André Marcon, Michel Fau, Denis Mpunga,
Christa Théret, Sylvain Dieuaide, Aubert Fenoy
est une femme fortunée passionnée de musique et d'opéra. Depuis des années elle chante régulièrement devant son cercle d'habitués. Mais Marguerite chante tragiquement faux et personne ne le lui a jamais dit. Son mari et ses proches l'ont toujours entretenue dans ses illusions. Tout se complique le jour où elle se met en tête de se produire devant un vrai public à l'Opéra.
Entretien avec Xavier Giannoli relevé dans le dossier de presse.
Il y a une dizaine d'années, j'ai entendu à la radio la voix d'une improbable chanteuse d'Opéra qui interprétait
"La Reine de la Nuit", de Mozart, mais en chantant totalement faux. C'était très drôle, saisissant... L'enregistrement était grésillant, ancien et mystérieux, comme "venu d'ailleurs".
J'ai découvert qu'elle s'appelait
Florence Foster Jenkins et qu'elle avait vécu aux Ètats-Unis dans les années 40. Elle était riche, passionnée de musique et d'Opéra et surtout parfaitement inconsciente de la splendide fausseté de sa voix. Elle avait l'habitude de chanter devant un cercle d'habitués et jamais personne de son entourage ne lui avait dit qu'elle chantait complètement faux, par hypocrisie sociale, intérêt financier ou simplement lâcheté...
La situation était déjà très amusante, avec quelque chose de cruel que j'avais envie d'explorer.
À New-York, j'ai trouvé beaucoup de coupures de presse évoquant son improbable
"carrière",
son excentricité. On évoquait même un grand concert à la fin de sa vie où elle a chanté devant la salle immense du"Carnegie Hall". J'ai aussi trouvé un enregistrement où elle interprète plusieurs airs classiques, toujours avec la même maladresse hilarante. Sur ce disque, il y avait une photo d'elle avec des ailes d'ange dans le dos et un diadème de reine sur la tête. Elle offrait un sourire à la fois innocent et confiant à l'objectif. Cette expression m'a longtemps intrigué... Alors, j'ai écouté ce disque en boucle pendant des années en pensant à ce sourire et en laissant mon imagination s'emparer des éléments de mon enquête. J'ai écrit une première version puis je suis parti faire d'autres films en gardant toujours cette photo sur moi et cette mystérieuse voix dans ma tête. Je sentais que cette voix brisée avait quelque chose à me dire, un secret
Non, c'est une évocation libre d'un personnage qui a vraiment existé. C'est assez comparable avec le travail que j'avais fait pour À L'origine : je commence par une enquête fouillée, je me documente énormément, puis j'écris une histoire romanesque en en parlant avec ma complice Marcia Romano pour trouver les lignes de forces de l'histoire.
L'important, c'est d'avoir un regard personnel, de proposer un point de vue sur la vérité humaine qui s'exprime dans un destin aussi original... et après de se sentir libre d'en faire du cinéma. Ma conviction, c'est qu'on a besoin de la fiction pour essayer de comprendre et sentir la réalité du monde et des êtres. Je ne pourrais pas me contenter d'une approche documentaire ni d'un pur travail de fiction. D'ailleurs quelque chose du personnage se cherche là : entre la vérité et le mensonge, la vie de l'acteur et ce qu'il joue, l'invention de soi-même.
Sur le tournage, j'ai appris qu'un biopic hollywoodien était en projet. Cette démarche n'aurait de toute façon jamais été la mienne.
Pendant mes recherches, j'ai découvert à la bibliothèque de l'Opéra de Paris des photos de Divas du début du siècle. Des femmes magnifiques jouant dans un style très
"expressionniste" des tableaux vivants d'Opéras célèbres. Je découvrais ces femmes sublimes en écoutant la voix disgracieuse de ma Diva qui chantait faux. Ce contraste était drôle et féroce, poétique aussi... Ma chanteuse se rêvait l'une d'elles mais n'en avait aucune des qualités vocales. C'est là que j'ai eu l'idée des photos et que le coeur du film s'est mis à battre.
On sait aussi que les années 20 sont un moment important dans l'aventure de la liberté, tant en art qu'en matière de mœurs. Je voulais que mon personnage s'arrache à quelque chose d'un ancien monde qui l'a empêché de s'accomplir et du nouveau qui va la perdre. Je cherchais un mouvement, à la fois ample et intime.
