À l'origine, c'est David Fincher qui devait réaliser Pawn Sacrifice (renommé Le Prodige pour sa sortie française, faisant perdre ainsi le double sens du titre américain), l'histoire de Bobby Fischer, le champion américain des échecs à la personnalité complexe et insondable, qui, à l'apogée de la Guerre Froide, se retrouve pris entre le feu de deux superpuissances mondiales lors du " match du siècle " à Reykjavik contre Boris Spassky , son homologue soviétique et plus grand rival. Aujourd'hui, en voyant le film écrit (en 2009) par Steven Knight, homme capable du meilleur ( Locke) comme du pire ( Le Septième Fils), et réalisé par Edward Zwick (auteur des excellents Légendes d'Automne, Glory, Le Dernier Samouraï, Blood Diamond et de la future suite de Jack Reacher), on se demande ce qu'aurait donné le même produit mis en boîte par Fincher. Non pas que Le Prodige soit un mauvais film, bien au contraire, mais le bon scénario de Knight, qui figurait depuis longtemps sur la fameuse " black-list " des meilleurs scripts hollywoodiens en attente de trouver preneur, aurait certainement gagné un éclat supplémentaire avec le travail visuel d'un artiste comme Fincher. Edward Zwick est un faiseur honnête, qui sait prendre le temps de poser une histoire et de la raconter avec des images, mais il manque indéniablement ce petit je-ne-sais-quoi au Prodige pour lui permettre de nous emporter totalement.
Revenons au script : ce qui frappe d'emblée est la ressemblance de la vie de Bobby Fischer avec celles de personnages historiques comme Howard Hughes (dont le récit fut porté sur grand écran par Scorsese dans Aviator ) et John Nash (mathématicien incarné par Russell Crowe dans Un Homme d'Exception de Ron Howard), deux génies dans leur domaine, qui, à l'instar du talentueux Fischer, ont progressivement sombré dans la paranoïa et le délire. De son enfance au sommet de sa gloire en passant par ses nombreux tourments, Le Prodige retrace pendant deux heures haletantes l'ascension folle (c'est le cas de le dire) de ce joueur extraordinaire à la vie mouvementée et à la personnalité mythifiée, devenu malgré lui un des pions de la guerre froide lors de son défi contre Spassky (il fut l'objet d'une manipulation tordue de la part de son gouvernement). Si le contexte historique est bien relaté, on regrette un peu que Zwick et Knight n'aient pas pris la peine de développer l'aspect géopolitique et l'impact médiatique du récit, éléments qui auraient sans doute mérité d'être creusés davantage pour enrichir la toile de fond et faire gagner au film des niveaux de lecture supplémentaires. Le parallèle guerre - partie sur l'échiquier était évident, il y avait matière à proposer des enjeux dramatiques plus consistants que le simple affrontement entre ces deux joueurs obsédés par la victoire. D'autant plus que l'on sent Zwick au parfum de ces idées, il a en effet eu le bon goût d'intégrer quelques images d'archives pour fixer l'époque des 70's, on déplore seulement que celles-ci ne soient pas suffisamment exploitées. Dommage !
Enfin, saluons toutefois qu' Edward Zwick réussit haut la main le pari de sonder le caractère trouble de Fischer et de rendre attrayant un spectacle qui n'était pas nécessairement cinégénique sur le papier. Sport cérébral par excellence, le jeu d'échecs est millénaire et pratiqué dans le monde entier, captivant pour ceux et celles qui en connaissent les arcanes (au passage, il est mentionné dans le film qu'il existe des milliers de combinaisons possibles), mais demeure une discipline assez statique. À cet égard, le metteur en scène du Dernier Samouraï a curieusement (mais intelligemment) préféré se concentrer sur les réactions et commentaires des spectateurs plutôt que sur le jeu lui-même, conférant à toutes les scènes de parties un suspense partagé et partageable. Sans compter qu'il fonctionne à plein régime avec sa caméra, la mise en scène est dynamique et inspirée (travellings gracieux autour des échiquiers, training montage rythmé, cadrages serrés accrocheurs sur les regards, pourvoyeurs de tension dramatique, montage sonore travaillé pour retranscrire l'hypersensibilité auditive de Fischer, reconstitution bien documentée...). Dans les habits et la psychée de Fischer, Tobey Maguire excelle, avec une performance subtile, étalon de mesure de la différence entre cabotinage et intériorité. Son partenaire à l'écran, Liev Schreiber, n'est pas en reste et livre également une interprétation tout en finesse et contraste. Un petit mot enfin sur Peter Sarsgaard qui, dans la peau d'un curé et coach (!), permet aux spectateurs de vivre les parties aux côtés de Fischer et Spassky, en place de témoin privilégié (l'empathie avec son personnage apporte un peu d'humanité et de ludisme à l'histoire). Quatre mois après le très bon premier film d' Elodie Namer ( Le Tournoi), voici donc Le Prodige, un nouveau long-métrage passionnant dont l'intrigue se déroule dans l'univers du jeu d'échecs. Edward Zwick explore la folie du redoutable joueur Bobby Fischer à travers un biopic intéressant et bien fagoté, mais qui aurait pu être encore meilleur avec un vrai auteur à la barre.
Titre Original: PAWN SACRIFICE
Réalisé par: Edward Zwick
Casting: Tobey Maguire, Liev Schreiber, Peter Sarsgaard,
Michael Stuhlbarg, Lily Rabe, Robin Weigert ...
Genre: Biopic
Sortie le: 16 septembre 2015
Distribué par: Metropolitan FilmExport
TRÈS BIEN
Catégories : Critiques Cinéma
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