Genre : thriller, drame, inclassable (interdit aux - 16 ans)
Année : 1997
Durée : 1h43
L'histoire : Une famille composée d'un couple et de leur fils passe ses vacances au bord d'un lac. Deux jeunes hommes leur rendent visite sous un prétexte futile. Ils les séquestrent et leur font vivre un enfer.
La critique :
Réalisateur et scénariste autrichien, Michael Haneke débute sa carrière à la télévision au milieu des années 1970. En 1989, il décide de réaliser son tout premier long-métrage, Le septième continent. En 1992, Michael Haneke signe un second film polémique, Benny's Video. A travers cette deuxième réalisation, Michael Haneke s'interroge déjà sur le thème de la violence, à la fois disséminée au cinéma et dans une société capitaliste de plus en plus nombriliste et égotiste.
Surtout, le cinéaste analyse le rapport de l'individu à l'image, thématique qu'il explore à nouveau avec Funny Games, sorti en 1997. Ce film va définitivement asseoir la réputation de Michael Haneke au cinéma. Long-métrage controversé, Funny Games est présenté en compétition lors de sa présentation au 50e festival de Cannes.
Le long-métrage déclenche immédiatement les anathèmes et les quolibets. Fustigé et vitupéré par la presse, Funny Games ne fait clairement pas l'unanimité. Certaines critiques fulminent et accusent Michael Haneke d'une exploitation outrancière de la violence et de l'horreur au cinéma. A contrario, d'autres critiques se montrent beaucoup plus panégyriques et exaltent les nombreuses qualités du film, entre autres techniques et esthétiques. Au fur et à mesure des années, Funny Games va devenir la nouvelle référence du cinéma choc et polémique. Difficile par ailleurs de ranger le film dans une catégorie : drame ou thriller ?
Certains fans jubilent et parlent même du nouvel "Orange Mécanique". Michael Haneke serait-il le digne épigone de Stanley Kubrick ? Dix ans plus tard, il réalise un remake américain, Funny Games U.S., qui reprend plan pour plan le film original, cette fois-ci avec des acteurs hollywoodiens (Naomi Watts, Michael Pitt et Tim Roth).
En l'espace d'une décennie, Funny Games est donc devenu un véritable phénomène, sujet à de nombreux débats (houleux) sur la Toile. Reste à savoir si le film est bel et bien la claque annoncée. Réponse dans les lignes à venir... La distribution du long-métrage réunit Arno Frisch (qui tenait déjà le rôle principal dans Benny's Video), Susanne Lothar, Ulrich Mühe et Frank Giering.
Attention, SPOILERS ! Un couple (Anna et Georg), leur fils et leur chien partent passer quelques jours dans leur maison de campagne près d'un lac. En passant devant la maison de leurs voisins, ils s'étonnent de la présence de deux jeunes gens, Paul et Peter. À peine arrivés dans leur propre logement, l'un de ces deux adolescents vient leur demander un service. Il se comporte avec une grande politesse, mais son attitude suscite un certain malaise.
Ayant pris en main le portable de la mère, il le laisse tomber, par une feinte maladresse, dans l'évier rempli d'eau. Les deux intrus vont progressivement adopter un comportement de plus en plus violent et prendre la famille en otage. Indubitablement, Funny Games est un film polémique qui suscite (encore une fois) la polémique et la controverse. On peut aussi le voir comme la suite logique de Benny's Video.
Ce n'est pas un hasard si Michael Haneke convoque à nouveau Arno Frisch pour jouer le psychopathe fallacieux, obséquieux et pernicieux. En outre, l'acteur possède à la fois un visage angélique et un sourire infatué pour mieux farder ses intentions bellicistes. Le moindre regard de ce tueur machiavélique suffit à créer ce sentiment de malaise, par ailleurs omniprésent sur toute la durée du film.
En l'occurrence, Arno Frisch (dans le rôle de Paul) trouve un nouveau compagnon tout aussi retors et perfide. Son nom ? Peter (Frank Giering). A l'instar de son compagne ténu et longiligne, lui aussi se montre un peu trop courtois et affable pour ne pas semer le doute dans l'esprit du spectateur. C'est là que se situe la grande nouveauté (et la grande force) de Funny Games : le spectateur est convié à partager la souffrance et la douleur d'une famille bourgeoise et sans histoire.
Celui-ci devient à la fois l'acteur et le sixième protagoniste du film. Nous sommes donc invités à regarder et presque à reluquer le long supplice d'un couple et de leur fils condamnés à la mort, à la honte et à la déréliction. Certes, beaucoup de critiques de Funny Games le considèrent comme une métaphore ou une allégorie sur la violence au cinéma. Mais pas seulement.
Funny Games va beaucoup plus loin dans sa diatribe. Le long-métrage s'apparente surtout à une retranscription de la violence dans notre société capitaliste et consumériste. Ici, point d'analyse ou de longues circonlocutions sur le passé de ces deux psychopathes. D'ailleurs, les deux criminels juvéniles s'ébaudissent de cette trame néanmoins plausible.
Par conséquent, inutile de rechercher des failles dans leur passé personnel ou familial. Les deux jeunes éphèbes assassinent, étripent, flinguent juste pour le plaisir de tuer. Torturer et regarder ses victimes se languir sous des cris d'orfraie devient un jeu comme un autre. Pis, les règles peuvent être modifiées et annihilées. En outre, Michael Haneke joue avec les nerfs du spectateur. A l'image de cette mère de famille qui tire sur l'un des deux criminels.
Vaste chimère répond Michael Haneke. Ici point de happy end. Le cinéaste décide de prendre partie pour ses deux criminels. La société bourgeoise, celle qui détient le capital, doit être exterminée dans les pleurs, la décadence et l'indifférence générale. Ainsi, dans Funny Games, tout est possible, concevable et même interchangeable, à condition que ce soit nos deux pervers qui pavoisent et ressortent vainqueurs de leur cupidité. Comme un symbole. C'est une télécommande de télévision qui permet à Paul de reprendre les inimitiés. Sournois, le jeune homme s'adresse nûment à la caméra. "Et vous, vous en pensez quoi ?" Totalement désarmé, le spectateur ne pourra jamais intervenir.
Dans Funny Games, il est aussi question de notre propre rapport à l'image et surtout de notre impuissance face à la violence véhiculée par notre société moderne. La fiction a remplacé la réalité. A moins que ce ne soit l'inverse. C'est sûrement pour cette raison que Michael Haneke choisit de ne pas montrer la violence. Dans Funny Games, elle est toujours latente et suggérée.
A nouveau, le spectateur est convié à imaginer l'horreur. De surcroît, il est donc privé de cette fameuse imagerie rougeoyante et doit par lui-même fantasmer les tortures perpétrées par les deux criminels. Bref, Funny Games taraude, interroge et poursuit longtemps après son visionnage. Pour Haneke, depuis Orange Mécanique, la société a franchi un pas supplémentaire vers le précipice. Clairement, on tient là le "choc" cinématographique de ces (presque) vingt dernières années.
Note : 18.5/20
Alice In Oliver