J'aime les personnages à idée fixe, les obsessionnels, car ils entraînent tout le film dans leur mouvement et lui donnent une tension, un rythme, un point de fuite. Marguerite vit une passion, dans tous les sens du terme : l'apprentissage de la souffrance et le bonheur de vivre pour la musique. Elle chante divinement faux mais on sent qu'elle exprime un besoin rageur de vivre.
Hélas, la passion ne valide pas le talent, cela n'a rien à voir.
J'écris ce personnage après avoir passé 40 ans et vécu pas mal d'épreuves douloureuses ces dernières années. J'avais besoin de trouver par l'humour une distance avec ce que la vie peut avoir de difficile, avec le sentiment de trahison ou d'échec, les hypocrisies et les méchancetés de la vie sociale, le lointain écho de mon éducation chrétienne qui ne simplifie pas mon rapport à la souffrance, et puis ce doute qui grandit... J'avais besoin de rire de tout cela !
Je voulais une actrice qui imposerait une évidence physique, comme dans le cinéma américain que j'aime, et qui pourrait incarner la naïveté tout en n'étant plus une jeune fille. Il y a chez Catherine un scintillement juvénile et honnête, une générosité offerte qui la met en danger au milieu des cyniques et donc met les scènes sous tension. Elle a aussi une aura populaire qui approfondit l'émotion du personnage en marquant sa différence avec les dignes aristocrates de son milieu qui la méprisent et les Divas intouchables de ses passions. J'ai observé Catherine dans beaucoup de films mais le vrai déclic a été de la découvrir au théâtre dans
Oh les beaux jours... de Samuel Beckett. Je me souviens d'une scène hilarante où elle parle avec une fourmi et d'un coup Marguerite était là, sans aucun doute. Soudain, en voyant la fourmi, elle dit : "Mais il y a de la vie, là !" et c'était devenu une évidence.
Elle a tout de suite accepté le rôle et nous avons combattu pendant de longs mois pour réussir à
financer le film, en faisant beaucoup de sacrifices, en cherchant des solutions. Cela m'a touché qu'elle se réserve pour ce projet. Je crois que ce rôle est important pour elle mais je ne veux pas savoir exactement pourquoi. J'espère que le public pourra ainsi la redécouvrir au cinéma. Les acteurs ont un éclat particulier quand ils se font rares.
Je voulais aussi l'amener à se dépasser, à s'abandonner à des scènes d'émotion ou de folie inédites pour elle. Car le film est d'abord un portrait de femme à un moment fragile de sa vie. Sur le tournage, elle invente, elle propose, et surtout elle m'oblige à être simple et concret. Elle sait que quelque chose du cinéma se joue là, dans ce qui va circuler entre les corps des acteurs, leur simple présence physique, l'évidence de leurs gestes. Et il y a des regards d'elle qui continuent de me bouleverser, comme quand elle vient de découvrir que son mari la trompe depuis des années et qu'elle lui caresse le visage en disant simplement
"Mon mari... ".
Je crois que sa performance est vraiment habitée, troublante, en trouvant une harmonie entre des registres a priori dissonants : le rire et l'émotion.
André Marcon est un immense acteur et j'étais heureux de lui proposer ce rôle. Il impose une force tout en jouant un personnage d'abord assez lâche et faible, menteur comme un homme. Il a une présence saisissante avec cette voix si profonde et complexe, une séduction virile avec son manteau d'ours et ce regard parfois débordé par une sensibilité que l'on découvre finalement "à vif". C'est un des pouvoirs angéliques de Marguerite : rendre les êtres qui l'entourent à eux-mêmes, les sauver des mensonges de leur vie en sacrifiant la sienne.
Son mari n'est-il pas le premier "spectateur"de Marguerite, son complice ?
Le mensonge est un spectacle qui se joue à plusieurs. Et c'est un lien très cinématographique car il embarque le spectateur dans sa logique, sa folie... Et je pense que le pouvoir de manipulation des mots ou des images est un thème qui traverse le film jusqu'à aujourd'hui, le monde dans lequel nous vivons. Celui de l'illusion publicitaire, du mensonge politique, du bain d'images dans lequel nous vivons cette
"société du spectacle"...
