Précédemment, ICI, nous avons commencé à parler de la descente aux enfers du personnage. C’est effectivement ce que décrit une histoire, elle est avant tout l’histoire d’une spirale décadente, une destinée que le conflit majeur de l’intrigue permet d’illustrer.
Cette spirale se dénoue à la fin de l’histoire soit en montrant une rédemption, soit en montrant une damnation ou une mort. En des termes plus contemporains, nous pourrions dire que le dénouement se concrétise par une thérapie, un épanouissement personnel ou le cas échéant par une cure de désintoxication voulue et réussie, d’une part, ou d’autre part, par un effondrement irrémédiable dans l’alcoolisme ou une addiction quelconque, ou encore par un suicide ou bien le meurtre.
Comment se concrétise cette descente aux enfers dans la fiction ? Par le biais des scènes qui se succèdent et qui mettent en avant un conflit. L’aspect fonctionnel des scènes est ainsi marqué par la démonstration du conflit qu’elles véhiculent (la fonction d’une scène est de montrer du conflit). Même dans une scène apparemment anodine qui contient en puissance les germes d’un conflit, celle-ci prépare justement ce conflit en apportant au lecteur quelques informations qui vont venir éclaircir les raisons, les motivations, la légitimité du conflit. Le conflit latent dans ce type de scène de préparation devrait même suinter, c’est d’ailleurs en observant ce conflit prendre forme que l’intérêt et l’attention du lecteur sont maintenus.
Ceci est un concept que certains auteurs oublient parfois même si leur histoire est d’autre part fascinante, si la forme est défectueuse, le lecteur aura du mal à rester accroché.
Pour appuyer notre propos, nous vous conseillons la lecture des quelques articles suivants :
STORY VALUES
STORY EVENTS, STORY VALUES ET STRUCTURE
ROBERT McKEE : LES STORY EVENTS
Une chose est certaine : en tant qu’individu, vous avez une voix et une vision uniques, alors écrivez vos scènes (des scènes qui montrent le conflit) avec cette particularité (voix et vision) qui vous caractérise.
Des scènes obligatoires
Afin de bien décrire le conflit majeur de votre histoire, vous allez devoir écrire certaines scènes afin de montrer ce conflit. Ces scènes sont nécessaires pour rendre vos personnages crédibles et les étoffer pour en faire des êtres passionnants.
Reconsidérons l’exemple de Berthe, Albert et Albéric que nous avons vu lors du précédent article ICI.
Ces trois personnages veulent la même chose : l’amour.
– Berthe veut l’amour d’Albert,
– Albéric veut l’amour de Berthe,
– Albert, s’il accepte ses penchants homosexuels, veut l’amour d’Albéric.
Pour développer cette histoire, il vous faut obligatoirement inclure des scènes qui vont illustrer les différents nœuds dramatiques de votre fiction (des nœuds sans lesquelles votre histoire ne tient pas, c’est-à-dire que c’est l’assemblage de ces nœuds qui constituent votre intrigue et votre histoire dans sa totalité) :
- La situation initiale de Berthe vis-à-vis de l’amour (au début de l’histoire, elle n’est pas en couple. Cette information doit être précisée au lecteur).
- La relation entre Berthe et Albert (l’attirance marquée de Berthe envers Albert et la réaction très froide et sèche d’Albert en retour).
- La relation entre Berthe et Albéric (la tentative d’approche d’Albéric envers Berthe et l’indifférence de Berthe).
- Le conflit personnel d’Albert qui accepte mal son homosexualité (peut-être une scène où il est seul dans la chambre de Berthe et est fasciné par les tenues vestimentaires très féminines de celle-ci).
- La relation entre Albert et Albéric. Le meilleur ami d’Albéric est Albert mais pour Albéric, il s’agit d’une amitié virile ce qui n’est pas le cas pour Albert. Cette scène est très délicate à placer dans la chronologie de l’histoire. Elle pourrait être réservée pour le climax, le moment qui précède le dénouement de l’histoire par l’intensité qui s’en dégage. C’est en effet au cours de cette scène qu’Albert avoue son homosexualité à Albéric.
- La dépression d’Albéric. Cette scène est importante parce qu’elle fragilise le personnage d’Albéric et peut l’amener à affronter directement Albert puisqu’il ne comprend pas la brutalité de ce dernier envers Berthe. Cette scène nous apparaît plus importante que l’état de doute et de confusion dans lequel se trouve Berthe après qu’elle fût rejetée par Albert. Cette scène où le profond désarroi d’Albéric est montré peut expliquer la réaction de celui-ci devant l’élan de sincérité dont Albert fera preuve en lui confiant son lourd secret. Cette réaction ne sera donc pas du tout celle qu’Albert attendait et elle s’inscrit au cours de cette scène.
