[La séance de rattrapage #1] E. 2015, Psychothérapie d’une cinéphilie aléatoire

Par Kevin Halgand @CineCinephile
j'vais t'le casser il te faut un nouveau dos Un nouvel [article], un nouveau logo, Tu veux qu'ça parte en pogo? J'ai tout c'qui faut"

-Disiz, Kamikaze, 2014

*Toc toc*

- Oui, entrez. Installez-vous.

Je regardai son visage éteint. Ses yeux paraissaient fatigués et déçus. Il ferma ma porte avec difficulté et s'installa dans mon sofa en soufflant ce qui lui restait d'énergie. Il paraissait épuisé. Je scrutai son dossier médical avec détail et compris très vite sa déprime, facilement identifiable.

- Hum, fais-je, humhum... Racontez-moi tout depuis le début.

- Tout est arrivé d'un coup. Je n'ai rien vu venir. Tout démarrait pourtant si bien ! Les premières sorties paraissaient totalement encourageantes puis tout est parti de travers en une semaine...

Des sanglots jaunes débutèrent à jaillir le long de ses orbites, et coulèrent jusqu'à son bermuda. Je gribouillais déjà mon carnet mais la dépression n'était qu'évidence. Je lui tendis un mouchoir, qu'il refusa sans réfléchir trop longtemps.

- Je... je sais que tout les ans, je me retrouve à avoir quelques moments de spleen, à insulter l'humanité quand je vois ces quelques grands ratés cinématographiques, mais ce ne sont que d'ordinaire que des épiphénomènes qui disparaissent dans le temps

- Continuez. Ne vous laissez pas vous engloutir par vos souvenirs. Nous y ferons face.

- Tout a débuté au mois de juin. Après Vice-Versa, véritable nouveau chef-d'oeuvre des studios Pixar, je me sentais serein. J'avais d'ailleurs posé mes bagages dans le Sud-Ouest landais afin que les températures montent et que tout le monde se réfugie dans des salles climatisées. Puis la catastrophe éclata...

- Comment cela ?

- Un complot. Un complot contre moi ! Que dis-je? Un attentat ! Une véritable conjuration. Et elle a démarré par des personnes que je considérais pourtant comme mes amis.

- Vos... vos amis?

- Oui, la France. Le réservoir de la comédie franchouillarde, le Pôle Emploi du cinéma de genre...

Je sentis sa haine monter au fur et à mesure et le coupai brutalement pour le faire rasseoir.

- Expliquez-moi tout, et détaillez-moi toute votre existence. Je veux que rien ne soit laissé au hasard.

- 24 juin 2015, France. Pierre Morel, modeste - et très moyen - réalisateur français se voit proposer Gunman, thriller alléchant décrit par l'un de ses scénaristes et acteur principal Sean Penn comme un film engagé. Or, tout est faux sur toute la ligne. L'engagement politique est lisse est dénué de véritable intérêt, les quatre scénaristes n'ayant rien poussé pour qu'une véritable réflexion se fasse. Le rythme bâtard, l'histoire stéréotypée jusqu'à la moelle, les cadres désastreux de Morel (hormis une scène d'action en début de film, soit) et le charisme fantomatique de Penn n'offrent même pas une once de divertissement à un spectateur médusé par le long-métrage qu'il aurait pu attendre follement avant coup.

- Je comprends votre désarroi et compatis pour cette méchante tumeur. Il est immoral de subir ça et de faire un film comme ça à l'heure actuelle. Mais je lis sur votre fiche qu'elle a été retirée sans rechute apparente...

Il me prit le bras et me le serra de manière herculéenne. J'écarquillai les yeux.

- Mais cela ne s'est pas arrêté là docteur !! La vie ne m'a pas offert de cadeau en 2015. Deux semaines plus tard, on s'est tapé L es Minions !

- Mais c'est rigolo Les Minions...

- Oui, ça l'est, dans Moi, Moche et Méchant. Or, 90 minutes de débilités infantiles et à but proprement mercantiles, avec des petits êtres jaunes qui sont eux-mêmes des copier-coller de plusieurs comic-reliefs cinématographiques, et des personnages secondaires sans profondeur d'écriture ni charisme apparent même dans leurs voix (Guillaume Canet en tête), ce n'est pas forcément "rigolo", comme vous le dites. En court-métrage, cela ne m'aurait pas dérangé puisque quelques blagues font mouche au milieu de tout ce bordel ennuyeux, mais sur un long-métrage aussi peu inspiré dans tous les domaines du processus de production comme celui-ci, on frôle l'overdose.