C'est à ce moment précis que j'écris ce personnage, son rapport trouble à la réalité son épreuve de vérité.Marguerite réussira finalement à faire rentrer son mari dans sa dernière photo de Diva, dans son mode d'illusion.
J'ai écrit le rôle pour lui, avec sa voix dans la tête. De son
"Récital emphatique" à ses mises en scène de Guitry ou Montherlant, j'ai toujours eu pour sa liberté et son éclectisme beaucoup de respect et d'admiration. Je me suis rarement autant amusé à inventer un personnage avec un acteur. Atos Pezzini (hommage à mes origines corses) est odieux et pourtant attachant car Michel a trouvé comment le rendre complexe et imprévisible. Après la première audition au château, quand il se retrouve dans la voiture avec Madelbos, il a une façon de dire "Chez moi, à Boulogne... " où on sent la profonde solitude de cet animal social drôle et décadent.
Michel Fau
Le rôle de Madelbos le chauffeur-photographe est joué par Denis Mpunga, un acteur belge à qui je veux rendre hommage car il donne une profondeur saisissante à ce personnage qui est d'abord un être d'écoute et de regard.
Marguerite est sa muse et un lien assez délirant et inquiétant les unit. C'est lui qui l'emmènera au bout de son destin de Diva improbable. Son personnage interroge aussi ce qu'est la création. Il sublime la vie de sa muse en l'entraînant dans une mort digne de l'héroïne qu'elle a toujours rêvé d'être. Je ne sais pas s'il la tue ou s'il la sauve... mais il aura accompli leur "oeuvre". Après, de Christa Théret à Sylvain Dieuaide, Aubert Fesnoy ou Sophia Leboutte la femme à barbe et tous les autres, nous avons travaillé un peu comme un orchestre autour de Catherine. Je crois qu'un casting est d'abord riche d'acteurs que l'on n'a pas ou peu vus au cinéma. Les seconds rôles sont les premiers qui donnent un sentiment de vérité au film et je voulais qu'ils soient tous forts, inattendus.
Mon film précédent se déroulait dans l'univers des médias contemporains et essayait de capter
quelque chose de la modernité qui me fascine et m'effraie. J'étais heureux de tout changer et de m'aventurer dans un univers radicalement différent. Je n'ai pas voulu faire une reconstitution
mais une évocation personnelle de cette époque. Il y a ce château improbable de Marguerite , comme une bulle blanche et protectrice, qui contraste par exemple avec les bureaux "modernes" aux lignes droites et épurées du journal où elle apparaît immédiatement décalée, dépaysée. Mais je crois que ce travail reste simple et retenu. Ce que l'histoire a d'intemporelle m'intéresse davantage qu'une reconstitution hollywoodienne dont je n'ai de toutes les façons pas les moyens. Les films d'époque minimalistes sont souvent les plus beaux. D'ailleurs, très vite, j'ai eu l'idée du grand rectangle noir devant lequel son professeur fait travailler Marguerite. Un fond abstrait, hors du temps et des époques, comme pour revenir à l'essentiel : la vérité du personnage. De la même façon, j'ai voulu épurer les lignes des costumes, être simple et élégant, en harmonie avec les personnages ou leurs humeurs, sans jamais aucun pittoresque "années folles".
Avec le directeur de la photographie flamand
Glynn Speeckaert, nous avons voulu une image sans trop de couleurs, épurée et contraste, avec parfois des tâches rouges-sang : le foulard de la
maîtresse, l'éventail ou le rideau de l'Opéra qui semblent crier leur couleur commeMarguerite crie sur scène. J'ai besoin de ces effets de rupture, dans les couleurs ou les sons, pour que quelque chose d'organique se mette à vivre. Nous avons tourné avec des objectifs des années 50 qui diffusent sensiblement la lumière et donnent au film une texture singulière avec parfois des reflets inattendus, comme des éclats, des dissonances dans l'image que je voulais ainsi garder "vivante".
