

McKee précise qu’un petit monde n’est pas un monde banal et commun. Cela détermine en fait un espace dans lequel vous aurez un choix limité de données mais chacune de ces données, la moindre de ces parties, ajouterons-nous, peut être saisie et explorée jusque dans ses moindres entrailles (origine, légitimité dans votre monde, conséquences sur votre monde…).

Cette position dominante permet de connaître tout ce qui est pertinent envers votre histoire. Il y a trois types de connaissance à l’œuvre dans une fiction :

  • La connaissance de l’auteur : il connait l’histoire (du début à la fin), il n’y a aucune zone d’ombre pour lui. Il en possède les tenants et les aboutissants.
  • La connaissance du lecteur : l’auteur met à la disposition de son lecteur des informations. Celles-ci ont pour objectif d’obtenir une réaction précise de sa part. Votre monde fait partie des informations qui doivent être communiquées rapidement et qui ne doivent surtout pas être contredites par les pérégrinations de vos personnages.
  • La connaissance des personnages : cette connaissance particulière aide à développer le suspens. Par exemple, lorsqu’un héros est dans un lieu et qu’il ne se doute pas que son ennemi s’approche subrepticement de lui. Par contre, le lecteur (par la volonté de l’auteur) sait qu’un méchant s’approche du héros.

A lire :
L’IRONIE DRAMATIQUE

Ainsi, afin de posséder ce sens d’ubiquité, l’auteur ne devrait considérer que l’espace dont il a absolument besoin pour son intrigue. Pour Robert McKee, la limitation recherchée de l’espace dramatique est le moyen d’éviter le cliché et d’inspirer la créativité.