La chute des idoles.
Au début, il y avait Bruxelles, sinistre cité dont le gris du ciel trouvait son miroir dans le noir goudron recouvrant les larges avenues. À cette scène vierge, Dieu y ajouta des animaux, des girafes et des poules, des êtres pourvus d’une intelligence suffisamment médiocre pour faire naître lentement en lui un terrible sentiment d’insatisfaction. Alors, le démiurge créa l’homme et la femme afin d’étancher sa soif de domination. Depuis ce jour, il met un point d’honneur à empoisonner leurs existences en édictant « les lois de l’emmerdement universel », principes fondamentaux régissant la marche du monde dans une file d’attente, la gravité d’une tartine beurrée, ou les réactions téléphoniques provoquée par un corps plongé dans l’eau du bain. Le grand horloger est donc un enquiquineur de première classe, et un odieux seigneur de guerre qui tire profit de son influence pour précipiter les êtres humains vers le chaos, les engageant à se massacrer en son nom. Dans l’intimité, le créateur, épousant les traits monstrueux et le timbre braillard d’un Benoit Poelvoorde en roue libre, ne se montre guère plus plaisant. Il se révèle un père et un époux particulièrement inhumain, corrigeant sa fille, Ea, à coup de ceinturon lorsque cette dernière blasphème contre son autorité, et traînant sa femme (Yolande Moreau, toujours présente pour jouer les idiotes) plus bas que terre lorsque sonne l’heure d’inventorier les vignettes Panini. Jusqu’au jour où sa descendance, las de cette vie misérable, diffuse les dates de décès et quitte ses pénates afin d’écrire un tout nouveau testament, au grand dam de son père, privé de son pouvoir. Au hasard Balthazar, la petite Ea sélectionne six apôtres qui, en s’additionnant aux douze jadis réunit par son frère, lui permet d’atteindre le chiffre prophétique de dix-huit qu’affectionne particulièrement sa mère, fan de base-ball. On reconnait bien dans cette fable fantasque le caractère iconoclaste, mélancolique et fantaisiste du cinéma de Jaco Van Dormael. Sur ce principe de ré-écriture, son évangile, élaboré à quatre main avec le scénariste Thomas Gunzig, s’autorise à faire tomber les idoles (Catherine Deneuve et François Damiens, dans des rôles à contre-courant) et engendrer de nombreuses excentricités visuelles loin d’être déplaisantes, même si parfois d’un mauvais goût par instant totalement assumé. Malheureusement, le réalisateur se retrouve très vite étranglé par la densité de son sujet. Sa relecture sous opium numérique des saintes écritures, alignant les cantiques sur la merditude des choses et le culte de la matérialité, cloue le mordant de son récit sur l’autel d’apartés monocordes et interminables entre l’angélique prophète et ses favoris. En effet, ces six élus mènent tous des vies de merde, se présentant comme des ratés, des inadaptés, des rébus de la société, exploité, abandonné et trompé. Tous vont reconsidérer leur existence à l’aube de leur mort prochaine. Tous vont s’abandonner dans les bras d’une passion secrète. Aussi belle soit-elle, cette ritournelle s’étire inexorablement et borne la lecture à celle d’une inoffensive pochade douce-amère, participant à la faillite de son discours. Finalement, Dieu seul sait quelles étaient les intentions originelles sur lesquelles reposait ce Tout Nouveau Testament tristement inégal. (2.5/5)