Il y a d'abord le répertoire de Marguerite, fait des grands airs d'Opéra qu'une très grande soprano doit avoir chanté, comme dans Norma de Bellini. Des airs très techniques qu'elle est bien sûr parfaitement incapable d'interpréter... Mais je voulais aussi que le film soit une expérience musicale
"totale" qui corresponde à mes goûts et ce que j'avais envie de partager. Il y a de la musique baroque avec Vivaldi ou Purcell, du jazz, des harmonies plus "modernes" avec Poulenc ou Honegger, du didgeridoo australien et de la musique indienne, un piano que l'on fracasse à coups de hache ou sur lequel on joue du Bach, du Mozart réinterprété par les Swingle Singers a capella ou encore King Arthur de Purcell réorchestré par le grand Michael Nyman, les cris d'un paon ou les explosions des moteurs, et enfin les sublimes et inédites dissonances de la voix de Marguerite , comme un trou noir où tous ces sons se perdent... ou se rassemblent.
Je ne sais pas.
Catherine a longtemps travaillé avec une grande professeur pour trouver une attitude, des gestes, un visage de chanteuse lyrique. Car même si elle chante faux,
Marguerite travaille énormément et cela devait se voir...
Le problème, c'est que Catherine a une très belle voix et qu'elle prend depuis longtemps des leçons de chant alors que moi j'avais besoin d'un chaos à la fois hilarant et émouvant, ce qui est techniquement très compliqué. Comme pour une cascade, la voix de Catherine avait besoin d'une doublure quand cela devenait trop dangereux pour sa gorge. Une"vraie" chanteuse nous a donc prêté sa voix et nous avons beaucoup travaillé pour trouver l'émotion et la drôlerie que je cherchais dans chaque dissonance. Avec les ingénieurs du son, nous avons ensuite fait un gigantesque travail pour qu'à l'écran Marguerite incarne sans aucun doute possible cette voix si particulière à laquelle je veux aussi garder pour le public sa part de secret, de mystère.
Le film s'inspire de la vie de Florence Foster Jenkins. "Une évocation libre", pour reprendre les termes du réalisateur, de la vie de cette femme qui, grâce à sa fortune, est allée jusqu'au bout de ses rêves, en chantant sur scène, en enregistrant des disques, avec une voix qui n'aurait permis à aucune autre de faire parler d'elle.
Le film de Xavier Giannoli transpose l'action dans les années 20. Une reconstitution soignée les décors sont luxueux et les costumes somptueux. Les dialogues superbement écrits sont riches. Entre moments de pure folie ils sombrent dans la dérision avant de virer dans le pathétique. Quelques rire, à l'insu de la principale protagoniste, sont vite étouffés par des situations qui s'enchaîent entre ridicule et pathétique.
La mise en scène est grandiose. Pour mieux se rapprocher de sa source d'inspiration, le scénario abuse de quelques invraisemblances. Comment imaginer que cette femme, fervente admiratrice d'art lyrique, experte de ce monde particulier du bel canto, n'entende pas sa propre voix ? Le réalisateur laisse planer le doute.
Le principal est ailleurs. Dans l'horrible solitude d'une femme mal entourée et prête à tout pour vivre son rêve. L'hypocrisie, le mensonge et la lâcheté règnent à tous les niveaux. Est-ce pour Marguerite le seul moyen de vivre ? Est-elle réellement dupe ? La vérité serait-elle plus cruelle que le mensonge ? La lumière vacillante d'un lustre, bousculé par Marguerite, laisse planer le doute sur un certain désarroi qui semble pointer temps à autres. La lumière deviendrait-elle cruelle ? Incertaine ?
"On sait aussi que les années 20 sont un moment important dans l'aventure de la liberté, tant en art qu'en matière de mœurs. Je voulais que mon personnage s'arrache à quelque chose d'un ancien monde qui l'a empêché de s'accomplir et du nouveau qui va la perdre." a déclaré Xavier Giannoli.
L'excellent Denis Mpunga, dans le rôle du fidèle majordome, entretient avec adoration, une certaine protection aussi, la folie de Marguerite. Dans quantités de photos son œil magnifie le modèle. Par amour ou pour mieux attirer le regard de celui qui s'est détaché de sa femme ?
Dans le rôle de l'époux volage, André Marcon excelle. À la fois lâche, faible et dépité, il ne tentera rien pour décourager celle à qui il doit tout.
Le personnage trouble, incarné par le remarquable Michel Fau, fait basculer le film dans une cruauté totale.
Dans un rôle démesuré et difficile Catherine Frot, à la fois troublante et touchante, irradie de la première à la dernière image. Elle est tout simplement magnifique. Cette Marguerite est un très beau rôle pour une grande comédienne. Catherine Frot triomphe.