La source de toute œuvre dramatique est le conflit. Il est paradoxal de constater que de nombreux auteurs sont des apôtres de la non-violence lorsqu’il considère le couple Conflit/Résolution sans s’interroger sur la nécessité de comprendre le conflit, sur le pourquoi et le comment de sa survenance avant de pouvoir le résoudre. D’ailleurs, il est souvent amère de se rendre compte lorsque l’on commence à comprendre pourquoi un conflit a lieu que nous sommes souvent impuissants à pouvoir le résoudre.
Il faut bien reconnaître aussi qu’il est difficile de résoudre les problèmes qui surviennent entre membres de la même famille ou entre amis. Et lorsqu’on cherche à s’impliquer dans le conflit afin de tenter d’y apporter une solution, on prend le risque de se retrouver pris entre deux feux et d’attiser le conflit plutôt que de l’apaiser.
Donc lorsqu’on en vient à parler de résolution de conflits, même avec une expérience sûre, il est préférable d’être plutôt circonspect.
Alors pour éviter les problèmes, on évite les conflits. Mais cette attitude a l’inconvénient de laisser les problèmes irrésolus et parfois pendant de très longues années.
Savoir quand s’impliquer dans un conflit afin d’y apporter une résolution (c’est donc ce que prétendent les auteurs), c’est d’abord comprendre les sources du conflit :
– les motivations
c’est-à-dire les raisons profondes du comportement des individus,
– les points de vue
c’est-à-dire comment les personnes impliquées dans le conflit voient le conflit.
Prétendre vouloir résoudre un conflit requiert aussi une capacité à l’empathie pour chacun des côtés concernés.
Maintenant, le travail des auteurs consistent essentiellement à créer un conflit puis à conférer à celui-ci une intensité croissante. Ce n’est donc pas en évitant le conflit qu’un auteur peut en créer.
C’est donc qu’il l’a expérimenté, plus ou moins. Cela aurait pu prendre la forme d’un événement traumatique (généralement dans l’enfance) : divorce, mort, un contexte de guerre, perte d’un amour, d’un amant, perte du prestige ou de la richesse…
Il ressort de ce traumatisme une sorte de croyance chez les auteurs : que plus ils mettent leurs personnages sous pression et plus ils parviennent à les creuser, à leur donner de la profondeur, à les définir.
Il semblerait ainsi qu’il y a une relation très forte entre un personnage, sa destinée et le conflit. Ce dernier serait alors le moyen le plus efficace pour amener un personnage à dévoiler sa véritable nature que l’on peut saisir, que l’on peut connaître par sa destinée.
Il semblerait donc que nos véritables natures pour s’ajuster à notre vie civilisée se cacheraient sous un masque. Nous portons ce masque pour être social, bon et généreux mais tant que nous ne rencontrons pas d’obstacles à nos désirs. Dans ce cas, le masque tombe révélant qui nous sommes vraiment. Nous sommes changés et habituellement pas pour le meilleur.
Avez-vous remarqué comment la situation change notre comportement ? Imaginez que vous avez un rendez-vous important et que vous vous trouviez pris dans un engrenage d’événements qui risquent de vous mettre en retard : un coup de téléphone d’un démarcheur, vous ne trouvez plus sur vos clefs de voiture, les difficultés de la circulation (plus dense aujourd’hui que d’habitude) et votre propension à vous faire tous les feux rouges…
Il est certain que votre humeur va sérieusement être portée au rouge attisée par ce rendez-vous si important et que le moindre incident se transformera en conflit.
Ce qui veut dire aussi que le masque d’être civilisé que vous portiez va se dissoudre pour laisser apparaître votre vraie nature qui trouvera ainsi dans le conflit une voie royale pour s’exprimer.
Hemingway écrivait que ceux qui possède la grâce sous la pression possédait aussi la forme la plus élevée d’humanité. En d’autres termes, rester calme et la tête froide lorsque les événements vous poussent dans vos retranchements est une forme d’humanité rare.
Les faits, cependant, prouvent qu’il se produit l’inverse et que nous devenons moins humain plus nous rencontrons le conflit. Nous changeons, certes, mais pour le pire non le meilleur. C’est un comportement très utile pour fournir de la matière à un auteur qui peut l’observer aussi bien chez les autres qu’en lui.
Dans un sens, si le personnage est sa destinée et que le conflit est le moyen pour exprimer dramatiquement cette destinée (qui montre cette destinée, qui ne la dit pas. Le non-dit c’est-à-dire le geste, le comportement, l’action, l’attitude est la forme d’expression nécessaire de la destinée), le travail de l’auteur consiste alors à mettre en place une escalade du conflit qui doit autoriser le personnage à découvrir sur lui-même et par lui-même ce qu’il est vraiment. Sans le conflit, cette découverte de soi ne peut être mise en œuvre.
