Un survival intense malgré le traitement parfois maladroit de ses personnages.
L’avantage d’un survival à gros budget, c’est que ses moyens techniques lui permettent bien souvent de mieux mettre en avant, par sa cinégénie, les limites des capacités physiques de l’homme autour desquelles la tension de l’histoire se construit. En tant que pierre angulaire de ce cinéma, Gravity a récemment montré l’importance d’une prouesse de mise en scène dans le processus de création de ce type d’œuvres, comme si le septième art dévoilait tout autant les paliers qu’il tente de dépasser que ceux des êtres dont il raconte les aventures. Inconsciemment, ce rapport méta du médium avec son sujet renforce l’immersion du spectateur, désireux d’être emporté sensitivement par la technologie, afin de mieux comprendre les efforts et la douleur des corps humains en fonction des univers hostiles dans lesquels ils se trouvent. La platitude de l’écran de cinéma vise à être brisée en donnant une valeur à un mouvement, voire en la transmettant au public. Là où Gravity le faisait par le contraste de la cinétique de ses éléments solides dans un espace entièrement numérique, Everest ramène à l’inverse à une certaine pesanteur par l’interaction difficile des personnages avec des décors réels.
Tourné majoritairement au Népal (au pied du mont du titre) et dans les Alpes, le film surprend par son équilibre entre un réalisme saisissant et une mise valeur perpétuelle de son statut de fiction. Il est vrai qu’en adaptant l’histoire tragique de deux groupes d’expédition partis à l’ascension de la plus haute montagne du monde en 1996, Baltasar Kormákur aurait pu succomber aux affres d’une simple esthétique de faux documentaire. Mais s’il opte pour la forme d’un journal de bord, notamment avec l’indication fréquente de l’heure à l’écran, ce n’est que pour mieux bâtir une tension qu’il prend un malin plaisir à étirer. Everest repose d’ailleurs sur la figure de l’hyperbole, dans tous les domaines. De l’ampleur du voyage à l’orgueil de ses personnages, il est toujours question d’aller plus loin, de repousser ses limites dans le seul but de prouver qu’on peut le faire. Le cinéaste décrit alors le quotidien de ces êtres (l’un est facteur, un autre a des problèmes de couple…) avec une certaine justesse pour mieux les replacer dans l’irréalité de leur projet. Loin d’un naturalisme de bas-étage, la mise en scène pointe cet aspect quasi-mythique du récit au travers de cadres contemplatifs, voire épiques. La caméra s’envole, donne le vertige et cherche à diffuser les sensations des différents alpinistes, le tout sublimé par un puissant montage sonore et une 3D efficace.
Kormákur assure également l’identification du spectateur en posant les bonnes questions, à commencer par les motivations d’une action aussi périlleuse. Au-delà d’une recherche d’évasion, il y a la transcription réussie du dépassement de soi, qui amène ici le corps à une sorte de pureté. Les problèmes de la vie de tous les jours restent au pied de la montagne et l’esprit est entièrement focalisé sur l’objectif ambitieux d’atteindre son sommet. Néanmoins, Everest fait aussi preuve d’une incroyable lucidité car il ne conduit jamais la seconde partie de son histoire par la puissance de la volonté. L’homme a des limites qu’il ne peut pas franchir, quitte à en payer les conséquences. Gravity montrait comment une personne retrouvait le goût à la vie, Everest se concentre sur l’acceptation de la perte de cette dernière. Il est alors d’autant plus dommage que le film souffre d’un surplus évident de personnages, se limitant pour la majorité à un développement psychologique minimal, qui empêche la tension et le suspense de maintenir en haleine tout du long. Dès lors, une grande partie du casting cinq étoiles du réalisateur s’avère gâché. Si Jason Clarke, Josh Brolin et John Hawkes ont le temps de montrer l’étendu de leur talent, Jake Gyllenhaal et Sam Worthington sont clairement sous-exploités, tandis que Keira Knightley et Robin Wright font peine à voir avec leurs trois malheureuses séquences. Ce manque d’équilibre du scénario limite peut-être trop l’humain à ses sensations (le corps) plutôt qu’à ses émotions (l’âme), privant Everest de son statut d’excellent survival.