La linéarité du scénario est un classique. Un script linéaire suit un ordre chronologique : un événement se produit et par la grâce d’une relation de cause à effet, un autre événement se produit. Le lien de causalité est un des principaux moyens de mise en œuvre d’une histoire. De plus, cet enchaînement logique des événements est un très bon outil pour développer l’arc dramatique d’un personnage.
Cependant, il existe aussi un autre outil très efficace pour raconter une histoire : la non-linéarité de celle-ci.
La non-linéarité de la structure d’un scénario est mise en place à l’aide de flashbacks ou de flashforwards (projection en arrière ou en avant dans le temps de l’histoire, celle-ci montre des événements passés ou futurs) ; des histoires à l’intérieur de l’histoire principale (Frame Story dans la littérature anglo-saxonne ; l’histoire à tiroir est aussi un dispositif dramatique qui casse la linéarité d’une structure) ; des séquences oniriques ; le montage ; tout dispositif, en fait, visant à fragmenter la structure est en soi le principe de la non-linéarité d’une fiction.
La question en fait n’est pas un choix d’humeur du moment. Vous devriez savoir si votre histoire se prête ou non à être non-linéaire. Cinq points sont à considérer pour répondre à cette question :
Le premier point est évident : votre histoire a-t-elle vraiment besoin d’être non linéaire ? Si vous privilégiez le style et non la substance, votre histoire n’intéressera pas et vous serez probablement mal jugé donc aucune chance pour le devenir de votre scénario. Si la non linéarité de votre structure ne s’impose pas, conservez la méthode classique et ne cherchez pas à masquer ce que vous pourriez prendre pour des faiblesses à-travers une originalité mal pensée. Il est fort probable que plus souvent qu’à son tour, suivre la linéarité des événements aura plus d’impact pour votre histoire que l’inverse.
Il est généralement préférable d’accrocher le lecteur immédiatement et avec quelque chose d’intéressant.
Voir à ce sujet :
L’ACCROCHE
Le souci est de considérer l’accroche pour sa fonction : accrocher le lecteur. Or l’auteur ne donne pas immédiatement les informations qui entourent cette accroche, c’est-à-dire ce qui la justifie dans l’histoire, ce qui lui donne du sens. L’auteur applique donc une non linéarité aux évènements.
Souvent, le personnage (qui n’est donc pas le héros de l’histoire) impliqué dans l’accroche ne réapparaît pas avant le second acte et le risque de retarder l’introduction d’un personnage en jouant avec l’antériorité des événements dans lesquels il apparaît ET le temps de l’histoire est que le lecteur ait du mal à identifier qui est qui, qui fait quoi et pourquoi.
Les personnages devraient être introduits très rapidement dans l’histoire ainsi que l’histoire elle-même c’est-à-dire qu’il devrait être accordé autant d’importance à décrire les personnages que les situations dans lesquelles ils sont impliqués. En choisissant une non-linéarité, vous mettez à mal l’exposition, la situation initiale de votre histoire. Le risque est que vous perturbiez votre lecteur qui décroche alors rapidement de votre histoire.
Le flashback est un dispositif dramatique très utile lorsque l’histoire a besoin de montrer des événements passés pour expliquer ceux du présent. Le souci est lorsqu’un flashback est utilisé au cours de l’Opening Image, c’est-à-dire dès la première page de votre script.
A lire à ce sujet :
L’IMPORTANCE DE L’OPENING IMAGE
MICHAEL HAUGE & L’OPENING IMAGE
L’EXPOSITION
Si vous n’avez pas de vraies bonnes raisons pour débuter votre histoire avec un flashback, abstenez-vous. Pourquoi ?
Parce que votre lecteur n’a pas les informations pour comprendre qu’il s’agit d’un flashback si vous ne lui avez pas présenté au préalable ce à quoi se rapporte cet événement du passé. Donc avant de décider de démarrer votre fiction avec un flashback, demandez-vous si ce dispositif sert fidèlement votre histoire ou si au contraire, il va venir contrecarrer votre intention.
A propos d’intention, est-ce que votre histoire s’accorde bien avec ce que vous avez l’intention de dire ? Est-ce que le choix de la non-linéarité de votre structure ne va pas aller à l’encontre de votre thème, de votre message (c’est-à-dire votre réponse personnelle au thème retenu) et aussi ce choix s’accorde-t-il bien avec le genre qu’a endossé votre histoire ?
Si vous avez opté pour une structure non-linéaire sans avoir pris le temps du bien-fondé de cette décision, vous risquez de tomber dans le cliché, à force de vouloir insérer de force des dispositifs dramatiques qui ne sont pas fait pour cette histoire. Comprenons-nous bien : vous pouvez employer une structure classique ou non, cela dépends seulement de votre histoire et non seulement de vous. Commencez avec une séquence onirique par exemple est un bon exemple de cliché (à éviter, donc).
Par ailleurs, ce n’est pas parce que vous ressentez le besoin d’exposer le passé de vos personnages que vous devez vous lancer dans une déstructuration : vous pouvez communiquer des bribes du passé de votre personnage à n’importe quel moment de votre histoire, en particulier dans les scènes qui illustrent des points de conflits. Une réponse particulière (attitude, comportement, réaction ou action) lors d’une scène conflictuelle peut donner autant d’indices que nécessaire pour désigner un traumatisme survenu dans l’enfance de votre personnage (ou dans un passé plus immédiat).
A lire :
CONFLIT, STRUCTURE & IMAGINATION – PART 1
Vous devez parvenir à faire en sorte que votre lecteur parvienne par induction à comprendre votre intention. Par les indices et les informations que vous essaimerez tout au long de l’intrigue et de votre histoire, vous lui fournirez les moyens de saisir certaines conjectures possibles sur un personnage. Ainsi, il peut comprendre et accepter certains de ses comportements et s’identifier au personnage sur des présomptions (que vous pourriez ou confirmer ou infirmer lors du dénouement). Faites en sorte aussi de ne pas rendre votre scénario trop prévisible en prodiguant trop d’indices et faire de votre personnage un stéréotype. Vous devez lui donner de la profondeur et ne pas le dessiner selon un profil préétabli (cliché et stéréotype ont la même essence).
Une notion à comprendre est que la non-linéarité possède paradoxalement sa propre structure. Délinéariser une histoire revient à définir une structure différente de la structure classique où les évènements se succèdent selon un rapport causal.
Une structure non-linéaire est un objet bien équilibré. Considérez la série des Jason Bourne, chacune des histoires est un raffinement de déstructuration, tout est logique, tout est relié. L’assemblage des flashbacks constitue une histoire qui se suffit à elle-même tout en apportant des réponses à l’histoire qui se déroule dans le présent de Bourne.
Dans Memento de Christopher et Jonathan Nolan, l’intrigue principale et secondaire permutent sans que ne soit troublée un seul instant la logique de l’histoire (même si l’attention du lecteur est fortement sollicitée s’il désire comprendre cette histoire).
Dans Prémonitions de Bill Kelly dirigé par Mennan Yapo, par le jeu des séquences oniriques (les prémonitions), l’histoire distribue les moments par des sauts en arrière dans le temps de la fiction sans jamais perdre le lecteur en cours de route.
Dans Pulp Fiction, les informations sont même données dans un ordre anachronique, à charge pour le lecteur de rassembler les informations.