- Le dénouement. Cette scène montre l’état des relations entre les trois personnages. Elle donne la réponse à la problématique soulevée par l’histoire. En tant qu’auteur de cette histoire, on sait qu’Albert ne sera jamais aimé d’Albéric ; on sait qu’Albéric ne sera jamais aimé de Berthe et l’on sait que Berthe ne sera jamais aimé d’Albert.
La question dramatique que nous posons au cours de cette histoire est de savoir si ces personnages connaîtront l’amour et notre réponse en tant qu’auteur est non. Notre dénouement doit donc montrer que l’amour entre eux est impossible peut-être en les éloignant définitivement les uns des autres. Dans le dénouement apparaît la réponse personnelle de l’auteur (son message) au thème qu’il développe.
Chacun de ces nœuds dramatiques ajoute au conflit en illustrant un aspect particulier de ce conflit majeur de l’histoire.
Quel est le conflit majeur ? les relations interpersonnelles des personnages dans leur rapport particulier à l’amour.
Même la scène où l’état émotionnel de Berthe est décrit (où l’on montre au lecteur qu’elle ne vit pas en couple et qu’elle est dans un grand manque affectif) prépare le conflit majeur. Souvent, d’ailleurs, il vous faudra plusieurs scènes afin de bien montrer un aspect particulier du conflit qui doit nécessairement être intégré dans l’intrigue ou/et dans la personnalité des personnages. Vous pourriez même avoir recours au principe des séquences pour structurer votre histoire.
A lire à ce sujet :
LES SEQUENCES
POURQUOI DES SEQUENCES ?
LE PRINCIPE DES 8 SEQUENCES
Quelques points à retenir :
- Il est très difficile de montrer un conflit personnel c’est-à-dire l’intériorité d’un personnage surtout s’il n’existe pas un autre personnage qui pourrait entrer en conflit avec lui. En fait, c’est le conflit externe, visible de tous (surtout du lecteur), qui va permettre d’exprimer d’une manière détournée l’intériorité d’un personnage.
Un conflit personnel est crucial pour le développement d’un personnage et de l’histoire mais il réclame souvent au moins deux personnages pour le désigner, le développer et l’approfondir.
Par exemple, la scène où Albert montre un intérêt étrange pour la garde-robe de Berthe reste ambigüe dans sa signification mais celle-ci se révèle au cours de la scène où Albert va se confier auprès d’un Albéric qui n’est pas vraiment à l’écoute. C’est dans la confrontation des deux hommes que la vraie nature d’Albert (et le conflit qui mine Albert de l’intérieur) va se dévoiler, s’exhiber. Sans ce conflit entre Albert et Albéric, nous n’aurions jamais pu expliquer le problème personnel d’Albert, une information importante pour la compréhension de l’histoire parce qu’il explique la rudesse d’Albert envers Berthe et les conséquences de ses manières de goujat sur les émotions d’Albéric. - La vie est compliquée parce qu’elle est subtile. Travailler sur un personnage afin de lui offrir un passé, un traumatisme dans son enfance, une situation sociale est nécessaire mais vous réussirez probablement un profil plus passionnant si vous envisagez vos personnages dans leurs relations.
C’est dans leurs relations aux autres qu’ils deviennent vraiment fascinants. Explorez ces relations. Essayez de trouver des liens qui soient aussi complexes que la vie.
Considérez un personnage, votre héros. Lors de la constitution de celui-ci, vous allez imaginer, par exemple, qu’il existe 10 autres personnages qui gravitent autour de lui. Votre héros aura un lien particulier avec chacun de ces 10 personnages. Selon la fonction que vous attribuerez à chacun de ces 10 personnages selon les besoins de votre histoire, la relation entre le héros et chacun d’eux aura une couleur, une tonalité spécifique.
C’est en travaillant à partir des relations de votre héros que vous parviendrez à en faire un personnage en trois dimensions.
A lire :
PERSONNAGE A TROIS DIMENSIONS - Parmi tous les nœuds dramatiques qui constituent votre histoire, vous devriez identifier tous ceux qui sont des points de conflits et écrire une scène (ou une séquence) illustrant ce conflit.
Nous vous conseillons de relire nos articles à propos des Story Events et Story Values tels que les définit Robert McKee car il est important qu’une scène ou une séquence qui illustre un conflit provoque un changement de valeurs (ou de point de vue) chez les protagonistes de cette scène.
Nous y reviendrons dans le prochain article.
A lire (la première partie de cet article) :
CONFLIT, STRUCTURE & IMAGINATION – PART 1
Cet article est très librement inspiré de
Lex Willicot