- Je comprends.

- Du coup, je commençai à étouffer. La chaleur relevant l'odeur de l'asphalte dans le désert des villes m'enivrait autant que les week-ends des fêtes. Mes tourments refaisaient surface, je ne me sentais plus confiant. Il y a bien eu Mission: Impossible Rogue Nation qui reste efficace bien qu'il manque d'un troisième acte entraînant et d'écriture de personnages secondaires plus conséquente afin de rendre Ethan Hunt (malgré un Tom Cruise toujours aussi parfait) moins indestructible; ou encore Agents Très Spéciaux - Code U.N.C.L.E qui par-delà sa mise en scène ultra-efficace, un charme sixties cool et un Henry Cavill qui l'est tout autant, estompe son horripilant scénario bourré de twists ou un Armie Hammer hors du coup. Même Unfriended est passionnant dans sa manière de traiter l'horreur à partir d'un simple écran d'ordinateur, il regorge d'idées très intéressantes et maintient en haleine son spectateur malgré une intrigue très convenue. Et que dire de Le Prodige, bête film à Oscars à tous les étages au premier abord mais dont les performances extraordinaires de Tobey Maguire et Liev Schreiber relèvent le niveau? Ma dépression démarra alors en même temps que la confusion qui embrouillait ma psyché. Le mauvais se mélangeait de manière trop maligne au bon.

- C'est vrai qu'il a fait un temps très bizarre fin juillet dans le département, entre soleil brûlant et pluie torrentielle...

- Ne mélangez pas tout docteur. Ça, c'était à cause de Mr.Robot et True Detective. Vu que le cinéma estival n'était pas formellement intéressant, je me suis rabattu sur la télé. La pluie et le beau temps. Les deux saisons des deux séries ont démarré en trombe avant d'échouer au fur et à mesure dans leurs progressions scénaristiques. Si la série de Sam Esmail s'est tirée des balles dans le pied à force de bourrer ses derniers épisodes de twists indigestes et mal foutus malgré leur cohérence indéniable, la saison 2 à gros budget créée par Nic Pizzolato n'a pas réussi à trouver de nouvelles pistes intéressantes à suivre pour ne plus faire penser à sa brillante aînée: les personnages sont tous des archétypes déjà vus avec MacConaughey et Harrelson, la mise en scène ressemble à du pauvre Michael Mann, la fusillade, devenant presque essentielle à chaque saison, est torchée, la philosophie qu'engage le showrunner n'a rien de novatrice vis-à-vis de la première saison... Dommage, car Justin Lin avait excellement démarré la série lors des deux premiers épisodes au poste de réalisateur...

- Du coup, même les séries étaient catastrophiques ?

- Pas catastrophiques. Juste très décevantes. Seul Ballers a su être cool et drôle, notamment grâce à son casting, Dwayne Johnson en tête.

- Hmmm je vois... Bon, passons à une autre étape.

Je lui demandai de prendre la direction de mon bureau et de s'asseoir sur la chaise présente devant lui. Il s'exécuta péniblement. Je sortis un lot de cartons pour exécuter un test de Rorschach.

- Voici un test de Rorschach, comme le héros dans Watchmen, lui expliquai-je brièvement. Je vous vous montrer différentes images et vous me direz à quoi elles vous font penser.

Je mis la première devant lui.

- Que voyez-vous ici?

Il la regarda et me dit rapidement:

- C.R.A.Z.Y de Gnarls Barkley ?

Étonné de sa réponse, je regardai moi-même l'image et la remis dans la boite en gromellant.

- Humpf bon, ok. Et celle-ci?

Celle-ci pouvait avoir une interprétation délicate. Si elle peut être vu par certaines personnes comme des nuages proches ou autres fantaisies mentales, elle ressemblait surtout à mon sens à de la matière fécale étalée. Une fois qu'il vut la photo, il devint blanc, écarquilla les yeux et hurla "ADAM SANDLER !! ADAM SANDLEEEEEEEEEEEEEEEEEEER !!!" en courant partout dans mon cabinet comme si un incendie avait été déclaré. Je pris une ventoline, lui fis signe de se calmer et de respirer calmement. Je me précipitai ensuite hors de mon cabinet pour rassurer mes autres patients, confortablement installé dans la salle d'attente avec des Télérama dans les mains. Une fois avoir effectué toutes ces actions, je vis mon patient actuel, accroupi dans un coin de ma salle en train de renifler et de sucer son pouce.

