Florence Foster Jenkins, milliardaire américaine née à la fin du XIXème siècle, était passionnée d’art lyrique et avait la particularité de chanter plus faux qu’une casserole. Comme beaucoup d’autres personnes en ce bas monde, certes. Sauf que d’ordinaire, ces dernières ont conscience des sons cacophoniques qu’elles produisent et s’abstiennent de pousser la chansonnette en public. Or, durant toute sa vie, Florence Foster Jenkins a donné de nombreux récitals tout en étant persuadée d’avoir une voix digne des plus grandes soprano. Son public était composé d’hypocrites n’osant pas lui dire combien ses vocalises étaient insupportables ou de moqueurs riant à ses dépens.
Certains prétendent que Hergé s’est inspiré d’elle pour créer le personnage de Bianca Castafiore dans “Les Aventures de Tintin”, mais cela n’a jamais été prouvé. En tout cas, c’est bien son histoire qui a servi de base à Xavier Giannoli pour le scénario de Marguerite et la création du personnage éponyme, joué avec enthousiasme par Catherine Frot.
Il raconte l’histoire de Marguerite Dumont (hommage à la Marguerite du “Faust” de Gounod ou à l’inénarrable Margaret Dumont, victime préférée des Marx Brothers ?), une riche baronne qui, dans le Paris des Années Folles, utilise sa fortune pour donner des concerts caritatifs en faveur des victimes de la Grande Guerre. Elle sait se montrer généreuse envers les jeunes artistes qu’elle invite à chanter et les réceptions qu’elle organise sont très prisées par son cercle d’amis. Le problème, c’est qu’elle insiste pour chanter elle-même lors de ces concerts et qu’elle a une voix absolument épouvantable, du genre à briser les verres en cristal quand elle pousse dans les aigus. Ses vocalises sont insupportables, mais personne n’ose lui dire la vérité, par intérêt, par politesse ou par peur de lui faire du mal. Son mari (André Marcon) ne supporte pas de la voir se ridiculiser ainsi en public, mais il joue le jeu. Tout va pour le mieux tant que le “talent” de Marguerite reste confiné dans leur salon de réception.
Mais un jour, Lucien Beaumont (Sylvain Dieuaide), un jeune journaliste manipulateur, et son ami Kyril Von Priest (Aubert Fenoy), escroc anarchiste, l’incitent à se produire devant un vrai public… Il va être compliqué de l’en dissuader, et plus encore de la préserver du jugement des autres…
Dans sa construction, le film évolue comme une comédie. Si les oreilles saignent, les zygomatiques travaillent à plein régime. On s’amuse de voir Marguerite massacrer le très guindé répertoire classique, à commencer par Mozart et sa “Flûte enchantée”. On se bidonne quand elle provoque malgré elle une émeute lors d’un spectacle anarchiste, où sa version très personnelle de “La Marseillaise” est prise pour une provocation. Et on rit de bon coeur en voyant l’improbable équipe chargée de lui donner des cours de chant et de la préparer à la scène, la vraie : un chevalier de la manchette italien, une femme à barbe, un pianiste sourdingue et un domestique Noir très zélé.
Mais plus le film avance, plus il devient grave. Comme les autres personnages du film, on s’attache à Marguerite. On éprouve une profonde empathie pour cette femme qui s’est investie corps et âme dans le chant et la musique, surtout quand on réalise que c’est pour elle un moyen de tromper la solitude et d’exister un peu aux yeux d’un mari qui la délaisse et de proches qui la méprisent. Elle ressemble, par bien des aspects, aux personnages des films précédents de Xavier Giannoli : au chanteur de bal de Quand j’étais chanteur, vivant son rêve de carrière musicale loin des feux des projecteurs, au petit escroc s’improvisant chef de chantier et accomplissant plus que des professionnels dans A l’origine. Des gens simples, sans grand talent, sans diplômes, sans succès, mais donnant tout ce qu’ils ont pour que leur rêve prenne vie et que l’on s’intéresse à eux. Marguerite chante faux mais elle s’investit complètement dans sa passion. Et finalement, dans cet univers petit-bourgeois où les hypocrites côtoient les escrocs, elle est la seule à être vraie et intègre. Mais cela, hélas, ne pèse pas bien lourd face aux railleries, aux moqueries, aux critiques acérées…
On sort du film bouleversés par le destin du personnage, par la performance remarquable de Catherine Frot, toute en nuances et en subtilité, d’une justesse inversement proportionnelle à la justesse de la voix de Marguerite, par le profond humanisme qui se dégage de l’oeuvre.
Bien que snobé à la dernière Mostra de Venise, où il est reparti bredouille de la compétition, Marguerite est un film passionnant qui mériterait un beau succès en salles. C’est tout le mal que l’on souhaite à Xavier Giannoli, Catherine Frot et toute leur sympathique équipe.
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Marguerite
Marguerite
Réalisateur : Xavier Giannoli
Avec : Catherine Frot, André Marcon, Michel Fau, Théo Cholbi, Christa Théret, Sylvain Dieuaide, Aubert Fenoy
Origine : France
Genre : chanté faux mais joué juste
Durée : 2h07
date de sortie France : 16/09/2015
Contrepoint critique : Critikat