Quand petit devient grand.
Parmi toutes les enfances s’agitant sous ses fenêtres, dans les rues de la petite citée industrielle de Dombasle-sur-Meurthe, Philippe Claudel en a choisi une, celle qu’incarnera, sous sa plume et devant sa caméra, le petit Jimmy. Il ne rêve plus, Jimmy. Il admire les exploits sportifs de Yannick Noah sur sa petite télévision à tube cathodique. Il observe les amateurs verser quelques perles de sueur sur la terre ocre du club de tennis local. Il s’approprie, en cachette, une raquette dénudée pour tirer quelques balles dans l’arrière-cour de sa maison. Mais Jimmy demeure dans sa chrysalide, pensant que ce monde qui s’étend au-delà de son horizon n’est pas le sien et qu’il ne le sera jamais. Parce que son orientation est déterminé, en huis-clos, en son absence, par sa mère et son beau-père. Parce que sa vie est intimement lié à la leurs, des cas sociaux dont l’alcool, la drogue et la haine du politique font le lit d’un foyer destructeur. Alors, pour s’arracher de ce quotidien, il papillonne, avec son petit frère, le long des clairières, et s’abandonne dans les mots doux de Lila (Catherine Matisse, solaire), une grand-mère au parfum d’autrefois, une vaillante « vieille branche » à laquelle il tente de se raccrocher. Une enfance qui, par la nature de son titre, demeure singulière, unique, et paradoxalement inscrite sous l’influence d’un paysage social collectif, faisant ainsi écho à de centaines d’autres, plus terribles encore. Son récit capte également le regard des autres, des instituteurs, des élèves, des voisins, de ceux qui font de cette situation une aberration naturelle. Néanmoins, l’intention originelle du scénariste et cinéaste n’était pas de créer un climat dépressif. En effet, il préfère tracer, avec une certaine délicatesse formelle, le bref parcours de cet enfant de notre siècle, invoquant pour cela l’esprit du néoréalisme italien. Le réalisateur avait déjà manifesté son admiration pour cette culture avec Tous Les Soleils, comédie aux accents méditerranéens. Ici, il emprunte le chemin du Voleur De Bicyclette, trouvant d’autres couleurs, plus chaudes, plus fraiches, plus spontanées, incarnant le solstice de cette existence qui bourgeonne, deux ans après avoir décrit son crépuscule, Avant l’Hiver. Claudel filme sa ville comme un rayon de soleil perçant la grisaille, laissant la lumière, celle de la nature, celle de son acteur principal, Alexi Mathieu, pénétrer l’objectif de sa caméra et embrasser les ballades enivrantes de Ray LaMontagne. Ce gracile désenchantement rappelle également un certain cinéma américain, celui qui s’amourache de son pays profond et de ses gueules fatigués (Mud, Joe). Mais cette enfance française, belle et authentique, s’émancipe de toutes ces références pour finalement suivre son propre chemin. (4/5)
Sortie nationale le 23 septembre 2015.
Une Enfance (France, 2015). Durée : 1h40. Réalisation : Philippe Claudel. Scénario : Philippe Claudel. Image : Denis Lenoir. Montage : Isabelle Devinck. Distribution : Alexi Mathieu (Jimmy), Angelica Sarre (Pris), Pierre Deladonchamps (Duke), Jules Gauzelin (Kevin), Patrick d’Assumçao (l’instituteur), Catherine Matisse (Lila), Fayssal Benbahmed (Mouss).