- ... Ça va?

Il me fit non de la tête. Je lui repris la photo, ou du moins les millions de morceaux de ma photo qui n'a véritablement pas résisté à ce surprenant ouragan.

- A quoi vous fait-elle penser alors?

- A... un cauchemar...

- Seulement un cauchemar? Savez-vous que les cauchemars sont principalement des relents de notre subconscient selon Freud ? [C'est vite dit comme ça, je ne suis pas en hypokhâgne ou fac de psycho, vous excitez pas dessus si c'est plus complexe que ça, peace, ndlr]

- Je vais tout vous expliquer, me dit-il entre ses hoquets. Fin août, j'avais déjà vu l'un de vos confrères pour une tentative de suicide au sarcasme. Tout s'était plutôt bien déroulé, jusqu'à qu'une semaine plus tard je m'aperçois que toute ma séance avait fini sur Internet et avait été vu par 356 personnes le 5 septembre.

- Effectivement, ce n'est absolument pas professionnel. Je lis actuellement sur votre dossier que cette analyse, faite en urgence à l'hôpital Maudern Paypeure, était à propos de Pixels de Chris Columbus. Voulez-vous en reparler o...

- C'EST DE LA MEEEEEEEEEERDE ! Pixels m'avait mis très, très mal à l'aise. Tour à tour misogyne, sexiste, homophobe, raciste, irrespectueux de la génération "next-gen", bourré d'effets de manche scénaristiques ne servant qu'à enfiler le poncifs du genre et créer des relations aseptisées entre chacun des personnages, et profondément désincarné dans sa réalisation - hormis ses scènes d'action, c'est un gâchis monstrueux orchestré par un Adam Sandler qui s'enfonce dans la dégueulasserie tant dans l'écriture que dans le jeu d'acteurs. Puis Josh Gad est l'un des pires comédiens de sa génération, et cela semble se confirmer au fil des années. Mais ça ne s'arrête pas là.

- Vous aviez été plus vague sur ce sujet y a quelques semaines à l'hôpital. On fait des progrès fantastiques aujourd'hui, vous parlez beaucoup et avec beaucoup de précisions, vu votre état, c'est fantastique...

- Oui, Les 4 Fantastiques.

Je l'ai fixé durant un certain temps, n'osant rien dire. J'ai posé mon stylo et ai lâché finalement un simple "Aïe. Ok.". Je ravalai ma salive et lui proposa de poursuivre. Je compris la raison de toute cette haine et tout son chagrin. On arrivait au boss final de sa vie éphémère, la Grande Faucheuse de son existence. Il m'expliqua alors ce que je supposais: tout le film n'est qu'esquisse. On sentait les intentions de Josh Trank de lorgner sur différents maîtres du cinéma de genre américain, tels que Amblin ou David Cronenberg, mais que l'on sentait que la production avait toute sa note d'intention au profit d'une standardisation extrême du reboot, donnant l'impression qu'il n'y a pas de véritable ton défini au film. Il prolongea en m'affirmant que, malgré un casting qui fait de son mieux pour préserver un léger sentiment de direction d'acteur, il n'avait pas vu pire film de super-héros depuis Les 4 Fantastiques et le Surfer d'Argent, qu'il avait déjà pu voir durant un de ses cycles de vie. Je sentais un choc dans ses paroles, plus de l'incompréhension que de la colère d'avoir subi cette catastrophe industrielle. Ce sentiment n'avait jamais semblé être apparu dans la séance précédemment. Tout d'un coup, ma montre se mit à retentir. La séance arrivait à son terme.

- C'est donc ici que la séance se termine. Nous reprendrons donc tout cela l'année prochaine, et j'aimerais prendre de vos nouvelles d'ici là. Profitez du temps qui vous reste pour 2015, changez-vous les idées ! Je ne sais pas moi, comme aller au Vercors sauter à l'élastique ou voler des amphores au fond des criques! J'ai un ami qui avait fait ça, ça lui permettait de mieux profiter de ses nuits.

- Merci Docteur. J'espère que j'aurai de meilleures nouvelles à vous donner l'an prochain. Je prends en compte vos recommandations, merci.

- 75€.