Voici le cinquième article sur les genres tels que les a définis Blake Snyder.
Voici les précédents articles :
BLAKE SNYDER : MONSTER IN THE HOUSE
BLAKE SNYDER : GOLDEN FLEECE
BLAKE SNYDER : OUT OF THE BOTTLE
BLAKE SNYDER : DUDE WITH A PROBLEM
Dans cet article, nous nous pencherons sur RITES OF PASSAGE.
Parmi les 10 genres déterminés par Snyder, voyons ce qu’il dit à propos des rites de passage.
Les rites de passage sont les crises de croissance mais pas seulement celles de la puberté mais aussi celles de la quarantaine, par exemple, ou de tout autre moment crucial dans la vie. Ce sont tous ces moments où il se passe quelque chose de si puissant que nous en sommes radicalement transformés.
Ces crises sont ce qui fait de nous des êtres humains et sont d’excellentes sources pour des histoires poignantes ou hilarantes d’après Blake Snyder.
Toutes les histoires nous content un changement de personnalité du héros qui est illustré par son arc dramatique. Mais ce n’est pas là le propos des crises que nous connaissons dans nos vies. Comme l’expression l’indique, c’est de douleurs et de tourments dont il est question dans les rites de passage.
Ce monstre qui nous attaque est sournois, diffus. Nous ne pouvons le saisir car nous ne pouvons le nommer. Et pourtant, il dépend entièrement de nous, des choix que nous avons fait. Ce monstre en fin de compte est la vie elle-même.
Les rites de passage sont reconnues dans toutes les cultures et de tous temps. Ils sont devenus universels ce qui ajoute à leur intérêt en tant qu’auteur. La puberté, la quarantaire, la mort des proches ou sa propre mort sont des moments, des durées dans nos vies qui nous marquent profondément. Pour Snyder, un héros sort de ces rites de passage lorsqu’il rencontre sa vraie nature. Dans le genre Rites of Passage, cette rencontre n’est habituellement pas un Happy End.
Ce passage dont parle Blake Snyder est aussi un tournant majeur dans la vie d’un personnage comme dans Pour l’amour d’une femme de Al Franken et Ronald Bass, dirigé par Luis Mandoki, qui conte l’histoire d’une femme en prise avec l’alcool et qui doit réussir à se faire désintoxiquer.
Un autre exemple est 28 jours en sursis de Susannah Grant dirigé par Betty Thomas qui traite du même thème.
L’alcool peut être remplacée par la drogue ou par n’importe quel autre type d’addiction, l’idée est de montrer comment faire face et surmonter si possible cette dépendance.
Des thèmes comme le deuil sont aussi considérés par Blake Snyder comme des rites de passage, de transfiguration radicale comme dans Des gens comme les autres de Alvin Sargent, d’après un roman de Judith Guest qui nous conte la désagrégation de la famille Jarrett après la mort du fils aîné.
Que ce soit une crise de la quarantaine ou une séparation (il faut d’ailleurs noter qu’il est souvent question d’une perte dans les histoires du genre Rites of Passage), il y a une forte notion de changement parfois indiquée par une non-pertinence soudaine de la routine. C’est comme si, soudain marqué par un deuil, vous vous aperceviez brutalement de la vanité, de la futilité non pas de votre vie mais de ce que vous en faîtes, de tous ces petits gestes quotidiens et routiniers qui perdent soudain leur sens.
Il y a des moments dans la vie où l’on réalise qu’il est peut-être temps de voir les choses autrement, de vivre autrement, de se satisfaire autrement. C’est dans ces moments là que ce rite de passage tel que le définit Blake Snyder s’exprime sous la forme d’une crise que l’on ne surmonte jamais sans y laisser un peu de son âme.
Nous serions même tentés d’ajouter que c’est heureux pour ceux qui prennent conscience de la nécessité de changer. C’est un peu l’histoire de la princesse qui rencontre le crapaud : ce n’est rien d’autre pour elle que l’appel à vivre sa vie de femme (même si elle s’y refuse dans un premier temps). Lorsqu’enfin, elle acceptera ce changement, elle devra abandonner son enfance.
D’autres, comme Charles Foster Kane, passeront leur vie entière à rechercher une enfance à jamais perdue.
Un personnage en proie à une telle crise ne laisse pas indifférent. Son entourage comprend le trouble, le tourment du personnage mais malgré des avis sincères et passionnés, il n’existe aucune solution pour le personnage sauf peut-être d’apprendre et de grandir de cette épreuve. C’est comme si l’on ne pouvait sauver quelqu’un de lui-même. Cela est d’autant plus terrifiant que pour les personnes qui assistent impuissantes à la lente déconstruction d’un être, la solution pour mettre fin à son tourment est évidente mais pour cet être (généralement votre héros), cette réponse facile n’est jamais apparente.
Qu’il s’agisse de comédies ou de tragédies, le schéma est identique : nous avons un héros éprouvé, sérieusement éprouvé par la vie et l’histoire est celle de ce héros qui réalise lentement ce qu’est ce monstre qui s’est faufilé dans sa vie, sous sa peau, et le détruit.
La réussite pour le héros consiste à accepter qu’il est soumis à des forces qui le dépassent et de s’abandonner, de se rendre face à ces forces qu’il ne peut de toutes façons vaincre. La victoire n’est d’ailleurs pas dans l’acceptation du deuil, dans la réussite du sevrage mais dans la reconnaissance de notre humanité.
Nous vous proposons de relire cet article :
LE PROBLEME MAJEUR DU PERSONNAGE PRINCIPAL
à propos des différentes étapes de l’acceptation et surtout des difficultés de celle-ci.