LES PRINCIPALES FORMES DE CONFLIT
L’une des formes principales de conflit est le conflit d’intérêt. Chacun des personnages incriminés veut obtenir la même chose. Considérez l’exemple de deux chiens qui s’entendent comme larrons en foire jusqu’au moment de la gamelle. Lorsque l’heure du repas est avancée, les deux chiens entrent en conflit chacun voulant s’accaparer l’écuelle de l’autre. Dans cet exemple, le couple héros/opposant est double : chacun des chiens étant à la fois héros (dans la défense de son repas) et opposant (dans sa volonté de voler le repas de l’autre).
Ce qui est intéressant aussi dans ce schéma est que les deux personnages sont alliés tant que l’élément de la discorde n’est pas introduit. L’heure de la gamelle est donc un élément dramatique perturbateur qui vient bouleverser l’alliance des deux personnages. Et lorsque l’alliance disparaît, il y a problème et trouble.
En résumé, deux personnes ou personnages qui se connaissent bien n’ont généralement que peu de conflits jusqu’au moment où elles veulent toutes deux la même chose.
Cette chose est l’objet, l’élément déclencheur et lorsqu’il est exposé au cours de l’histoire, ce moment est l’incident déclencheur qui va venir bouleverser le statut quo en créant les semences du conflit majeur de l’histoire.
Une autre forme de conflit est relative au triangle (généralement amoureux).
Imaginons trois personnages : deux hommes (Albert et Albéric) et une femme (Berthe). Albert et Berthe sont d’une classe sociale plus élevée que celle d’Albéric qui est d’une famille rurale alors qu’albert et Berthe sont issues d’une famille bourgeoise parisienne.
- Berthe est attirée par Albert. Son jeu de séduction est directe : le clignement de ses yeux s’accélère lorsqu’elle est en face de lui et elle adopte une moue plutôt indifférente vis-à-vis d’Albéric. En la présence d’Albert, on peut même dénoter une légère rougeur sur les joues de Berthe. Tout indique dans le comportement de Berthe son intérêt pour Albert.
Mais Albert n’est pas du tout attiré par Berthe. Au mieux, il est indifférent et au pire, il la rejette carrément. Berthe en conçoit de la tristesse, elle est pleine de doutes et de confusion. Malgré elle, elle tente de dissiper son malaise en s’en prenant assez violemment à Albéric, le provoquant sans raison.
Mais le plus souvent, Berthe se replie sur elle-même, s’enfermant dans un mutisme dérangeant et inquiétant. - Albéric est dans une situation délicate : son amitié pour Albert est indéfectible et le regard qu’il porte sur Berthe n’est pas dénué de passion car Albéric est secrètement amoureux de Berthe. Il sait pourtant que Berthe est amoureuse d’Albert.
Albert s’est d’ailleurs confié à Albéric sur la gêne qu’il ressent devant les avances de Berthe et en la présence d’Albéric n’a pas hésité à humilier Berthe pour tenter de lui montrer que cet amour ne l’intéresse pas.
Albéric alors commence à en vouloir à son ami de traiter ainsi Berthe pour laquelle il a un tendre sentiment. Mais celle-ci reste sourde aux appels d’Albéric, tout comme Albert qui ne comprend pas la réaction de son ami, empreinte de jalousie.
Albéric est lui aussi blessé, confus et finit par sombrer dans la dépression ne pouvant exprimer ses sentiments ni à Albert, ni a Berthe. - Albert, désemparé devant l’état de son ami, essaie de le réconforter en vain. Mais Albéric reste distant. Albert, dans un élan de sincérité, finit par faire comprendre d’abord de manière ambigüe sans qu’Albéric comprenne puis plus clairement que son orientation sexuelle est tournée vers les hommes, mais que jusqu’à présent, il n’a pas réussi à accepter cette tendance et s’y refuse créant en lui un conflit permanent et douloureux.
A partir de cette histoire entre ces trois personnages apparaît déjà des thèmes complexes dont le conflit est le support :
– l’amour non partagé, le désespoir amoureux (marqué par la dépression d’Albéric),
– la jalousie, l’envie (Albéric est en effet envieux d’Albert), le rejet (Berthe est rejetée par Albert et elle-même rejette Albéric),
– problème d’identité sexuelle (le conflit intérieur d’Albert),
– problème de classes sociales (on peut imaginer que les positions sociales de ces jeunes gens interviennent sur la qualité de leurs relations et que Berthe, par exemple, ne peut concevoir une relation intime et sincère avec Albéric, issu d’un milieu social différent du sien).
Concernant ce type de conflit, beaucoup d’auteurs (surtout lorsqu’ils débutent) aimeraient s’attaquer à de tels thèmes. Ils s’avèrent cependant que dans de nombreux cas (donc dans de nombreuses histoires), ces auteurs sont incapables de traiter convenablement ces thèmes.
Au lieu d’exposer le conflit, ils montrent un protagoniste s’enfonçant dans une lie abjecte mais jamais, ils ne montrent ce qui a causé cette descente aux enfers. Or c’est justement celle-ci qui donne de la substance à une histoire et un aspect tridimensionnel à un personnage (incluant un passé qui explique souvent la nature du conflit actuel).
Nous continuerons d’aborder cette descente aux enfers dans le prochain article.
Cet article est très librement inspiré de Lex Williford.