Au cinéma : «Sicario»

Par Masemainecinema @WilliamCinephil

De guerres de cartels en derniers retranchements de la morale : l’ouverture de Sicario glace le sang et présage l’inarrêtable machinerie de violence. Une poignée de métrages à son actif (Incendies, Enemy, Prisoners…), Denis Villeneuve a su imposer son regard glacé sur les tourments de l’Homme avec le brio d’un Auteur. En concentrant ses récits autour de thèmes aussi grands que la parenté, la conscience ou le pouvoir, le canadien attise aussi un fiévreux conflit entre justice et morale.

Et c’est plus que jamais le cas avec Sicario, dernier-né de sa filmographie. La frontière USA/Mexique y est le théâtre d’une lutte sanglante entre police et cartels. Prise dans la tempête, l’agent FBI Kate Macy (Emily Blunt) va devoir collaborer avec le trouble Matt (Josh Brolin) et la sombre figure du « consultant » qui l’accompagne, Alejandro (Benicio Del Toro).

Frontières, transitions et allers-retours entre justice et immoralité : Villeneuve fait encore graviter sa force de mise en scène autour d’un noyau thématique solide et cohérent. Son ciment ? Une photo exigeante, saisissante, en perpétuelle recherche. Son directeur Roger Deakins (dont les qualités se sont adaptées tant à Dragons ou Wall-E qu’à No Country for Old Men et Skyfall) confirme ici plus que jamais son statut d’intouchable, d’artiste indispensable. Pour Sicario, il y modèle espaces et images avec le piqué et la vision d’un peintre-raconteur, et navigue d’ambiances en températures sans cahoter.

Villeneuve, à l’aise comme un pois(s)on dans l’eau, est évidemment pour beaucoup dans l’expérience et son intensité. De cadres aériens en lentes plongées au plus près de l’atrocité (ne détournant le regard que pour mieux suggérer son étendue), sa mise en scène sert une tension de tous les instants.

Au casting, trois étoiles. Emily Blunt épate, sidère, malmenée à l’excès. Parfait duo, Brolin dérange ; Del Toro joue trouble jeu. Leurs aplombs sont éprouvants. Frôlent l’inhumain. Et comme pour compléter le trio d’un quatrième personnage, Johann Johansson sert une BO terrifiante, incarnée, sorte d’écrin fantastique pour y recueillir des images.

Étrange et regrettable en définitive que le bémol du tableau vienne de son fond – le scénario de Sicario est riche en rebondissement mais semble vouloir délaisser l’ampleur du propos pour lui préférer celle des symboles. Le film semble ainsi dialoguer à vide tant ses images-clés et motifs ne résonnent finalement qu’avec une analyse inoffensive de la puissance Américaine et des problématiques liées à la drogue. Faible point de chute.

Sicario est une descente aux enfers orchestrée par un Denis Villeneuve en pleine aise dans l’horreur glaciale – le cinéaste s’accomplit plus que jamais dans le radical, faisant exister un casting impressionnant dans une atmosphère de tension constante. Qu’un script parfois bancal en affaiblisse le rythme, mais de là à l’empêcher de tutoyer les grands films ?

Sicario. De Denis Villeneuve. Avec Emily Blunt, Josh Brolin, Benicio Del Toro, Jon Bernthal, Jeffrey Donovan, Raoul Trujillo, Maximiliano Hernández, Daniel Kaluuya, …

Sortie le 7 octobre 2015.