Certaines forces de la nature ne peuvent être comprises ou contrôlées et la réussite de l’objectif du héros est alors peut-être de se laisser porter par l’inéluctable, de ne plus lutter contre l’inévitable.
Snyder prend l’exemple de Job. Job représente l’archétype du Juste dont la foi est mise à l’épreuve par Satan. Job supporte avec résignation la perte de ses biens, de ses enfants, ainsi que les souffrances de la maladie mais sans jamais abjurer Dieu. Snyder appuie sur l’idée que nous avons tous connu des épreuves comme celles infligées à Job nous demandant si cela prendra fin un jour mais aussi sur celle de la résignation, de l’acceptation par Job de son ordalie.
Le travail de l’auteur consiste cependant à créer un héros pour lequel le lecteur éprouvera de la compassion sinon le lien psychologique entre lui et le héros ne pourra se faire. Il est donc important que l’on comprenne un peu mieux le problème de ce héros. Dans le cas d’une addiction, donner au lecteur les informations qui lui permettent de comprendre l’origine de cette dépendance du héros envers l’alcool ou la drogue, par exemple, est une nécessité pour que le lecteur s’implique aux côtés du héros.
Pour Snyder, l’auteur doit donner des raisons pour se préoccuper d’un personnage dont la seule action, le seul objectif, serait de passer un cap dans sa vie.
C’est ainsi que l’on comprend mieux et apprécions les personnages de Des Gens comme les autres.
Comme pour les autres genres, Blake Snyder définit trois indicateurs du Rites of Passage :
1) Un problème qui tourne autour de la perte (mort, séparation, crise d’adolescence ou de quarantaine) mais aussi de la dépendance,
2) Une incapacité à résoudre le problème autrement que par…
3) L’acceptation.
Le problème est habituellement ce dont parle votre histoire et c’est généralement une accroche suffisante. C’est le cas de Elle de Blake Edwards où George Webber se sent touché par la crise de la quarantaine au cours de la fête de son 42° anniversaire et cherche à se soulager de ce problème auprès de Jenny.
Le problème se caractérise aussi souvent par un déni. C’est le cas de Tim Hutton dans Des gens comme les autres dont la réponse à la mort de son frère pour laquelle il est plein de remords est une tentative de suicide. Pour Snyder, ce refus est ce qui rend le personnage mûr pour son aventure, c’est-à-dire l’histoire que vous allez conter autour de ce personnage n’est possible que si celui-ci est dans la disposition d’esprit qui justifie cette histoire.
Après avoir perçu le problème mais ne sachant pas trop quoi faire avec, le héros du Rites of Passage s’empare de n’importe quelle solution mais ce ne peut être qu’une mauvaise solution.
Dans Kramer contre Kramer, après que Joanna ait abandonné Ted et leur enfant, Ted essaie de s’organiser, de mettre en place une routine de vie (y compris d’entamer une nouvelle romance) afin de faire face à cette solitude nouvelle – comme quoi, la solitude est un malaise intime qui sévit même lorsqu’on est entouré.
Mais ce que ne comprend pas Ted est que la solitude est la leçon qu’il doit apprendre. Ce qui explique le revirement soudain de Joanna qui après s’être reconstruite demande la garde de leur enfant.
Ce qui explique aussi les 18 mois pendant lesquels Billy sera sous la garde de son père et que celui-ci, à travers ses erreurs et ses initiatives, devra apprendre à reconnaître et à accepter ce passage de la séparation.
Vous vous en rendrez compte en étudiant un peu le genre que systématiquement les héros font les mauvais choix. Ce n’est pas parce qu’ils sont idiots mais parce qu’ils prennent les décisions les plus urgentes pour parer à leur désespoir. Ils accumulent les erreurs et nous les comprenons parce que cela est tout simplement humain. Nous reconnaissons en eux, en leurs choix, ce qu’il y a de plus universel : notre humanité.
Eviter la douleur, reculer devant la flamme brûlante comme le dit Snyder est naturel et logique et pourtant, seul saisir à plein corps la douleur, la peine, le désespoir est le seul moyen de lutte efficace pour passer certain cap de la vie. Mais les héros possèdent aussi une réticence naturelle à ne pas le faire et c’est ce qui fait tout le charme du Rites of Passage pour un auteur.
Ce qui intéresse aussi un auteur avec ce genre est que le lecteur reçoit plus ou moins consciemment l’information que le héros doit changer. Le lecteur est averti par l’auteur que le héros fait fausse route dans la gestion de son désespoir. Il est clairement établi que le héros doit changer et pas le monde autour de lui. C’est une forme d’ironie car le lecteur sait cela mais le héros ne le sait pas.
Au cours de son aventure, le héros va devoir s’abandonner à des forces qu’il ne pourra jamais maîtriser. C’est ce moment de lucidité, d’honnêteté qui constitue pour lui l’acceptation de sa condition.
Nous le savions d’ailleurs déjà et l’intrigue nous met dans l’attente de cette acceptation. Cette intrigue nous démontre que la vie serait une expérience bien moins passionnante si nous n’errerions pas avec nos erreurs, nos épreuves, nos expériences avant de trouver la voie de la rédemption.
Blake Snyder estime que le genre du Rites of Passage est l’un des plus à même de distinguer un scénariste. Mais façonner une bonne histoire sous l’empreinte de ce genre est un travail périlleux qu’il faut avoir le courage d’entreprendre c’est-à-dire d’oser confronter 110 pages immaculées.